Mo Yan Mao et moi

Le Prix Nobel chinois a été accusé de complaisance à l’égard des autorités de Pékin. Son Grand Chambard, comme toute son oeuvre, délicieusement satirique, démontre le contraire.

Le Grand Chambard, par Mo Yan, trad. du chinois par Chantal Chen-Andro. Seuil, 128 p.

Le 6 décembre dernier, dans son discours de réception du prix Nobel de littérature, Mo Yan s’est montré très prudent à l’égard du gouvernement chinois, qui l’a copieusement encensé à l’occasion de cette récompense alors qu’il avait passé sous silence le Nobel de la paix attribué en 2010 à Liu Xiaobo, condamné à onze ans de prison  » pour subversion « . En Occident, certaines voix se sont alors élevées pour reprocher à Mo Yan sa frilosité politique et pour lui donner des leçons de dissidence. Sa réponse ?  » J’ai eu le sentiment que la personne visée n’avait rien à voir avec moi. J’étais comme le spectateur d’une pièce de théâtre. J’ai vu les fleurs tomber à profusion sur celui qui avait été primé, et aussi les pierres qu’on lui lançait, l’eau sale qu’on déversait sur lui.  » Et Mo Yan a ajouté :  » Ce que j’ai vraiment à dire, je l’écris dans mes romans.  »

Réalisme hallucinatoire et truculence rabelaisienne

Quand on les analyse d’un peu plus près, on se rend compte que ces romans-là ne font guère de cadeaux à la Chine communiste. Camouflée sous le masque de la fable et de la parabole, l’oeuvre délicieusement satirique de Mo Yan ne cesse de s’attaquer aux deux grands tabous de son pays – le sexe et le pouvoir – en mêlant réalisme hallucinatoire et truculence rabelaisienne. Ses cibles ? Les dérives parfois ubuesques du Grand Bond en avant et, plus près de nous, les trahisons idéologiques d’une nation désormais rompue au capitalisme le plus sauvage.

Comment la Chine totalitaire s’est-elle convertie à la religion libérale, avec ce qu’il faut de corruption et d’opportunisme pour que le tableau soit fidèle à la réalité ? La réponse, on la trouve dans Le Grand Chambard, sorte de journal intime dans lequel Mo Yan brosse au vitriol le portrait d’un Rastignac à l’oeil bridé, He Zhiwu, un cul-terreux que ses talents de maquignon vont transformer en un redoutable affairiste, au mépris du catéchisme officiel. A ce récit d’une brutale ascension sociale, l’auteur de Beaux seins, belles fesses ajoute sa propre confession, celle d’un fils de paysan né  » au bas de l’échelle « , en 1955, dans un village moyenâgeux où il étouffait. Méprisé par les apparatchiks du Parti, expulsé de l’école à cause de son insolence, contraint de travailler comme intérimaire dans une usine de coton, Mo Yan raconte comment il a dû s’engager dans l’armée pour  » sortir de sa cambrousse  » avant de pouvoir réaliser ses deux rêves, à près de 33 ans –  » entrer à l’université, entrer en littérature « .

Quant à la Chine que décrit le Nobel 2012, c’est un épouvantable carcan de conformismes sociaux où le pouvoir appartient à ceux qui savent intriguer, où la vie privée est donnée en pâture aux espions de tout poil, où le Parti distribue passe-droits et privilèges. Son avenir ? Semblable à ce camion militaire qui fascinait le petit Mo Yan, un Gaz 51 repeint aux couleurs de la réussite communiste avant d’être mis au rebut et de finir, trois décennies plus tard, dans une décharge publique. Comme s’il était l’emblème d’un régime voué à la casse…

ANDRÉ CLAVEL

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