Microbiote, le nouvel organe du corps humain

Au XXe siècle, on l’appelait la flore intestinale. Aujourd’hui, on parle de microbiote. On le savait indispensable à la digestion, on vient de découvrir qu’il est essentiel dans la maturation de notre système immunitaire. De surcroît, il serait capable d’interagir avec notre cerveau ! Explications.

Considéré désormais comme un véritable organe de notre corps (bien que les médecins ne sachent pas encore le palper), le microbiote fait l’objet depuis plusieurs années d’intenses travaux qui ont montré son rôle dans la protection contre les pathogènes et les infections, la dégradation des composés de l’alimentation… Ce n’est qu’un début. Ces recherches pourraient déboucher sur de nouveaux outils pour la prise en charge de certaines maladies et un meilleur bien-être. Dusko Ehrlich, directeur de recherche émérite à l’Institut national de recherche agronomique (INRA), en France, a coordonné l’ambitieux projet européen MetaHit (Métagénomique de l’intestin humain) et évoque les enjeux de cette révolution pour la science et la médecine.

Le Vif/L’Express : Comment définissez-vous le microbiote intestinal ?

Dusko Ehrlich: Pour dire les choses très simplement, il s’agit de tous les microbes habitant l’intestin, soit 10 000 milliards de bactéries, déclinées selon 200 espèces. Le microbiote se forme durant l’accouchement puis se construit par le biais de l’alimentation et le contact avec l’environnement. Stabilisé vers l’âge de 2 ans, cet organe n’est pas palpable même s’il peut atteindre deux kilogrammes soit beaucoup plus que notre cerveau. Ses fonctions sont essentielles. Les bactéries participent à la conversion des aliments en nutriments et en énergie et contribuent à la synthèse de vitamines indispensables à l’organisme.

Pourquoi parle-t-on, à son propos, de  » cerveau intestinal  » ?

C’est une question complexe. Brièvement, l’intestin contient suffisamment de neurones, autrement dit de cellules nerveuses, pour en faire un cerveau de chat ou de chien. Les microbes sont en proximité de ces neurones et pourraient les affecter. Des études ont montré, par exemple, que les souris dépourvues des microbes intestinaux (dites  » axéniques « ) ont un comportement différent de celles qui en contiennent. De surcroît, la transplantation des microbes des souris agressives vers les souris placides inverse leur comportement : les souris placides deviennent agressives et vice versa. Bien entendu, tout cela ne permet pas de conclure que nos microbes intestinaux pensent pour nous.  » Cerveau intestinal  » est une expression pour attirer l’attention au fait que leur rôle peut aller jusqu’à la modification de notre comportement.

On estime également que le microbiote intestinal est d’une richesse génétique beaucoup plus élevée que notre propre génome.

L’ensemble des génomes des bactéries qui colonisent l’intestin de l’homme porte le nom de  » métagénome intestinal humain « . Le catalogue des gènes microbiens intestinaux que nous avons publié en 2010 en liste 3,3 millions. Notre propre génome code pour 23 000 gènes, 150 fois moins.

Pourquoi certaines personnes sont-elles  » pauvres  » en espèces bactériennes, tandis que d’autres possèdent une flore intestinale  » riche  » en bactéries, à savoir plus diversifiée ?

Les raisons de la perte de richesse bactérienne intestinale ne sont pas encore connues. Les hypothèses portent sur une prise répétée d’antibiotiques ou sur le régime alimentaire moins pourvu en fruits et légumes, mais les études plus poussées seront nécessaires pour l’établir réellement. Il est à remarquer cependant que le mode de naissance affecte la richesse bactérienne chez les bébés. Les enfants nés par césarienne et non exposés aux bactéries de leur mère à la naissance ont un microbiote intestinal différent des enfants accouchés par voie naturelle et portent des communautés moins riches.

Pourquoi les individus ayant un déficit en bactéries intestinales ont-ils un risque accru de développer des complications liées à l’obésité, telles que le diabète de type 2 ou les problèmes cardiovasculaires ?

Nous ne le savons pas encore. Le déficit, qui est la perte de la richesse, s’accompagne d’un ensemble de paramètres physiologiques qui indiquent un risque accru de développer les maladies que vous citez. Les communautés microbiennes plus pauvres englobent davantage d’espèces pro-inflammatoires et moins d’espèces anti-inflammatoires. Une inflammation plus élevée, observée chez les individus ayant perdu la richesse, reflète probablement ce fait. L’inflammation accompagne la plupart des maladies chroniques, bien au-delà du diabète et des maladies cardiovasculaires.

En quoi consiste l’équilibre du microbiote intestinal qui serait si important pour notre santé ?

Nous ne pensons pas vraiment en termes d’équilibre. Il y des communautés microbiennes que nous observons chez les individus en bonne santé. Elles ont tendance à être plus riches que celles observées chez les malades souffrant de plusieurs maladies chroniques. La composition des deux est aussi très différente.

Existe-t-il un test ou une méthode permettant de déterminer le type de communauté microbienne intestinale qu’un individu porte ?

Nous développons, avec la société Enterome, un test de richesse bactérienne, assez simple, qui devrait être disponible vers la fin de l’année.

Peut-on améliorer la composition du microbiote grâce à un régime alimentaire spécifique ?

Un régime riche en protéines, pauvre en graisses, renforcé de fibres alimentaires et administré pendant six semaines a permis d’augmenter très significativement la richesse du microbiote intestinal, sans qu’elle atteigne pourtant celle des individus  » riches « . Ce résultat, en conjonction avec le test de détection de la richesse, est porteur d’un grand espoir puisque nous serons en mesure de pouvoir repérer les individus à risque accru et de leur proposer un traitement pour réduire ce risque. Cela ouvre la possibilité d’affecter grandement la santé publique. Le coût de traitement des diabétiques en France est estimé à 12 milliards d’euros par an (NDLR : en Belgique, ce coût est de 1,94 milliard par an ; source : IDF 2010 – Fédération internationale du diabète). Si le repérage et la réduction du risque permettaient de faire reculer la manifestation de la maladie rien que d’un an, que d’économies pour la sécurité sociale ! Mais ce qui est encore plus important, c’est de maintenir les individus en bonne santé plus longtemps, pour eux-mêmes, leurs familles et la société toute entière.

Pourquoi la réduction du poids et de la graisse augmente-t-elle la richesse bactérienne ?

Les deux vont en parallèle, sans que nous sachions aujourd’hui pourquoi. Le régime pourrait conduire vers la baisse des espèces pro-inflammatoires, par exemple.

Entretien : Barbara Witkowska

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire