» Merci aux Wallons ! « 

Avant de quitter la tête de la Région bruxelloise, Charles Picqué a accepté un long dialogue avec son successeur, Rudi Vervoort. Pas encore installé dans la fonction, le socialiste d’Evere envoie déjà un signal fort :  » Reynders ne connaît pas Bruxelles. « 

Charles Picqué quittera la ministre-présidence de la Région bruxelloise lors de la Fête de l’Iris, le 5 mai. Un autre socialiste, Rudi Vervoort, lui succédera. Ce passage de témoin correspond à un tournant : la capitale de la Belgique, officiellement bilingue, vit une interrogation existentielle, liée à l’incertitude qui pèse sur l’avenir de l’Etat. Elle affronte, de plus, un boom démographique sans précédent : en une décennie, la population des 19 communes a augmenté de 17 %. Pour analyser ce moment-clé, Le Vif/L’Express a réuni Charles Picqué et Rudi Vervoort, l’ancien et le nouveau, dans la résidence officielle du ministre-président, rue Ducale. Le bourgmestre d’Evere s’exprime avec la gouaille d’un rockeur sur le retour, version brusseleir, tandis que Picqué, le Saint-Gillois, cultive son style de bon-papa rassurant. Entretien.

Le Vif/L’Express : Ministre-président depuis 1989, avec une interruption de cinq ans, vous quittez la fonction. Laissez-vous la Région bruxelloise dans un meilleur état que celui dans lequel vous l’avez trouvée ?

Charles Picqué : Qu’a-t-on réalisé ? D’abord, on a fait fonctionner des institutions auxquelles on ne promettait guère de chances de succès, compte tenu de leur complexité. Ensuite, l’urbanisme. Le chaos urbanistique à Bruxelles, dans les années 1960 et 1970, c’était terrible. On a remis de l’ordre. On a aussi rénové les quartiers. Les 74 contrats de quartier, cela représente à peu près 800 millions d’euros dépensés pour enrayer leur dégradation. On a aussi maintenu une vitalité économique : le nombre d’emplois n’a jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui. Enfin, on a gagné le pari de l’internationalisation. Bruxelles est la deuxième ville de congrès au monde.

Il y a deux aspects avec lesquels je suis plus mal à l’aise. Le premier, c’est le taux de chômage. Bonne nouvelle : on a créé beaucoup d’emplois. Mauvaise nouvelle : on a dû gérer un phénomène exogène. Le nombre de Bruxellois en âge actif a augmenté de 21 % en douze ans, pour seulement 9,7 % en Flandre et 10,5 % en Wallonie. Si on avait connu la même croissance démographique que nos voisins, les chiffres seraient beaucoup plus supportables. Deuxième aspect : la mobilité. Depuis 2001, la fréquentation des bus, trams et métros de la Stib a augmenté de 70 %. Et là, on est face à un problème de moyens financiers. On s’est battu, au moment de négocier le nouveau contrat de gestion, pour un métro vers Schaerbeek et Evere. On aurait pu le faire plus tôt si on avait eu plus de moyens.

Etes-vous satisfaits de l’attitude de la SNCB dans le dossier du RER ?

C.P. : Pas du tout. Soi-disant, il n’y a pas d’argent pour le RER, mais Jannie Haek, le patron de la SNCB-holding, propose de creuser un tunnel de Forest jusqu’à Schaerbeek. Selon une logique ancienne : concevoir le train comme un moyen pour entrer dans Bruxelles et en sortir, mais jamais pour servir sa population bruxelloise. De tout temps, Bruxelles en a souffert. On utilise la ville, on se l’approprie pour faire du business, sans se soucier de ses habitants. L’Expo 58 constitue le parfait exemple de cette conception de Bruxelles comme ville d’usage.

Ce danger-là est écarté ?

Rudi Vervoort : Jamais totalement.

C.P. : Mais à partir du moment où les grandes décisions sont prises par des élus bruxellois, la peur d’une sanction populaire joue en faveur de la défense de Bruxelles. Quand on a développé le métro, on creusait sous terre, mais on ne reconstruisait rien en surface. Pourquoi ? Parce que les décideurs n’étaient pas sanctionnés électoralement. C’étaient des ministres nationaux. Ils s’en foutaient.

