Menaces sur l’islam institutionnel

Qui cherche à déstabiliser le président de l’Exécutif des musulmans de Belgique, Noureddine Smaïli ? Attaques personnelles, intimidations physiques. Il a déposé plainte.

Un vent mauvais souffle sur l’islam et au nom de l’islam. Dans tous les sens. Gauche-droite, droite-gauche. Après la mise en cause du rôle néfaste joué par l’Arabie saoudite dans la radicalisation des esprits via le Centre islamique et culturel de Bruxelles (mosquée du Cinquantenaire), voici une figure progressiste, Ismaël Saïdi, auteur de la pièce Djihad, flingué en plein vol. Son tort : avoir voulu aller plus vite que la musique en réinterprétant le Coran à la lumière d’une herméneutique moderne, lui-même se bornant à mettre en scène des  » capsules  » idéologiquement révolutionnaires aux yeux de certains. Comme prétendre que le voile n’est pas une obligation religieuse… Le fatal faux pas.

Noureddine Smaïli, le président de l’Exécutif des musulmans de Belgique (EMB) depuis 2014, fait aussi l’objet d’une hargne caractérisée :  » Je crains pour ma vie, confie-t-il au Vif/L’Express. Je reçois des menaces, la lunette arrière de ma voiture a été cassé, un début d’incendie s’est déclaré dans la cave de l’Exécutif et on me demande de démissionner, c’en est trop ! J’ai déposé plainte.  »

Qu’a donc fait l’imam liégeois d’origine marocaine pour déclencher une telle hostilité ? Trois choses lui sont reprochées. Après les attentats contre Charlie Hebdo, avoir déclaré :  » Ceux qui n’aiment pas les valeurs européennes, qui ne respectent pas la loi du pays n’ont qu’à partir  » ; avoir impliqué l’EMB dans la commission Marcourt pour un islam de Belgique ; ne pas avoir suffisamment défendu le professeur de religion islamique Yacob Mahi dans la procédure disciplinaire ouverte à son encontre par la Fédération Wallonie-Bruxelles (400 pages accablantes pour celui qu’on surnommait le Tariq Ramadan bruxellois).

Sans qu’il les nomme, ses adversaires se recrutent dans le milieu bruxellois en général, la mouvance des Frères musulmans en particulier (lire page 34), l’entourage de la mosquée du Cinquantenaire, les inévitables jaloux. En interne, quatre opposants sur les 17 membres que compte l’Exécutif feraient du blocage systématique. Deux procédures visant des actes et décisions de l’EMB ont été introduites en justice. Les coups viennent de partout et, parfois, ils volent bas.  » On m’a traité de juif parce que j’avais porté la kippa à la grande synagogue, révèle le Belgo-Marocain. Mais je suis têtu : c’est un courant moderne qui gère l’EMB et nous n’en changerons pas, car nous aimons notre pays, la Belgique. Je n’ai pas peur.  » Malgré ces tensions, l’institution reste d’une remarquable stabilité, avec une administration professionnelle qui assure la continuité du service. Et, ce qui est arrivé rarement dans l’histoire de l’islam de Belgique, elle jouit du soutien du ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V).

 » La confiance est revenue au niveau de l’Etat « , confirme Noureddine Smaïli, dont le mandat s’achève dans un an et deux mois. A son actif, la formation contre la radicalisation des 500 professeurs de religion islamique de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui va être organisée en résidence, pendant trois jours ; la formation des imams dans le cadre d’un plan antiradicalisation et le lancement, à Louvain-la-Neuve (UCL), d’un certificat de didactique pour les programmes de religion islamique.  » Nous aurons, pour l’avenir, des diplômes universitaires « , se réjouit le président de l’EMB.

Chercheur associé à l’ULg, Jean-François Husson connaît très bien le dossier de l’islam institutionnel. C’est lui qui a été l’auteur principal du premier rapport ayant préludé à la mise sur pied de la commission éponyme. Celle-ci a cherché la voie d’un  » islam de Belgique  » et non  » en Belgique « , en veillant à une formation plus appropriée des cadres musulmans (imams, conseillers islamiques dans les prisons, professeurs de religion islamique…). Comme Ayoub Lamrini, le porte-parole de la Plateforme des musulmans de Belgique, pourtant en opposition avec l’EMB (lire en page 38), Jean-François Husson salue le travail fourni par l’administration de l’organe chef de culte, tant du côté francophone que flamand.  » On a resserré les boulons. L’Etat surveille beaucoup plus. Il n’y a plus de dérapages financiers. « . Hormis l’actuelle poussée de fièvre,  » il n’y a plus eu de psychodrames comme par le passé, poursuit-il. L’EMB a bien collaboré avec le SPF Justice dans la mise au point d’un plan antiradicalisation. Il s’est investi dans le travail de la commission Marcourt. Son président, Noureddine Smaïli, a participé à nombre de manifestations oecuméniques, tout en chargeant son Collège des théologiens de réagir sur des questions plus délicates comme celle du djihad.  »

L’extrême prudence idéologique de l’EMB n’a, cependant, pas empêché sa contestation, de la gauche (Ismaël Saïdi) à la droite (Frères musulmans).  » L’Exécutif des musulmans de Belgique est le fruit d’un processus de renouvellement qui a été livré clé sur porte, en 2011, à la ministre de la Justice, Annemie Turtelboom (NDLR : Open VLD) par les coupoles de 295 mosquées. Laurette Onkelinx, ancienne ministre de la Justice, lui aurait donné ce conseil : surtout ne pas faire comme elle, ne pas passer par des élections directes… Au terme de cette élection au troisième degré qui a conduit à la constitution de l’actuel EMB (17 personnes) et de son Assemblée générale (60 en 2014), il n’y a pas ou peu de femmes, pas de chiites ou de convertis. Mais les institutions ou organisations-coupoles sont, elles, tout à fait représentées, directement ou indirectement : la grande mosquée, la Dyanet turque, les mosquées marocaines…, et par conséquent, aussi, leurs affiliés « , souligne Jean-François Husson. Voudrait-on éviter l' » islam des ambassades « , les références nationales gardent leur importance, mais moins qu’on pourrait l’imaginer, quand les communautés ne sont pas suffisamment importantes pour avoir leurs propres lieux de culte.  » A Namur, les Pakistanais et les Subsahariens vont prier dans les mosquées marocaines parce qu’ils n’ont pas le choix de mosquées nationales comme à Bruxelles « , relève le chercheur.

Là où les organes représentatifs des musulmans sont particulièrement attendus, c’est dans leur contribution à l’effort national de déradicalisation.  » On ne peut rien faire sans eux, remarque Jean-François Husson, mais, en même temps, il faut des interventions à des niveaux de pouvoir différents. La Wallonie s’est hasardée très timidement et tardivement sur ce terrain. Alors que la Région flamande a inclus dans son décret sur les cultes des critères de reconnaissance beaucoup plus exigeants, qui permettent d’éloigner de la communauté toute personne ou activité qui ne seraient pas conformes, il n’y a rien en Wallonie. Le politique doit parfois balayer devant sa porte, même si je n’admets pas le reproche selon lequel rien n’aurait été fait pour donner au culte musulman les mêmes droits que les autres. Dès 1975-1976, les professeurs de religion islamique ont été payés par l’Etat, bien avant qu’il n’y ait un organe chef de culte, la clé de voûte de l’édifice institutionnel de l’islam en Belgique pour la reconnaissance et le financement des imams, des professeurs de religion, des conseillers islamiques dans les prisons…  »

Par Marie-Cécile Royen

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