Moche, folle et mollichonne !

Pauvre Yvonne, princesse de Bourgogne ! Dans l’opéra contemporain de Philippe Boesmans proposé à la Monnaie, l’anti-héroïne sans voix, flasque et handicapée, est tout bonnement mise à mort. Très fort !

Dès qu’elle paraît, les genoux cagneux et la jupe coincée dans le slip, avec l’air bête d’une gamine simplette, les volées d’injures animales pleuvent :  » Mollusque, va ! « ,  » Limace ! « ,  » Crapaude ! « ,  » Cochonne !  » lui lancent les flatteuses de l’entourage royal. La cour de Bourgogne est plus sadique qu’une cour d’école, et ce qu’y subit Yvonne, étrange petite personne mentalement déficiente, empotée, apathique et anémique, n’est pas loin de la maltraitance, en somme. Mais il faut comprendre ces courtisanes : l’intruse vient de leur ravir les fiançailles avec le prince Philippe…

Ainsi commence cette pièce déroutante, écrite  » sans but précis  » en 1938 par le Polonais Witold Gombrowicz, et que le compositeur belge Philippe Boesmans a transposée en  » comédie tragique en quatre actes et musique « , sur un livret de Luc Bondy, qui en signait aussi l’exquise mise en scène incisive et cruelle, lors de sa création mondiale à l’Opéra de Paris, en janvier 2009. Dirigé par Patrick Davin, c’est ce même petit délice sweet & sour, triste et sauvage, que la Monnaie propose en ouverture de la saison 2010, consacrée cette année au thème de la tolérance/intolérance.

Hystérie collective

D’étroitesse d’esprit, il en est fameusement question, ici. Car, si le Prince (le ténor Marcel Reijans) adopte cette pauvresse pour compagne, c’est d’abord par bravade, pour échapper au poids de l’étiquette. Il y a de la révolte adolescente dans ce choix (Steph’ de Monac’ épousant son amant de garde du corps !), un défi flagrant à l’autorité parentale qui fera d’autant plus sourire le public belge que l’héritier du trône évoque, par son entêtement, un autre Philippe bien réel, celui-là – et même, à y réfléchir, un certain Laurent, mais par son goût de la provoc’, cette fois. Seulement voilà… Prendre pour épouse une fada, c’est extra pour offenser les convenances. Vivre avec, comme on dit, c’est nettement plus compliqué. Il faudra peu de temps à Philippe (même pas deux actes, en vérité) pour réaliser que l’élection de ce joujou marital original n’était guère une riche idée.

Sans compter qu’Yvonne, laide et quasi muette (l’actrice Dörte Lyssewski, parfaite), a un talent latent : elle rend les habitants du palais progressivement zinzins. Son tempérament incommode suscite des rires paroxystiques chez les uns, et chez les autres, toutes sortes de dérèglements qui convoquent des hontes refoulées. En sa présence, le roi Ignace (le baryton Paul Gay – ah, si Albert II pouvait copier ses tenues relax – jogging rouge, collier de rappeur et baskets dorées !), déjà libidineux, ne peut s’empêcher de trépigner un peu du mât de cocagne, ni d’évoquer un crime commis jadis sur une soubrette, avec la complicité de son chambellan. Quant à la reine Marguerite (Mireille Delunsch et Lisa Houben, en alternance), elle n’arrive plus à cacher un secret intime : elle écrit en effet des poèmes assez calamiteux, mais érotiquement électrisants.

La cour tout entière devient grotesque. Il n’y a plus qu’à espérer qu’Yvonne décède gentiment (en glissant sur des noyaux de cerise ou en s’étouffant avec des arêtes de perche à la crème), ce qui ne manque pas d’arriver, au soulagement général. Rien d’inconvenant, pourtant, dans cette hystérie collective et barbare. Malgré quelques grossièretés langagières, la mise en scène est si fine qu’elle fait parfois de l’ombre à la (très belle) musique, atonale et truffée de références stylistiques du passé (citations réelles ou simples intuitions, difficile à dire…) Concluons avec Gombrowicz :  » La réalité de l’homme, c’est aussi tout ce qui, en lui, est anormal et maladif.  » Et tellement jouissif !

Yvonne, princesse de Bourgogne, à la Monnaie, à Bruxelles, jusqu’au 21 sep-tembre. www.lamonnaie.be

Valérie Colin

prendre pour épouse une fada, c’est extra pour offenser les convenances

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