Mieux qu’une Rolls

Bentley est longtemps resté dans l’ombre de Rolls Royce. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée : c’est Bentley qui donne le ton. La renaissance de la célèbre marque porte la signature d’un seul homme, Franz-Josef Paefgen.

Franz-Josef Paefgen (62 ans) est un personnage élancé aux cheveux légèrement grisonnants, qui porte avec élégance son costume sombre ligné. Le patron de Bentley a la réputation d’être un perfectionniste, il parle l’anglais sans accent et est tout sauf un Allemand réservé. Il a grandi dans la région de Düsseldorf et, dans le garage de son père, il bricolait déjà de vieilles voitures. Cet amour précoce pour la technique l’a mené à un doctorat à l’Ecole supérieure d’Aix-la-Chapelle, qui a débouché sur une carrière couronnée de succès chez Audi, à Ingolstadt. C’est en 1998 que le patron de VW, Ferdinand Piëch, a, pour une bouchée de pain, soufflé Bentley, alors en difficulté, à la barbe de BMW. En 2002, il a ensuite demandé l’aide de Paefgen pour remettre de l’ordre dans les affaires de Bentley, à Crewe, en Grande-Bretagne.

Aujourd’hui, Bentley produit 10 000 voitures par an et est par conséquent la marque de luxe symbolisant la plus grande réussite.  » Avec l’introduction de la Continental GT et GTC, se félicite Paefgen, Bentley a pu, en partant de rien, développer une très forte position sur le marché et ce, dans un créneau totalement neuf pour notre marque. Nous avons su tirer un maximum de profit du boom économique en Chine et en Russie. C’est la première fois que ces pays font connaissance avec notre marque, ainsi qu’avec notre tradition en matière de construction automobile.  » Bentley a connu un glorieux passé. Entre 1919 et 1930, Bentley a cinq fois remporté les 24 heures du Mans et les Bentley-boys ont écrit l’histoire automobile sur le légendaire circuit de Brooklands.  » Bentley était la marque par excellence pour la jeune et riche bourgeoisie, qui organisait des courses durant le week-end, note Paefgen. Après la fusion avec Rolls-Royce, Bentley a évolué de la limousine sportive vers une voiture luxueuse au passé sportif. Bentley avait perdu sa particularité, son caractère et ses partisans. « 

Un retournement de situation s’est produit après la reprise par Volkswagen. Pendant longtemps, il a semblé que VW faisait tout son possible pour acquérir Rolls Royce, sans montrer d’intérêt pour Bentley. Du moins, c’est ce que disaient les journaux. Franz-Josef Paefgen est d’un autre avis :  » Piëch, le patron de VW, est un stratège hors pair. Il a fait semblant de s’intéresser à Rolls Royce. En réalité, c’est Bentley qu’il voulait, car cette marque offrait plus de potentiel.  » BMW, craignant de se faire devancer, a fait l’acquisition de Rolls Royce avec beaucoup de tam-tam… au grand soulagement de Piëch, le patron de VW, qui visait donc Bentley. A Crewe, la réaction face à la reprise a été très réservée. Les ouvriers craignaient que les nouveaux patrons mettent fin à leur manière traditionnelle de penser et de travailler. Ils supposaient que l’usine serait démantelée et que, à terme, seule la marque déposée subsisterait comme une sorte de marque de luxe d’Audi. Cette suspicion a encore gagné en ampleur avec la nomination de l’ancien patron d’Audi, Franz-Josef Paefgen, à la tête de Bentley Motors.

Le Vif/L’Express : Comment se sont passés vos débuts chez Bentley ?

E Franz-Josef Paefgen : Je me trouvais face au plus grand défi de ma carrière. Contrairement à ce que pensaient les travailleurs, nous voulions restaurer l’ancienne gloire de Bentley. Nous avons tout d’abord commencé par dresser un inventaire des caractéristiques de la marque au fil des ans, pour ensuite nous lancer à la recherche d’un designer capable de donner corps à la renaissance de la marque. Le Belge Dirk van Braeckel a relevé le défi et a parfaitement réussi à donner aux anciennes valeurs de Bentley une allure contemporaine, sans porter préjudice aux proportions classiques et au look typique de la marque. Nos modèles sont robustes mais dégagent néanmoins une élégance intemporelle. Nos ingénieurs se sont mis autour d’une table avec leurs collègues de chez Audi pour étudier la manière dont ils pouvaient collaborer au niveau de la conception du moteur et de la modernisation technologique, et voir quelle synergie il pouvait y avoir entre les deux marques. La collaboration a engendré la création de la Continental GT, qui a fait monter en flèche les ventes de Bentley de 1000 à 10 000 exemplaires. Le succès de la version cabriolet et de la FlyingSpur à quatre portes confirme que nous avons atteint notre but : Bentley est de nouveau synonyme de luxe sportif !  »

La jeune et riche bourgeoisie n’a pas attendu le réveil de la marque et roule entre-temps avec des voitures de la concurrence. Pouvez-vous établir un profil type du nouveau client Bentley ?

