Mi-shérif, mi-diplomate

Quel est le bilan de la politique étrangère d’Obama ? Tour du monde des dossiers sur lesquels il est intervenu. Oscillant entre volonté de changement et défense des intérêts nationaux.

Fini le temps où le tout nouvel occupant de la Maison-Blanche s’inclinait un peu trop bas devant le roi d’Arabie saoudite ou l’empereur du Japon. Ce signe d’humilité affectée visait certes à marquer la rupture avec l’arrogance désinvolte du Texan George W. Bush, mais il passait mal auprès des Américains les plus conservateurs, attachés au statut de la  » République impériale « , pour reprendre l’expression de Raymond Aron. A l’épreuve du pouvoir, le président des Etats-Unis a gagné en assurance. Mais peut-on dire que sa politique étrangère est une réussite ? A l’aune des critères d’évaluation de l’action extérieure du chef de l’Etat outre-Atlantique – le monde est-il plus stable ? plus ouvert ? plus libre ? le leadership américain est-il conforté ? -, cela reste à démontrer. Revue de détail.

En 2008, soucieux de rompre avec l’image belliciste d’une Amérique prompte à dégainer sans se soucier des états d’âme de ses alliés, Barack Obama voulait réinsérer les Etats-Unis dans le jeu multilatéral. Il promettait de fermer le camp de prisonniers de Guantanamo. Affichait comme priorité l’établissement de la paix entre Israël et la Palestine. S’engageait contre le réchauffement climatique. Sur tous ces dossiers, il n’a obtenu aucun résultat. Face à l’Iran et à son ambition atomique, c’est d’abord la politique de la main tendue : message à l’occasion du nouvel an persan (le Norouz), tiédeur à l’égard des manifestants du Mouvement vert, qui protestent contre la réélection truquée de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009à A la différence de Nicolas Sarkozy, Obama croit alors qu’un accord avec les mollahs sur le nucléaire est possible. Mais ces gages d’ouverture sont analysés à Téhéran comme autant de preuves de faiblesse. L’Américain déchante. Il s’en tient, dès lors, de concert avec les Européens, à une politique de sanctions et de cyberguerre – en réalité, un containment de l’Iran, qui voit son influence croître dans l’Irak voisin, qu’ont abandonné, après huit ans de présence, les derniers soldats américains. Le président change aussi d’avis sur l’Afghanistan. Après avoir approuvé l’envoi de renforts, il engage – alors que la situation ne s’est guère stabilisée sur le terrain – un retrait progressif des troupes qui doit s’achever en 2014. De l’héritage bushiste, le démocrate a conservé la politique antiterroriste. Il l’a même intensifiée en installant des bases secrètes en Afrique et en développant les attaques de drones, un outil à vocation  » préventive « , s’est justifié un de ses conseillers, John Brennan.

Dans son discours du Caire, le 4 juin 2009, le président américain avait exprimé son souhait de mettre un terme au  » cycle de suspicion et de discorde  » entre l’Amérique (et l’Occident) et le monde musulman. Il rend hommage au passé brillant de la civilisation musulmane. Mais il affirme aussi l’attachement de l’Amérique à sa propre sécurité, aux principes démocratiques (en prenant soin, cependant, d’écarter toute imposition d’un système de gouvernement à un pays par un autre), à la tolérance religieuse, y compris en terre d’islam. Avant d’en appeler, plus vaguement, il est vrai, à l’égalité entre les sexes. Quel écho a eu ce discours ? Difficile à évaluer. Si une poignée d’intellectuels libéraux a pu l’invoquer par la suite, les manifestants des printemps arabes de 2011 et de 2012 ne s’en sont jamais réclamés. Parallèlement, c’est bien la France de Nicolas Sarkozy et le Royaume-Uni de David Cameron qui prennent l’initiative de l’offensive, diplomatique à l’ONU d’abord, militaire sur le terrain ensuite, contre le régime de Mouammar Kadhafi en Libye, en mars 2011. Barack Obama les soutient mais reste un pas en arrière. De Tunis à Damas, tout se passe comme si la Maison-Blanche avait laissé l’Histoire se mettre en scène, en conservant un rôle de spectateur attentif. Par ailleurs, l’idéalisme américain s’est vite heurté aux intérêts nationaux. A Bahreïn, lorsque la monarchie sunnite fait appel à l’Arabie saoudite pour écraser une révolte de la majorité chiite, Washington, qui dispose d’une base sur place, laisse faire.

C’était une des priorités du président à son arrivée aux affaires : apaiser les relations avec Moscou et en faire un partenaire. Obama a certes signé, en avril 2010, un traité Start à Prague, qui permet l’inspection réciproque des arsenaux. Il a aussi abandonné, non sans désinvolture, à la fureur de Varsovie, le projet de  » bouclier antimissile en Pologne « . En mars, devant un micro fâcheusement resté ouvert, il assure Dmitri Medvedev qu’il aurait  » plus de souplesse  » après la campagne sur ce dossier qui crispe Moscouà Obama a même facilité l’adhésion de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais qu’a-t-il obtenu en échange ? En juin, lors de sa dernière rencontre avec Poutine, celui-ci affichait une arrogance déconcertante. Moscou bloque toute avancée onusienne sur le cas syrien. Et conserve une certaine ambiguïté sur le nucléaire iranien.

C’est le véritable axe majeur de la politique étrangère d’Obama : le glissement des forces américaines vers l’océan Pacifique, où, à terme, 60 % de la force navale devrait être déployée. Face à la montée du nationalisme chinois et à une politique de gesticulation de plus en plus aventureuse de la part de Pékin envers ses voisins, les Etats-Unis resserrent le maillage de leurs alliances régionales. Des traités bilatéraux en cascade. Une réconciliation accélérée avec le Vietnam, où le secrétaire à la Défense s’est rendu début juin et a visité l’ancienne base de Cam Ranh Bay, un port en eaux profondes où l’US Navy aimerait pouvoir mouiller car il commande l’accès au sud de la mer de Chine. Un accord avec Canberra pour l’installation d’une base américaine permanente à Darwin, dans le nord de l’Australieà Jamais l’Oncle Sam n’a été si populaire dans une région qui craint les appétits chinois. A l’égard de Pékin, Obama a évolué : au début de son mandat, il évoquait un  » partenariat  » sino-américain, vu par certains Européens comme le signal d’un nouveau partage du monde. A Tokyo, en novembre 2009, il soutient ainsi que  » l’émergence d’une Chine puissante, prospère, peut être une force pour la communauté des nations « , en tout cas, pas une menace. Face à la tiédeur des autorités de Pékin, qui rappellent régulièrement leurs droits de créanciers et usent de leur pouvoir d’obstruction au Conseil de sécurité de l’ONU, comme l’affaire syrienne le montre, il a dû rabattre de ses ambitions sur cette  » coopération « . Ce ralliement à la realpolitik lui vaut les critiques acerbes de son rival, le républicain Mitt Romney. Ce dernier, qui affiche aussi un soutien inconditionnel et ostentatoire à Israël, réclame plus de fermeté sur les dossiers des droits de l’homme et sur le non-respect de la propriété intellectuelle en Chine.

Aux Etats-Unis, comme ailleurs, la politique étrangère ne fait pas l’élection. Si les Européens, notamment dans l’est du continent, sont plus réservés sur le bilan en la matière du président Obama, une majorité de l’opinion américaine le crédite du maintien de la ligne de fermeté vis-à-vis de la menace terroriste. C’est, sans conteste, un atout.

Jean-Michel Demetz

Tout se passe comme s’il avait laissé l’Histoire se mettre en scène

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