Minitablettes contre grosse pomme

Emmanuel Paquette Journaliste

Pour contrecarrer l’iPad d’Apple, Google et Amazon lancent des machines plus petites et à moindre coût. Et déjà d’autres concurrents pointent leur nez. Derrière cette guerre se joue aussi l’avenir de la distribution des biens culturels.

« Small is beautiful », ou quand des poids légers veulent faire vaciller le poids lourd des tablettes électroniques. Qu’Apple se le tienne pour dit, en cette fin d’année : l’iPad va devoir affronter une armée de miniconcurrents, tous prêts à lui voler la vedette. Deux fois moins chers que le bébé de Steve Jobs, moins lourds et plus petits, ces substituts vendus entre 159 et 300 euros devraient attirer une foule de clients frileux à l’idée d’en débourser 490 pour mettre la main sur les créations de la marque à la pomme. Amazon, avec deux nouvelles versions du Kindle Fire, débarque à la fin d’octobre, tandis que Google, avec le Nexus 7, a déjà ouvert les hostilités il y a peu. Leur politique de prix agressive a été rendue possible grâce, notamment, au système d’exploitation gratuit Android développé par le moteur de recherche.

 » Notre machine a été conçue pour y loger notre boutique de téléchargement, Google Play, et proposer toutes sortes de divertissements à nos utilisateurs : la plus grande librairie de livres électroniques, des milliers de films à louer, et 600 000 applications diverses, dont des jeux « , explique Patrick Brady, directeur des partenariats pour Android.

Pas question de donner la moindre prévision de ventes même si certains analystes estiment que 8 millions de Nexus pourraient trouver preneur d’ici à la fin de l’année. Pour y arriver, Google a même fait la publicité de son appareil sur sa page d’accueil, d’habitude si épurée. Un procédé également utilisé par le cybercommerçant Amazon. Son PDG, Jeff Bezos, s’est fendu d’une missive sur le site pour annoncer l’arrivée de sa tablette dans plusieurs pays européens, dans deux versions, l’une à 159 euros et l’autre à 199 euros.  » Nous proposons le produit le moins cher tout en étant doté des meilleures performances, n’hésite pas à affirmer Romain Voog, directeur général d’Amazon France. Nous allons démocratiser très rapidement les tablettes. Ce sera le cadeau de fin d’année. « 

Le marché

Cette guerre des prix devrait faire la joie des consommateurs. Sous l’impulsion des géants américains, le marché belge pourrait atteindre cette année 800 000 ardoises tactiles, en croissance de 220 %. Contrairement à Apple, qui affiche de belles marges, ces deux acteurs ne gagnent pas ou peu d’argent sur le matériel. Leur objectif est avant tout de mettre en avant des contenus et prélever ensuite une commission sur chaque achat, ou encore d’afficher de la publicité ciblée.

Avant eux, d’autres prétendants, et non des moindres, ont bien tenté une attaque frontale contre l’hégémonique société de Cupertino. Mal leur en a pris. Tous ont échoué, faute d’apporter un catalogue de contenus fourni. Qui se souvient encore de HP avec son TouchPad, du PlayBook de BlackBerry, du Streak de Dell ou encore du Xoom de Motorola ? Pas un seul n’a croqué la pomme et beaucoup ont même rapidement rejoint le cimetière des nouvelles technologies. Seule exception : Samsung. Le sud-coréen a réussi à gratter près de 10 % du marché mondial avec sa Galaxy Tab, suscitant l’ire de la direction d’Apple et l’ouverture d’une série d’actions en justice pour violation de brevets. Dans le récent procès aux Etats-Unis opposant les deux groupes, l’asiatique a, sacrilège, levé le voile sur les projets futurs de l’entreprise la plus secrète de la planète. Dans un échange d’e-mails interne entre le vice-président, Eddy Cue, et le PDG, Tim Cook, perce même l’inquiétude devant l’avènement de ces minimachines.  » Il va y avoir un marché pour les tablettes plus petites et nous devrions en faire une. Je l’ai dit à Steve à plusieurs reprises et la dernière fois que nous en avons parlé, il était ouvert à la question. « 

Un mini-iPad

Cet iPad, version mini, est la contre-attaque de l’empire pour ne pas laisser le temps aux nouveaux concurrents de lui tailler des croupières. Apple a déjà commené la production de l’iPad compact (écran de 7,85 pouces) en Asie. Son ennemi de toujours, Microsoft, se lance, lui aussi, dans la bataille. Deux produits, appelés Surface, et fonctionnant avec le nouveau système d’exploitation Windows 8, vont arriver sur le marché. Difficile, dans ces conditions, pour les entreprises européennes comme la française Archos de suivre ce rythme effréné et cette guerre des prix lancée par des mastodontes aux poches pleines.  » Combien de fois avons-nous entendu la nouvelle de notre mort ? Mais nous sommes toujours là, bien présents, et le troisième acteur en Europe, derrière Apple et Samsung. Nous allons montrer que nous demeurons le mieux-disant en proposant des produits à moins de 200 euros avec un écran plus grand « , explique Henri Crohas, PDG et fondateur du groupe.

L’ingénieur estime que la baisse des coûts des composants en Asie s’est accélérée ces six derniers mois et permet aujourd’hui de proposer des tarifs attractifs. Dans le passé, une chute du même ordre avait déjà dynamisé le marché des baladeurs numériques, dominé parà Apple et son iPod. L’histoire semble donc se répéter.  » Nous arrivons à des niveaux incompressibles en termes de prix des matières premières, ajoute-t-il. Le marché va arriver rapidement au même niveau que celui des baladeurs MP3, avec des marges tendues. « 

En revanche, l’enjeu est bien plus important qu’auparavant. Avec leurs machines, les géants américains veulent pouvoir contrôler la distribution de tous les contenus culturels (livres, musiques et films) et dicter leurs conditions.  » Nul n’imagine à quel point ces appareils vont devenir un enjeu majeur dans le quotidien et l’économie. Nous sommes les seuls au monde à fabriquer en Europe, ou tout simplement en dehors d’Asie. Je suis convaincu de l’indispensable place des Européens dans ce domaine « , estime Jean-Yves Hepp, créateur de la tablette Qooq.

En attendant, Apple a déjà pu dicter sa politique tarifaire aux majors de la musique, Amazon a tenté de faire de même dans le domaine des livres numériques. Plus ces acteurs auront écoulé leurs machines dans le monde entier, plus leur pouvoir de négociation avec les industries culturelles deviendra important. Les miniardoises auront alors un maxi-effet.

EMMANUEL PAQUETTE

Les géants américains veulent pouvoir contrôler la distribution de tous les contenus culturels

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire