Miroir de l’Art

Michael Cunningham a cartonné avec son roman The Hours, porté à l’écran dans un film avec Nicole Kidman. Rencontre à Beaubourg pour partager son amour de l’art, qu’il distille dans son nouveau livre, Crépuscule. Un galeriste y vacille sous le poids de ses doutes existentiels.

Le Vif/ L’Express : L’écriture apporte-t-elle un équilibre à votre vie ?

Michael Cunningham : C’est une question intéressante, mais je dirais plutôt qu’elle la déstabilise. Comment saisir un monde aussi complexe et impossible que le nôtre ? Le romancier ne peut pas tout comprendre, mais il a la force d’être quelqu’un d’autre que lui-même. Une part de mon travail consiste à abandonner les confins de ma personnalité, afin de pénétrer ceux d’un autre. L’imagination me permet de repousser, voire de transcender ces limites. Ce qui me fascine, c’est l’idée de pouvoir utiliser de l’encre et du papier pour créer une vie.

Au départ, vous rêviez d’être peintre. Quel est votre regard sur l’art, qui nourrit ce livre ?

L’art est mon premier amour. Je n’éprouve pas de regrets, mais je me demande parfois si je n’ai pas abandonné trop tôt. L’art contemporain est jugé ironique, détaché et surestimé. Autant Jeff Koons me semble significatif, autant Damien Hirst relève du marketing. Un artiste pour me portraiturer ? Robert Ryman, dont j’aime l’£uvre abstraite, pure et totalement blanche. Tout comme mon héros galeriste, Peter, j’ai l’impression que nous sortons d’une ère, où la beauté était perçue comme kitsch. Les nouveaux artistes dépeignent la passion, le c£ur et l’âme, sans être considérés comme des sentimentaux. Le rôle de l’artiste me taraude. Tant Michel-Ange que les contemporains, comme Rothko, nous offrent du beau, du mystérieux et du mystique. La beauté change la personne qu’on est.

Votre protagoniste craint que  » toute sa vie soit un mensonge « . Pourquoi la crise de la quarantaine est-elle indispensable ?

Je préfère parler d’un tournant ou  » d’une explosion de milieu de vie « . Dans un premier temps de vie, nous devons répondre à certaines questions fondamentales : quel travail vais-je choisir, où vais-je vivre, qui vais-je aimer ? Si on a de la chance, on parvient à y répondre. Cela ouvre la voie à d’autres interrogations. Que faire de son existence ? Ce bilan n’est pas toujours évident. Face à son beau-frère, Mizzy ( » l’erreur « ), Peter est renvoyé à sa jeunesse et à la quête d’une beauté idéale. En vieillissant, on découvre qu’on n’est pas aussi adulte qu’on le pensait. On en a le physique, mais pas la consistance. Je vais avoir 60 ans, l’an prochain, mais il demeure en moi des terreurs et des insécurités d’enfant, sans parler de mon amour illimité pour les glaces [rires]. L’amour incarne l’ultime mystère et accomplissement humain. Peter manque de passer à côté de la beauté de vieillir avec quelqu’un. L’habitude remplace la passion et le confort prend le pas sur la révélation, voilà pourquoi un amour a besoin d’être redécouvert. Autre question, celle de la parentalité. Une fois que son enfant a grandi, on sait si on l’a aidé ou blessé. Ce n’est qu’en se pardonnant à soi-même qu’on peut continuer à avancer.

A l’instar de votre héros, êtes-vous  » dévoré  » par certaines choses ?

Des millions de choses m’interpellent, comme la mode, la physique ou l’art. Loin de vivre dans une maison retirée, je suis profondément attaché au monde et aux gens. A choisir, je préfère mourir parmi ceux que j’aime que de me retrouver seul, entouré de livres. Sinon, la politique me fascine, tout en me consumant. Je suis atterré par le déclin de l’Amérique. Il est douloureux de constater que mon pays ne domine plus le pouvoir du monde. L’économie est trash, les électeurs sont sous-éduqués et que dire du système éducatif ou médical, catastrophiques ! Chaque empire doit s’éteindre un jour… Peut-être cette chute a-t-elle inspiré ce roman. Après tout, c’est l’Amérique qui est en pleine crise de la quarantaine !

ENTRETIEN : KERENN ELKAÏM

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