MICKEY, L’AUTRE ICÔNE

Mickey s’offre une nouvelle jeunesse en BD. Le temps d’un album, ce symbole du divertissement de masse s’offre à des auteurs à la fois passionnés et pointus, comme le jeune Tebo ou l’immense Loisel.

Le constat n’est pas inintéressant, à l’heure du barnum Tintin autour de la sortie en couleur de sa première aventure (lire page 84) : s’il n’existe que deux icônes absolues dans l’histoire de la bande dessinée et du dessin – Mickey et Tintin -, deux personnages nés quasiment en même temps, respectivement en 1928 et 1929, il est amusant de voir à quel point les gestionnaires de ces deux oeuvres fondatrices ont suivi des voies diamétralement opposées pour en faire ce qu’elles sont encore aujourd’hui : des références et des incontournables, qui font encore et toujours l’événement, les ventes et l’intérêt. La sprl Tintin a choisi l’exclusivité, la rareté et jusqu’ici, la fidélité absolue à son créateur originel. La Mickey Corp., elle, a depuis toujours usé de son personnage fétiche comme d’une marque, confiée à moult auteurs traités comme des salariés, mais tenus à la culotte. Deux manières de faire jusqu’ici inflexibles, mais jusqu’ici seulement : Moulinsart vient d’oser – sacrilège ! – faire coloriser les cases de Hergé, tandis que Disney, lui, a donné récemment carte blanche à un éditeur et des auteurs francophones pour se réapproprier, presque sans censure, son personnage phare et l’une de ses plus importantes têtes de gondole ! Et c’est, ici, une réussite sans tache.

Un droit de création rare

 » L’éditeur Jacques Glénat est comme moi un fan de la première heure de Mickey « , nous explique Régis Loisel, l’auteur star de La Quête de l’oiseau du temps ou de Magasin général, le premier auteur en date à avoir été sollicité pour réaliser  » son  » Mickey, mais le quatrième à l’avoir effectivement sorti après, respectivement, Cosey, la paire Keramidas/Trondheim et Tebo.  » Il avait les licences d’édition de Disney et avait déjà effectué un remarquable travail de réédition des premiers récits de Floyd Gottfredson, des Donald de Carl Barks et des Picsou de Don Rosa, mais c’est un vrai tour de force que d’avoir obtenu une licence de création, que Disney n’accorde que très rarement : les droits d’auteur tels qu’on les connaît en France n’existent pas, par exemple, aux Etats-Unis. Et si nous avons tous eu droit à des relectures de la part de Disney France, Disney Italie (pour les dessins) et Disney USA (pour les histoires), j’ai été très étonné que le tout passe presque sans problème. En ce qui me concerne, ils n’ont fait aucun commentaire sur mon scénario disons socialement engagé, et ne m’ont demandé aucune retouche… Tebo, lui, a même eu droit au cigare !  »

 » Oui, mais sans fumée ! « ,nous confiait effectivement l’intéressé quelques semaines plus tôt, à l’occasion de la sortie de  » son  » Mickey.  » J’avais un gag qui nécessitait absolument que Pat Hibulaire ait un cigare en bouche, et c’est passé. A part ça, j’ai peut-être dû changer un terme comme  » abruti  » par  » idiot « , mais c’est tout. On nous a vraiment laissé faire et, surtout, permis de mettre à notre sauce tous ces personnages qui nous renvoient à notre enfance et aux bases de nos métiers. Laisser apparaître nos pattes respectives. Et ça, c’est formidable. « Régis Loisel abonde dans le même sens : » Le contrat, que je n’ai pas signé pour être sûr de pouvoir conserver mes dessins s’ils étaient refusés et les accrocher aux murs, était clair : chacun fait le Mickey qu’il a envie de faire, dans le format qu’il veut. Je n’avais plus connu un tel plaisir de dessin depuis près de trente ans !  »

Casting et timing

Si la réussite commerciale de cette nouvelle collection Mickey tient en partie à son parfait timing (le recours aux marques fortes et aux héros connus depuis des générations est général dans l’édition BD, qu’elle ait recours aux reprises, aux  » remakes  » ou aux  » reboots « ), sa réussite esthétique, elle, est en train de se bâtir sur un casting parfait, qui mêle les grands auteurs nostalgiques et très référencés tels Cosey (qui fit le voyage, jeune, jusqu’en Californie pour postuler chez Disney ! ) ou Loisel (fan absolu et collectionneur d’originaux) à des auteurs plus jeunes mais pas moins doués, et dont les univers graphiques se marient naturellement avec celui, multifacettes, de Mickey.

Créateur très générationnel du Captain Biceps qui fit les beaux jours du magazine Tchô !, Tebo l’avoue bien volontiers :  » Mickey, ce n’était pas du tout mon univers, je devais faire un Spirou à la base ! Mais Jacques Glénat était convaincu, et très motivé. Je me suis alors souvenu, puis inspiré des dessins animés plutôt que des BD. Des films comme Mickey au pays des géants, quelque chose de très cartoon, de très pop. J’ai fait les personnages de tête, je les ai vite trouvés… et je me suis éclaté, surtout graphiquement.  »

Le goût pour la ruralité américaine

Des atermoiements étrangers à Loisel, donc, amoureux de la première heure du Mickey des débuts – ceux dessinés, en strip, par Floyd Gottfredson dès le début des années 1930, pendant que Walt Disney et Ub Iwerks se concentraient sur la réalisation des dessins animés.  » Jusqu’à 16 ans, raconte le sexagénaire, je n’ai fait que du dessin animalier, et recopier les couvertures des albums Mickey que je me faisais offrir à Noël après les avoir choisis avec soin. Et j’ai vraiment voulu rester dans les traces de Gottfredson, en conservant son format en strip mais aussi son rythme de presse, en créant au moins un strip par jour. Ces dessins-là, et cette époque des années 1930, celle de la Grande Dépression, ont eu beaucoup d’influence sur ma carrière : les décors, le côté bucolique, et ce goût pour la ruralité américaine d’alors. Les palissades, les bouts de bois, les boîtes de conserves, les tonneaux, les poteaux téléphoniques… Il n’y avait pas de voirie, c’était de vrais dépotoirs à ciel ouvert. Et ça, j’adore ! Ma femme ne me reconnaissait plus : faire ce livre m’a complètement habité.  »

La collection Mickey accueille des auteurs très différents et aux motivations variées mais qui, au final, se rejoignent sur la qualité de leur interprétation, le plaisir communicatif de s’être emparé brièvement et sans entraves d’une telle icône, et surtout sur le fait de rejoindre un univers et une filiation d’auteurs marqués, dans leurs dessins, par le dynamisme et le dessin animé. En préambule de son Cafe Zombo, Loisel rend ainsi logiquement hommage à Gottfredson, Iwers ou Barks. Mais aussi à Uderzo ou Franquin :  » Nous sommes tous des enfants de Mickey, séduits par l’animation, et qui avons tenté d’interpréter en bande dessinée ce que nous y trouvions en énergie et en mouvement. Nous sommes bel et bien les maillons d’une même chaîne.  »

A lire aussi, et édité à l’occasion du 50e anniversaire de la mort de Walt Disney : Mickey Mouse, icône du rêve américain, par Garry Apgar, éd. Glénat, 336 p.

PAR OLIVIER VAN VAERENBERGH

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