Milieu fermé

La visite « au parloir » d’un écrivain au petit interne qu’il a été

Quiconque a connu les bontés relatives de l’internat scolaire sait que le monde s’y partage entre deux populations. Ceux qui s’y meuvent comme, au sein de l’onde, une truite va joyeuse le long de bords fleuris; et ceux qui, en eau saumâtre et captifs d’une invisible nasse, vivent les horreurs de l’univers carcéral (faudrait-il parler aujourd’hui de « milieu fermé »?). On peut penser que la faculté d’adaptation des premiers leur sera souvent fort utile pour s’insérer sans problème dans la vie adulte et mener à bien leur plan de carrière. Les seconds, malades de la liberté, auront sans doute moins de facilité à se conformer aux usages en vigueur. Peut-être même deviendront-ils rebelles ou – qui sait? – portés aux égarements de l’écriture. Sous réserve d’inventaire, on classerait plutôt Jean-Claude Mourlevat dans cette deuxième catégorie. Le fait qu’il écrive des romans pour les jeunes ne devrait pas infirmer cette hypothèse.

En tout cas, Je voudrais rentrer à la maison, son évocation autobiographique d’une première année d’internat dans l’école d’une petite ville d’Auvergne restitue avec une impitoyable justesse la détresse du jeune fils de paysans contraint d’y rejoindre ses aînés. Plus que d’une chronique, il s’agit d’une suite de petits tableaux, sortes de récifs granitiques de la mémoire émergeant d’un passé largement opacifié. Des « tragédies minuscules » qu’il revit avec une émotion retrouvée intacte au-delà des années ou des portraits singuliers d’une drôlerie qui frise parfois le surréalisme. Pourtant, ça ne s’invente pas, cette ragoûtante histoire du gamin qui, à la récréation et pour la galerie, monnaie son don de régurgiter son déjeuner avant de se le remanger. Ce qui ne s’invente pas, non plus, c’est la sadisme du pion en chef versé dans l’art de tirer les petits cheveux des élèves, là, tout près de l’oreille. Mais, au-delà de l’anecdote, ce sont les états d’âme, la vision de l’enfant et son rapport à ce monde à la fois contraignant, inintelligible, souvent injuste et parfois extravagant que Mourlevat « régurgite », lui aussi. Pas pour assouvir de vieilles rancoeurs (et moins encore une quelconque rancune) mais, semble-t-il, pour aider le quinquagénaire qu’il est aujourd’hui à retrouver cet enfant dont les souvenirs continuent à le tirer par la manche et à lui donner la main comme à un vieil ami, sans que l’on sache au juste qui a pour mission de consoler l’autre.

Je voudrais rentrer à la maison, par Jean-Claude Mourlevat. Arléa, 132 p.

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