Modrikamen veut une droite décomplexée

En avocat des actionnaires de Fortis, il est omniprésent. En idéologue d’une droite pure et dure, il était jusqu’à présent plus discret. Dans une interview polémique, à lire comme un document brut, Mischaël Modrikamen se dévoile. L’homme n’édulcore ni ses commentaires acerbes sur le MR, ni ses propos tranchés au sujet de l’immigration. Au passage, il révèle l’identité de ses modèles : Winston Churchill, Atatürk, José Maria Aznar, Pim Fortuyn…

Commençons par le commencement : vous définissez-vous comme un homme de droite ?

> Mischaël Modrikamen : Sans aucun problème. Mes convictions, je ne les porte pas comme un étendard, mais elles ne sont certainement pas de gauche.

Qu’est-ce que cela signifie pour vous : être de droite ?

> La droite met d’abord l’accent sur la responsabilité individuelle. Chacun doit prendre son sort en main. Je dis que certains peuvent être responsables de leur sort. Quand on est dans la dèche, cela peut être à cause des aléas de la vie, mais aussi en raison d’une responsabilité individuelle, que la gauche a tendance à nier. Mais ce serait trop facile d’opposer une droite égoïste et une gauche généreuse. L’idée de justice doit apporter des corrections : si certaines personnes ont plus de succès que d’autres, il faut redistribuer envers celles qui ont moins.

Ces convictions politiques vous guident-elles dans le combat que vous menez pour les petits actionnaires de Fortis ?

> Je suis guidé par une idée de la justice, oui. Mais j’agis dans le dossier Fortis comme avocat, sans aucune arrière-pensée politique. D’ailleurs, mes convictions politiques me rapprochent plutôt de Didier Reynders que d’Ecolo, qui est pourtant proche de moi dans ce combat. Là se trouve le paradoxe. Néanmoins, toute cette affaire est symptomatique d’une fin de régime : elle révèle au grand jour le bradage de nos institutions et une gestion calamiteuse.

Certains avocats d’extrême gauche considèrent leur métier comme le prolongement de leur activité militante. Ce n’est pas votre cas ?

> Ah non. Je crois qu’il faut bien séparer les rôles. Si, un jour, je me lance dans une action politique, elle commencera là où mon action juridique se terminera. Il ne peut pas y avoir de confusion.

Ce passage en politique, vous l’envisagez sérieusement ?

> L’action politique me démange parfois. S’il y a des qualités qu’on me reconnaît, c’est bien l’énergie et la détermination, ainsi qu’une capacité à prendre d’assaut certaines citadelles réputées imprenables. Je me suis déjà dit : puisque le système ne fonctionne pas bien, pourquoi ne pas apporter un grand shake-up ? Par exemple, en fondant un parti.

Aux Pays-Bas, le paysage politique a été chamboulé ces dernières années. De nouveaux partis ont émergé. Plusieurs figures d’une droite radicale sont apparues sur le devant de la scène, comme Pim Fortuyn, Geert Wilders et Rita Verdonk. Ce sont des sources d’inspiration pour vous ?

> Ils sont tous les trois exemplatifs. Je viens de voir un sondage : si les élections avaient lieu demain, le Parti de la Liberté de Geert Wilders arriverait en tête. Wilders est certes un peu provocateur, mais en même temps déterminé. J’ai surtout de l’admiration pour Pim Fortuyn. On l’a qualifié d’extrême droite, alors qu’il était tout sauf d’extrême droite. Il n’était ni raciste, ni quoi que ce soit. Il était en rupture, ça c’est clair. Il a décoincé la société politique hollandaise. D’ailleurs, beaucoup d’étrangers le soutenaient.

Vous-même, vous êtes en rupture ?

> Oui, il faut d’abord provoquer la rupture, avant de recréer le consensus. Mais être à la marge n’est pas une nécessité. J’apprécie beaucoup, par exemple, José Maria Aznar et Angela Merkel. Le jour où je m’engagerai en politique, je le ferai soit en intégrant un parti existant pour le transformer radicalement, soit en créant un mouvement en rupture. Mais je ne m’arrêterai pas en chemin. On y mettra le paquet.

Vous évoquez la possibilité d’intégrer un parti existant. On vous imagine difficilement ailleurs qu’au MR…

> C’est clair. Mais ce que je reproche au MR, c’est de n’être que libéral. C’est le parti de la classe moyenne supérieure qui veut payer moins d’impôts, avec un discours relativement flou sur le reste. Je souhaite la création d’un grand mouvement de droite, où les libéraux purs et durs, mais aussi les tenants d’une droite plus classique, ou les chrétiens conservateurs, pourraient se retrouver face à la gauche. Un peu comme le PP d’Aznar, en Espagne, ou la CDU de Merkel, en Allemagne. Le dénominateur commun des différentes tendances de droite, c’est la responsabilité individuelle. Je suis favorable à un scrutin majoritaire, où l’électeur aurait un choix clair entre une gauche et une droite.

Le centre n’est pas indispensable, selon vous ?

> Non. Le centre doit disparaître. Les partisans de Mme Milquet – la gauche bobo, la gauche chrétienne – n’ont qu’à rejoindre la gauche socialiste, tandis que les membres plus conservateurs du CDH pourraient intégrer un grand parti de droite. Malheureusement, la droite souffre encore d’un complexe face à la gauche. Elle n’ose pas toujours s’afficher clairement. La Belgique est d’ailleurs l’un des derniers bastions de ce complexe. En Espagne, en Allemagne, en France avec Sarkozy, en Italie avec Berlusconi, la droite s’est décomplexée.

La différence fondamentale entre la gauche et la droite, n’est-ce pas le rapport à l’égalité ?

> Il est vrai que le rejet de l’égalitarisme occupe une place importante dans mon approche de la politique. Les socialistes considèrent que les pauvres ont le droit de prendre aux riches. Moi, je pense que les nantis ont le devoir de veiller à ce que les moins nantis ne manquent de rien. Vous voyez la différence d’approche ? Il s’agit davantage d’un devoir moral.

Vous vous considérez comme un chef d’entreprise ?

> Quand j’ai créé mon cabinet, je venais de Charleroi et je n’avais aucune relation. Je suis parti de rien. Le bureau Ikea de ma secrétaire, je l’ai monté moi-même. Je n’ai pas honte de dire que je gagne beaucoup d’argent. J’ai travaillé dix-sept heures par jour pendant vingt ans, six jours par semaine. Aujourd’hui, mon cabinet donne du travail à une dizaine de personnes. Si la Belgique comptait 20 000 PME supplémentaires d’une dizaine de personnes, le problème du chômage serait résolu.

A la présidentielle américaine, vous auriez voté John McCain ou Barack Obama ?

> J’aurais voté McCain. McCain est d’abord un véritable héros, prisonnier pendant plus de cinq ans lors de la guerre du Vietnam, dans des conditions atroces. C’est aussi un type très décent, qui a dit à ses partisans : je ne vous autorise pas à parler d’Obama comme ça. Mais Obama ne me déplaît pas. J’aime le dynamisme de la société américaine. J’aime moins le puritanisme qui sévit aux Etats-Unis. Si vous commettez le moindre écart avec une femme ou un homme, c’est étalé comme s’il s’agissait du crime le plus abject.

Les Etats-Unis ont soutenu le régime de Pinochet, au Chili, et d’autres dictatures un peu partout dans le monde. Cela ne tempère pas votre enthousiasme à l’égard du rêve américain ?

> Les Américains ont tendance à jouer les gendarmes du monde, et je préfère que ce soient eux qui s’en chargent plutôt que les Russes ou les Chinois. J’aime le rêve américain, j’aime les Etats-Unis, je sais que nous sommes redevables au peuple américain, mais je ne suis pas béat non plus. Au Chili, sous le gouvernement de gauche de Salvador Allende, il y avait des risques réels de dérive communiste. N’empêche, Pinochet était une franche crapule, un assassin. Les dictatures, je les dénonce toutes, qu’elles soient de droite ou de gauche.

 » La démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres « , disait Winston Churchill. Citation usée jusqu’à la corde ou aphorisme lumineux ?

> Churchill, c’est un homme clé. S’il n’avait pas été là pour galvaniser l’Angleterre, entre 1940 et 1945, que serait-il advenu ? N’oublions pas qu’à l’époque il y avait des volontés d’apaisement dans le camp britannique. Certains plaidaient pour une paix négociée avec Hitler. Churchill, lui, ne promettait que  » du sang, de la sueur et des larmes « . Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le système démocratique n’a été suspendu à aucun moment. Il n’y a jamais eu d’état d’urgence en Angleterre. Churchill était vraiment attaché au système parlementaire. Et il a perdu les élections après la guerre… Aujourd’hui, les gens ne se rendent plus compte que la démocratie peut être menacée.

L’interdiction des partis d’extrême droite vous paraît de nature à protéger la démocratie ?

> Non. Il ne faut pas les interdire. Il faut par contre offrir une alternative à l’extrême droite. En Allemagne et en Espagne, l’extrême droite pèse moins de 2 % des voix, car il y a un mouvement de droite qui s’affirme. En Belgique, même le Front national – qui est un parti de voyous, de vauriens, de repris de justice – parvient à réaliser des scores de 5 à 10 %. Chez nous, dès qu’on aborde certains sujets, on est taxé de racisme. Est-ce qu’un grand pays musulman peut entrer dans l’Europe ? Moi, je crois que non. D’ailleurs, géographiquement, la Turquie ne fait pas partie de l’Europe. Atatürk fait partie des hommes politiques que j’admire. Il représente pour moi un exemple de courage et de modernisation d’un pays. Le plus effrayant, c’est qu’en Turquie le processus d’intégration à l’Europe affaiblit le camp laïque. Jusqu’à présent, l’armée était gardienne de la laïcité…

Quitte à empiéter au passage sur les droits humains, non ?

> L’armée turque n’est sans doute pas une institution très démocratique, mais elle contenait la poussée islamiste. Et le processus d’intégration a affaibli le rôle de l’armée, au nom des principes démocratiques européens.

N’est-ce pas contradictoire ? Vous venez de dire que les principes démocratiques ne peuvent jamais être remis en question…

> Dans le cadre occidental, cela fonctionne sans doute parfaitement. J’aurais préféré un autre rempart que l’armée. Mais je constate que, depuis qu’on a affaibli l’armée, la Turquie connaît une montée en puissance de l’islamisme… Ce n’est pas être raciste que de dire que les étrangers, ou certains étrangers, ne peuvent pas voter. Mais il est impossible, en Belgique, de mener un débat serein sur l’immigration ou sur l’islamisme.

Vous voulez imposer un frein à l’immigration ?

> Dans vingt ans, les statistiques démographiques montrent que la population de Bruxelles, d’Amsterdam et d’autres villes européennes sera à majorité musulmane. Moi, je dis qu’il faut un débat là-dessus ! Malheureusement, le problème s’aggrave. J’éprouve une tendresse infinie pour le vieux Marocain de 60 ans, parti de son bled pour venir faire des travaux merdiques en Belgique. Mais je n’ai que dégoût pour son petit-fils qui terrorise la petite vieille de son quartier, qui dit  » sale Belge  » au flic et qui étale sa haine des juifs. Je force un peu le trait. Je caricature. Tous ne sont pas comme ça ! Il y a des jeunes arabes formidables !

Entretien : François Brabant

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