Ministre … et farouche opposant

Aux Finances, Tendai Biti tente de sauver l’ex-Rhodésie de la faillite. Et rêve de voir disparaître de son bureau le portrait du président Mugabe.

de notre envoyé spécial

Ministre des Finances au Zimbabwe ?  » Le pire job du monde !  » répond l’heureux élu, dans son bureau à Harare. Pour le prouver, Tendai Biti égrène les chiffres de la faillite de l’ex-Rhodésie, dirigée depuis trente ans par le président Robert Mugabe :  » 5 milliards de dollars de dette, douze années de chute continue du produit intérieur brut, 93 % de chômage, 35 ans de moyenne d’espérance de vie.  » Mais l’homme, âgé de 42 ans, n’est pas du genre à se réfugier derrière ses lunettes rectangulaires. Plutôt du style à houspiller son assistante, qui ne lui fait pas remonter les dossiers à parapher assez vite.

Depuis son entrée dans le gouvernement d’union nationale, le 10 février dernier, le n° 2 du principal parti d’opposition, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC), n’a pas chômé. Il a retiré de la circulation le dollar zimbabwéen, monnaie devenue sans valeur, pour stopper l’hyperinflation aux milliards de pour cent et garnir de nouveau les rayons des magasins. Il a ensuite fait le tour des bailleurs internationaux.  » C’est quelqu’un de très responsable ; il ne m’a pas demandé de l’argent, mais il a dressé la liste de ce qu’il avait déjà réalisé « , raconte, manifestement surprise, la secrétaire d’Etat française au Commerce extérieur, en visite il y a quelques semaines dans ce pays d’Afrique australe. Malgré sa faible expérience en économie, Tendai Biti séduit.  » Intelligent « ,  » bosseur « ,  » cultivé « ,  » humble « à Les compliments pleuvent concernant celui qui  » est devenu homme politique par accident « , selon l’avocate Beatrice Mtetwa :  » C’est avant tout un militant de c£ur des droits humains « , ajoute-t-elle.

A la fin des années 1980, le jeune homme, originaire d’une banlieue populaire de Harare, étudie le droit à l’université de la capitale. Il s’initie aux grands principes, assis sur les bancs des amphis ; puis il les met en pratique, en montant sur les tables pour inciter ses camarades à manifester contre le pouvoir de Mugabe. Son diplôme d’avocat en poche, il rejoint un cabinet d’avocats renommé. A la barre, il défend les salariés aux droits bafoués et les militants brutalisés par les forces de l’ordre. Les juges lui tapent sur les doigts pour son langage trop passionné. En 1999, Biti participe à la création du MDC, avant de devenir député. Ce qui lui vaudra d’être arrêté à de nombreuses reprises et, aussi, d’être humilié et passé à tabac.  » Je n’oublierai jamais ce qu’ils m’ont fait « , confie-t-il.

Au lendemain du second tour de l’élection présidentielle de juin 2008, boycotté par le MDC, Tendai Biti rejoint le gouvernement, qui réunit, dans une étrange coalition, les proches de Mugabe et des représentants de l’opposition.  » Il est plus radical que Morgan Tsvangirai, le leader du MDC devenu Premier ministre, explique John Makumbe, professeur de sciences politiques. Il lui reproche, en particulier, d’avoir fait trop de concessions à Robert Mugabe. « 

Tendai Biti pourrait un jour accéder à la magistrature suprême. En attendant, il doit réussir.  » Si on échoue, prévient-il, ce sera la Somalie ici.  » Il lui tarde aussi de décrocher du mur de son bureau le tableau du chef de l’Etat, toujours en place, qui incarne la négation de ses convictions.

SÉBASTIEN HERVIEU

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