Menaces à gauche pour le PS et Ecolo

A un an des élections régionales, certains espèrent une alternative de gauche. Et imaginent parfois de se rassembler. A la manoeuvre, notamment : Paul Lannoye. Revue des troupes.

Un nouveau coup dur pour Elio Di Rupo, Paul Magnette, Emily Hoyos et Olivier Deleuze ? Un nouveau souci, en tout cas. Plusieurs figures non alignées de la gauche francophone, en rupture avec le PS et Ecolo, songent à jouer un rôle actif dans la campagne électorale de 2014. Elles sont déterminées à mettre leur notoriété et leur expérience au service d’une nouvelle offre politique rouge-verte.

L’un des principaux acteurs de la pièce n’est autre que Paul Lannoye, 73 ans, père fondateur de l’écologie politique en Wallonie, numéro 1 d’Ecolo de 1980 à 1987, ancien sénateur, ex-président du groupe des Verts au Parlement européen. Il s’est retiré de la vie politique en 2004, après avoir échoué dans sa tentative de reprendre la tête du parti, face à Jean-Michel Javaux.  » Après mon départ, je n’ai pas créé de nouveau parti, confiait-il au Vif/L’Express, en mars 2012. Les temps n’étaient pas mûrs. Le positionnement actuel d’Ecolo mérite qu’on se penche à nouveau sur la question. Je crois qu’il y a des choses à faire.  » Le Namurois est passé de la parole aux actes. Il a mis sur pied plusieurs groupes de travail, noué des contacts, entamé une réflexion programmatique, avec en ligne de mire les élections régionales, fédérales et européennes de 2014.

Une de ses proches, Martine Dardenne, confirme :  » Oui, il y a quelque chose dans l’air. Toute une série de gens travaillent pour proposer une alternative en 2014.  » Coprésidente d’Ecolo de 1986 à 1989, parlementaire de 1989 à 2003, Martine Dardenne est l’une des figures historiques des Verts.

 » Nous nous organisons autour de deux piliers, l’écologie politique et la justice sociale « , complète une autre cheville ouvrière du projet, Jean-Baptiste Godinot. Celui-ci perçoit un  » vide complet  » à la gauche du PS et d’Ecolo. Le PTB ?  » Nous voulons proposer autre chose. Le PTB reste un parti rouge vif, il s’adresse à un public limité, alors qu’il existe une surface politique importante, autour de tous les dégoûtés de la politique.  »

L’autre source de bouillonnement à gauche de la gauche se situe du côté syndical. Le 1er mai 2012, le secrétaire général de la FGTB-Charleroi, Daniel Piron, appelait à la création d’une force politique nouvelle. Il insiste : il agit avec un mandat de l’ensemble des centrales professionnelles de Charleroi et du Sud-Hainaut.  » Le PS et Ecolo ne sont plus à même de défendre les travailleurs, assène-t-il. Depuis janvier, on a donc lancé plusieurs groupes de travail avec les partis dits de gauche radicale.  » Un meeting se tiendra le 27 avril à Charleroi. La FGTB compte mobiliser l’ensemble de ses délégués pour l’occasion. Mais Piron et les siens sont confrontés à un problème de taille : leur isolement au sein du syndicat socialiste. En-dehors de Charleroi, les principaux dirigeants de la FGTB restent tous dans l’orbite du PS. Et c’est à la CNE que réside le principal espoir de renfort. La centrale des employés du syndicat chrétien envisage de mobiliser elle aussi ses affiliés pour le meeting du 27 avril.

La CNE exclut par contre de soutenir ouvertement une liste en 2014.  » Nos statuts nous interdisent d’avoir des amis en politique « , tranche Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général. Mais les liens avec le CDH, le PS et Ecolo, les trois relais politiques habituels de la gauche chrétienne, sont plus distendus que jamais.  » Pour être clair, nous considérerons les députés qui vont bientôt voter le traité budgétaire européen, chacun, individuellement, comme des députés de droite. Et nous le ferons savoir « , martèle Van Keirsbilck. Pour bien faire passer le message aux Magnette et aux Deleuze, le syndicaliste avertit :  » Ils peuvent coller une étiquette rouge ou verte sur leur flacon, ça ne changera rien. Les élus qui voteront le traité n’auront pas notre confiance en 2014. Dans l’isoloir, cela éliminera déjà un paquet de monde.  »

Se fondre ou pas ?

Aux côtés des projets en gestation, plusieurs acteurs déjà inscrits dans le paysage cohabitent. Au premier rang : le PTB.  » Sous quelle forme irons-nous aux élections de 2014 ? Je ne peux pas encore répondre « , élude Raoul Hedebouw. Le porte-parole du parti marxiste prévient toutefois : pas question pour sa formation de se dissoudre dans un cartel électoral, type Front de gauche en France.  » Si on veut que la gauche de gauche entre au Parlement en 2014, il faut que les trois lettres PTB soient présentes dans la course. Beaucoup de gens ne comprendraient pas qu’on débarque en 2014 avec une étiquette qui sort de nulle part. Sur le plan électoral, ce serait aller au casse-pipe.  »

Une option que ne partage pas Bernard Wesphael. Le député wallon, ex-Ecolo, préconise l’union de toutes les formations de gauche radicale autour d’un nouveau vocable, La Gauche.  » Si on y parvient, on pourrait tourner autour de 10 % en 2014 « , assure-t-il.

Un nom revient avec insistance : celui de Sfia Bouarfa. La députée bruxelloise ne cache pas son admiration pour Jean-Luc Mélenchon mais elle ne quittera le PS que si un mouvement de grande ampleur se dessine, a-t-elle fait savoir. A Liège, la formation rouge-verte Vega, qui a décroché un élu aux élections communales, suit également les tractations en cours.  » On est prêts à soutenir une initiative de gauche, déclare son porte-parole, François Schreuer. Mais d’où ça pourrait venir, je n’en sais rien.  »

Vincent Decroly, ex-député Ecolo médiatisé par son rôle dans la commission Dutroux, entré en dissidence en 2002, espère lui aussi que  » quelque chose  » émergera d’ici au scrutin de 2014. Aujourd’hui juriste dans une association d’aide aux démunis, il s’enthousiasme pour le Front de gauche de Mélenchon.  » On sent quelque chose de fort qui émerge. Si une initiative de ce type voyait le jour en Belgique, je la soutiendrais avec plaisir. C’est quelque chose de nécessaire aujourd’hui, car il y a de plus en plus de gens dont la voix n’est portée par personne.  »

Depuis 1985, année où le Parti communiste a dû lâcher ses deux derniers sièges à la Chambre, la gauche radicale a perdu toute représentation parlementaire en Belgique. La tentative Gauches unies, soutenue à l’époque par la FGTB-Métal, s’est soldée par un fiasco : 1,6 % aux européennes de 1994.  » Nous ne voulons pas commette la même erreur, confie Daniel Piron. Nous travaillons à la constitution d’une alternative, mais en procédant pas à pas, sans nous enfermer dans un calendrier électoral.  »

Entre Bernard Wesphael, Paul Lannoye, Sfia Bouarfa, Raoul Hedebouw, François Schreuer et quelques autres, des contacts ont été pris. Mais les discussions achoppent sur plusieurs points. Pour éviter de se saboter mutuellement, les différents protagonistes pourraient se répartir les terrains : à Wesphael et Bouarfa, la Région ; à Lannoye et les siens, l’Europe ; au PTB, le fédéral.  » Cela fait partie des discussions. Mais c’est loin d’être acquis « , dit-on en coulisses.

Josy Dubié se montre pessimiste quant aux chances d’aboutir :  » Cela ne progresse pas aussi vite qu’on pourrait le croire.  » L’ex-sénateur Ecolo assure qu’il ne sera pas candidat en 2014, mais se dit prêt à mouiller sa chemise.  » Bernard Wesphael m’a demandé de rencontrer Raoul Hedebouw. Je peux jouer un rôle. Le problème, c’est que certains se croient les détenteurs d’une mission particulière, au lieu de se mettre au service d’un projet commun.  »

FRANÇOIS BRABANT

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