Mollo sur le sel

Même si un apport excessif en sel n’entraîne pas les mêmes risques pour tout le monde, une réduction progressive de nos doses quotidiennes peut être bénéfique pour la santé

A en croire Jean-Pierre Poulain, socio-anthropologue, le sel, ce savoureux ingrédient, a été « satanisé ». On accuse ainsi la consommation de chlorure de sodium d’être responsable, à elle seule, d’une augmentation sensible des accidents cardio-vasculaires et, par conséquent, de causer de nombreux décès. Pourtant, le colloque international qui vient de se tenir à Paris sur le thème « Sel et santé » montre que les chercheurs sont loin d’être unanimes. S’il est vrai qu’une surdose en sel peut augmenter dangereusement la pression artérielle et provoquer, de ce fait, des attaques cardiaques ou cérébrales, il n’est pas démontré que toute la population est exposée aux mêmes risques.

En fait, le danger guette d’abord les individus porteurs de gènes les rendant plus sensibles au sodium. Les Noirs seraient dans ce cas-là. D’autres catégories sont également exposées: les obèses, les diabétiques et les personnes souffrant déjà d’hypertension artérielle. Mais, comme l’a souligné, à Paris, Alexandre Logan, professeur de médecine à l’université de Toronto (Canada), « la sensibilité au sel n’est pas un trait immuable: c’est souvent une anomalie acquise qui peut être modifiée en améliorant la qualité générale du régime alimentaire ». Une réduction de l’apport en sel dans le traitement de l’hypertension artérielle chez certains sujets dits « sodium sensibles » permet en tout cas d’augmenter de manière très significative la réponse thérapeutique de la plupart des médicaments antihypertenseurs. En outre, indépendamment de la tension artérielle, freiner l’usage systématique du sel protège également contre l’hypertrophie ventriculaire gauche.

Cela dit, en l’état actuel des connaissances, il ne serait pas possible de fixer un seuil unique à partir duquel la consommation de sel deviendrait dangereuse pour tout le monde. Dans l’Hexagone, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments a dès lors décidé de s’attaquer en priorité aux très gros consommateurs (au-delà de 12 grammes par jour, alors que la moyenne se situe entre 9 et 10 grammes). Plus sévère, l’avis donné, en février 2 000, par l’Académie royale de médecine concerne, lui, pratiquement tout le monde.

Les risques de l’excès de sodium

Les spécialistes y rappellent que de nombreuses instances internationales préconisent de ne pas dépasser 6 grammes d’apport individuel de sel par jour chez l’homme et 5 grammes chez la femme. Or, selon les dernières données connues, notre consommation quotidienne s’élèverait, respectivement, à 10 et 8,4 grammes. Diminuer nos rations de sel ne sert pas uniquement à prévenir le risque cardio-vasculaire. Une autre conséquence d’un excès de sel est une incidence accrue du cancer de l’estomac (le sel endommage sa muqueuse). Lors de l’apparition des premiers appareils frigorifiques aux Etats-Unis et grâce aux modifications des habitudes de conservation des aliments qui en ont découlées, dès 1925, la mortalité par maladie cérébro-vasculaire et par cancer de l’estomac avait ainsi baissé de manière appréciable. Enfin, l’excès de sodium provoque une fuite urinaire de calcium et joue ainsi dans le développement de l’ostéoporose.

Par ailleurs, « la lutte contre un apport élevé en sel a également une dimension sociale », précise l’avis de l’Académie de médecine. En effet, ce sont les personnes appartenant aux classes les moins favorisées qui ont l’apport alimentaire en sel le plus élevé (jusqu’à 2 grammes de différence). En cause: les alimentations bon marché, qui contiennent beaucoup de sel. Les spécialistes belges mettent également en garde contre certains conseils alimentaires préconisant de diminuer l’apport en matières grasses et de le remplacer par davantage de glucides, c’est-à-dire par du pain et des céréales: si la quantité de sel ajoutée à ces produits n’est pas diminuée, l’effet favorable de la baisse des matières grasses risque d’être complètement annihilé. Certains produits à base de céréales recommandés au petit déjeuner apportent ainsi jusqu’à 3 grammes de sel par 100 grammes.

Un groupe de travail français vient de conclure, comme l’avait fait l’Académie de médecine de Belgique, que les aliments responsables de l’excès salin sont essentiellement le pain mais, aussi, les charcuteries, le fromage, les plats préparés et les soupes. Selon l’étude française, les produits de grignotage (chips, biscuits à apéritif…) arrivent loin derrière. Une réduction progressive de la teneur en sodium des aliments reste donc un objectif cohérent de santé publique. Cela ne peut cependant se concevoir qu’avec une collaboration active de l’industrie agroalimentaire et de la boulangerie. Actuellement, dans notre pays, la quantité moyenne de 1,2 gramme de sel par 100 grammes de pain frais est inutilement trop élevée. Les aliments commercialisés et ceux réalisés à domicile gagneraient aussi grandement à être moins salés: en fait, la quantité de sel naturellement présente dans les aliments avant toute préparation est suffisante pour répondre aux besoins en sodium de l’organisme humain. Place à une rééducation progressive des papilles?

Jean-Marc Biais et Pascale Gruber

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