R. V. : La création de la Région bruxelloise, en 1989, a permis aux Bruxellois de rester maîtres de leur destin. Je me souviens de ce qu’était Bruxelles avant 1989… Depuis lors, il y a peut-être une qualité de vie qui s’est dégradée, mais c’est le lot de toutes les grandes villes. En revanche, au niveau de l’habitat, de l’espace public, du patrimoine, de l’équipement en matière de services publics, on a beaucoup progressé.

Convaincre vos collègues wallons du PS de faire du refinancement de Bruxelles une revendication centrale, lors de la formation du gouvernement fédéral, cela a été facile ?

R.V. : Très facile. Je me souviens bien des réunions d’août 2010, quand on se voyait à quelques-uns pour discuter des grandes options de la négociation. Tout de suite, le refinancement a été reconnu comme un point majeur pour le Parti socialiste. Elio Di Rupo connaît les problématiques urbaines. Il sait aussi que l’enjeu bruxellois est déterminant pour l’avenir du pays. Bruxelles, c’est la capitale, mais c’est aussi le caillou dans la chaussure de ceux qui veulent la fin du pays.

C.P. : Dans certains cénacles, j’entends des propos assez hostiles à la Wallonie, et en même temps une demande d’autonomie pour Bruxelles. Je leur dis : mais vous n’avez toujours rien compris ! Si on a de l’autonomie aujourd’hui, c’est grâce aux Wallons, qui nous ont appuyés politiquement. Sans les Wallons, on n’aurait pas obtenu le statut en 1989 ni le refinancement. On peut leur dire merci.

Vous avez, un temps, menacé de quitter le PS, pour créer un parti social-démocrate bruxellois. Pourquoi ?

C.P. : A l’époque, une forme de repli traversait la Wallonie. Ce courant était animé par des socialistes : Happart, Van Cau… Mais assez vite, les Wallons ont pris conscience que, pour leur propre destin, ils ne pouvaient pas ignorer Bruxelles. Pourquoi ? Parce que les chiffres tombent. Les deux arrondissements qui connaissent la plus grande progression, ce sont Nivelles et Louvain. C’est à ce moment, vers le milieu des années 1990, que Van Cau commence à comprendre lui aussi : il appelle son aéroport Brussels-South.

Vous avez songé à mettre vos menaces à exécution ?

C. P. : Je n’avais pris aucune disposition pour créer quoi que ce soit. Je voulais juste tirer l’alarme. Cela a été salutaire car ça a provoqué un débat sur les liens entre Bruxelles et la Wallonie. Pour l’anecdote, j’étais sorti dans la presse un samedi. Le lundi, je me rends à une réunion au parti. Je rentre dans l’ascenseur et, au moment où j’appuie sur le bouton pour monter au quatrième étage, quelqu’un rattrape la porte : Guy Spitaels, alors ministre-président wallon. C’est lui aussi que visait mon propos. Ces quatre étages ont été les plus longs de ma vie. Spitaels n’a pas dit un mot. Glacial.

Dans La Libre Belgique, le vice-Premier ministre et chef de file du MR bruxellois, Didier Reynders, a plaidé pour un axe PS-MR après les élections de 2014. Vous le suivez ?

R.V. : On parlait d’une ville d’usage. Je ne voudrais pas que Bruxelles soit utilisée juste pour des calculs politiques. C’est une des craintes que j’ai à propos de Reynders. Ses déclarations ne m’incitent pas à voir son arrivée avec bienveillance.

Pourquoi tant de méfiance à son égard ?

R.V. : Au bout de quelques mois, il ne peut pas prétendre connaître Bruxelles. Sa connaissance reste abstraite. Et puis, il veut introduire un schéma de division, et non de cohésion. A peine arrivé, il s’est signalé en disant que Molenbeek, c’était l’étranger… Il y a un autre problème : le MR, ces derniers temps, c’est un peu l’auberge espagnole. Entre ce que dit Didier Reynders et ce que dit Charles Michel, je dois croire qui ? Si c’est la parole de Reynders qui prévaut, ce n’est pas le modèle de cohésion qu’ont toujours défendu la quasi-totalité des partis bruxellois. Je n’ai pas tous mes apaisements par rapport au MR. Au sein de l’olivier (PS, CDH et Ecolo), mais aussi au FDF, je constate une plus grande cohérence quant à la vision d’avenir pour Bruxelles.

ENTRETIEN : FRANÇOIS BRABANT

 » Entre ce que dit Reynders et ce que dit Michel, je dois croire qui ?  » (Rudi Vervoort)

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