A Chicago, cinquante habitants en moyenne sont blessés par balle chaque week-end. Des associations veulent remédier à ce fléau. © GETTY IMAGES

Chicago: mieux lutter contre le crime

Maxence Dozin
Maxence Dozin Journaliste. Correspondant du Vif aux Etats-Unis.

A Chicago, la ville la plus violente des Etats-Unis depuis de nombreuses années, des associations citoyennes se battent pour que les balles des armes à feu soient traçables afin que les criminels puissent être plus aisément traduits en justice. Le combat n’est pas gagné.

C’est « la nouvelle norme à Chicago ». Chaque lundi, Matt Harrington, proche collaborateur du révérend Jesse Jackson, l’ancien candidat démocrate à la présidentielle américaine, publie sur son compte Facebook le triste relevé des violences enregistrées dans la ville au cours du week-end. Le constat est alarmant: au cours du seul mois de septembre, près de cent citoyens ont perdu la vie et quatre cents ont été touchées par balle dans le cadre de violences urbaines, plus spécifiquement dans les quartiers de South Side et de West Side, réputés les plus dangereux. Le week-end des 18 et 19 septembre, soixante-et-une personnes ont été atteintes d’une balle, et au moins douze d’entre elles ont perdu la vie, dont un chauffeur de poids lourd dans le South Side alors qu’il effectuait son travail. Dans de nombreux cas, aucune discrimination n’est faite entre les personnes visées prioritairement et leur entourage, comme samedi dernier dans le quartier de West Englewood, lorsqu’un homme a tiré sur un groupe de personnes sans faire de distinction, touchant une adolescente de 15 ans et une jeune femme de 20 ans.

En six mois, avec une volonté politique proactive, ce genre de crime pourrait être largement réduit, avec un coût nul pour le gouvernement.

« Tant en semaine que le week-end, les histoires de fusillades dans les quartiers ou sur les routes envahissent la presse et nous nous retrouvons chaque fois à pleurer nos morts, en se demandant d’où pourra bien surgir le changement », rappelle Matt Harrington. Souvent, et pas qu’à Chicago, cette violence décime des familles entières, sur plusieurs générations, comme le relevait récemment le Washington Post. Il relatait l’histoire de la famille Shorter qui, à Baltimore, dans la banlieue de Washington, avait vu ses membres masculins adultes perdre la vie successivement sur plusieurs générations, laissant des enfants sans père ni grand-père. La situation est sensiblement la même à Chicago: les fusillades touchent en grande priorité les individus masculins de la communauté afro-américaine.

La dernière grande ville ségrégée

Comme l’explique le prêtre catholique Michael Pfleger, activiste dans le domaine social ayant lui-même grandi dans le South Side et adepte de longue date de la non-violence et de la lutte contre les discrimination faites aux femmes, « Chicago est la dernière grande ville ségrégée du pays, où populations noires et blanches vivent dans des aires géographiques totalement séparées. Au-delà d’une pauvreté endémique, la violence qui sévit dans les quartiers réputés difficiles est attribuable à un abandon systématique de ceux-ci par les hommes et femmes politiques depuis des décennies ».

L’homme d’Eglise, depuis longtemps aux premiers rangs des marches antiviolence dans la grande ville du Midwest, élabore différentes solutions pour contrer l’augmentation des attaques par balle dans les quartiers réputés difficiles: « Il s’agit de stabiliser autant que faire se peut la vie des gens, avance-t-il, en donnant à ces quartiers les ressources et la stabilité économiques dont ils ont cruellement besoin. Il nous faut des politiques de création d’emplois dans des circuits légaux pour contrer le recours à l’économie parallèle qui, souvent, est la seule opportunité pour certains individus de joindre les deux bouts. »

« Il faut bien se rendre compte d’une réalité simple, soutient l’activiste Matt Harrington. Il y a trois traits communs indéniables à toutes les fusillades qui endeuillent le pays: quelqu’un a acheté les balles, le même ou un autre les a chargées, idem pour celui qui les a tirées. » Des citoyens, emmenés par le révérend Jesse Jacskon, se sont donc rassemblés pour interpeller les politiques afin que soit mis sur pied un projet de traçabilité des balles d’armes à feu, de manière telle que puissent être arrêtés les tireurs lorsqu’une balle est retrouvée sur les lieux d’un crime, d’un délit ou, tout simplement, extraite du corps d’une victime. La technologie est somme toute assez simple et peu coûteuse, pour autant que les politiques soient évidemment disposés à agir.

C’est Matt Harrington, en sa qualité de directeur de Ammo Coding Systems (« un mandat non rémunéré », précise-t-il), qui dispose de la technologie nécessaire pour que les balles soient répertoriées. « Tout dépend de la volonté des gouvernements et de leur envie de dire « oui », indique l’activiste, qui précise que la mesure se fait sans coût supplémentaire pour les autorités concernées. Il s’agit vraiment d’une technologie du XXIe siècle au service de la police et de la sécurité publique. Elle a été testée par une série d’unités de police qui l’ont toutes déclaré à 100% fiable sur tous les types de matériaux. »

Un succès provisoire

L’équipe de bénévoles, appuyée par la notoriété nationale du révérend Jackson, a adressé une lettre au président Joe Biden mettant en avant ce projet. « La ville de Chicago se débat depuis des décennies contre le même type de problème. En six mois, avec une volonté politique proactive, ce genre de crime pourrait être réglé rapidement, ou du moins largement réduit, avec un coût nul pour le gouvernement », précise le texte. Le projet prévoit que la moitié des profits récoltés par l’application de ces nouvelles technologies soit redistribuée aux communautés les plus touchées sous forme de programmes sociaux ou de microcrédits pour ceux qui cherchent à monter leur propre petite entreprise.

Les efforts menés par les équipes du révérend Jackson ont été à ce jour couronnés d’un certain succès. Porté par le député fédéral démocrate David Cicilline, le projet de loi « H.R. 3088 » visant à « sérialiser » les balles sera débattu bientôt à la Chambre des représentants. Mais l’opposition des républicains et de leurs alliés du lobby national des armes à feu (NRA) s’annonce pour le moins vigoureuse.

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