E Les temps ont changé. Les riches d’autrefois possédaient des terrains et des châteaux. Les riches d’aujourd’hui possèdent des entreprises rentables. La société a évolué et cela vaut également pour la composition de notre clientèle. Il est impossible de grouper nos clients sous un dénominateur commun. Nous répondons actuellement aux besoins d’un groupe plus hétérogène de personnes fortunées. En 2002, nous avons livré une Bentley à la reine d’Angleterre, en 2003 nous avons gagné les 24 heures du Mans. Nos clients ont conservé une prédilection pour l’esprit sportif et le luxe. Depuis la venue de la Continental GTC, Bentley compte également pour la première fois une clientèle féminine.

Vous mettez sur le marché un coupé équipé d’un moteur V8 bi-turbo, d’une cylindrée de 6,75 litres, d’une puissance de 537 ch et qui dégage une émission de CO2 de 465 g/km. Une telle voiture a-t-elle encore sa place dans le monde actuel ? Le magazine automobile Top Gear a qualifié la Bentley Brooklands de monstre à quatre roues.

E Il s’agit du coupé le plus exclusif au monde, un coupé classique  » grand touring  » offrant quatre places assisses et atteignant une vitesse de pointe de 296 km/h. Il monte de 0 à 100 km/h en 5,3 secondes. La Brooklands est réalisée à la main, selon les techniques traditionnelles de construction de la carrosserie, du traitement du bois et du cuir et est disponible à un tirage limité de 550 exemplaires. De ce fait, nous avons pu nous permettre quelques fantaisies comme la vitre arrière  » flottante « . Le bord inférieur de la vitre arrière se situe en partie au-dessus de bord supérieur du coffre, créant ainsi une ligne fluide et constante, qui se prolonge jusqu’à l’arrière de la voiture. Une telle chose n’est possible qu’en soudant manuellement les ailes arrière aux montants C. Réduisons-nous ainsi la consommation et les émissions de CO2 ? Non ! Contribuons-nous à fabriquer des moteurs respectant l’environnement, offrant une consommation peu élevée ainsi qu’un faible taux d’émission de CO2 ? Oui ! Nous venons tout juste d’approuver le plus grand investissement de l’histoire de Bentley. En 2010, nous présenterons le successeur de l’Arnage, ainsi qu’une nouvelle série de moteurs, qui fonctionnera aux carburants renouvelables et consommera 40 % de moins. Pour 2012, nous aurons réduit de 15 % les émissions de CO2. Nous aurions également pu opter pour une solution de facilité et reprendre des produits d’Audi. Mais ce serait contraire à la philosophie de la marque. Bentley n’est pas un précurseur technologique comme Audi. Nous ne sommes pas les premiers à équiper nos véhicules des technologies de pointe. Nous prenons le temps et cherchons les meilleures combinaisons de la technologie moderne, du confort et des prestations sportives. Quand nous les avons trouvées, nous les transformons de manière conséquente jusque dans les moindres détails. Peu importe que nous soyons les premiers, mais nous voulons être les meilleurs.

Vous prévoyez pour l’année prochaine une recrudescence de quelque 15 % des ventes. Et la crise, dans tout ça ?

E Bentley est un véhicule de luxe et, en temps de crise, on économise sur le luxe. Cette crise touche également la classe la plus riche et la City de Londres où une partie de notre clientèle gagne sa vie. Il est difficile de faire des prédictions, car je ne peux pas évaluer à quel stade se situe la crise. Nous trouvons-nous au début d’une récession économique ou le pire est-il déjà derrière nous ? C’est comme lire dans du marc de café. Si je me fais du souci ? Oui et non. Rappelez-vous la crise pétrolière des années 1970. Des analystes avaient prédit la fin de l’ère automobile et regardez le développement explosif qu’a encore connu ensuite le secteur automobile. Regardez ce qui se passe en Chine et en Inde. Ils arrivent à rattraper en un rien de temps leur retard technologique d’un demi-siècle. Dans certains domaines, ils sont même en avance sur l’Occident. Les nouveaux marchés en expansion se trouvent là-bas. Je suis un optimiste et pars du principe que le vent tournera. Dans l’attente, j’ai pris la décision de réduire la production de 15 % à Crewe. Grâce au modèle de travail flexible, cela peut se faire sans devoir toucher aux 4 000 emplois.

Bentley est de la compétence de Volkswagen qui, à son tour, est contrôlé par Porsche. Quel regard le patron de Bentley pose-t-il sur la lutte parfois sèche qui oppose quelques grands actionnaires ? Nous avons entendu que Porsche souhaitait une participation dans la gestion des filiales.

E J’observe les événements de Wolfs-burg avec une certaine distance. Bentley a effectué un parcours irréprochable au cours de ces dernières années, l’entreprise dégage des bénéfices et s’est armée face à l’avenir. En outre, Bentley évolue dans un autre segment de marché que Porsche, qui s’adresse à l’inconditionnel de la voiture sportive. Tous les actionnaires ont intérêt à ce que Bentley poursuive sa marche triomphale. C’est pour cette raison que je ne m’attends pas à des démarches à notre encontre. Une décision récente du conseil de surveillance de Volkswagen a d’ailleurs rendu cela impossible.

Urbain Van Dormael

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