Mémoires d’outre-tombe

Dans ce troisième volet de son autobiographie fictive, le Sud-Africain J. M. Coetzee dévoile avec pudeur ses échecs et son amertume. Le livre le plus poignant du Prix Nobel 2003.

En décembre 2003, les jurés du Nobel ont couronné un géant, le Sud-Africain John Maxwell Coetzee, dont l’£uvre à la fois visionnaire et déchirée brille comme un soleil noir. Avec leur prose lapidaire et leur musique beckettienne, les romans de Coetzee sont des paraboles pour un temps de détresse, des fables bibliques où un compagnon du vieux Job tente d’apaiser les feux qui embrasent son époque.

Né en 1940 au Cap, aujourd’hui installé en Australie, l’auteur de Disgrâce – l’un des chefs-d’£uvre de la dernière décennie – a grandi sous l’étouffoir d’une société gangrenée par l’apartheid. Un long purgatoire remarquablement décrit dans Scènes de la vie d’un jeune garçon et dans Vers l’âge d’homme, deux récits autobiographiques où il rameute les démons de l’adolescence. Il sortira  » en lambeaux  » de ce monde trop brutal, s’exilera en Angleterre puis aux Etats-Unis, et ne se consolera qu’en se réfugiant dans la littérature.

L’Eté de la vie est le troisième volet de ces confessions. Des confessions qui commencent par une fiction : Coetzee imagine qu’il est mortà Il s’invente un biographe, M. Vincent, qui va raconter à sa place les années les plus décisives de son existence : celles de son retour d’exil, quand il fit ses premiers pas d’écrivain – entre 1972 et 1976 – dans une maison pouilleuse du Cap. A l’époque, le futur Nobel conduisait une camionnette aussi délabrée que lui, et vivotait en donnant des cours d’anglais. Il était solitaire, dépressif, totalement inadapté. Se sentait  » souillé  » par ce qu’il se passait dans sa patrie.

Les femmes ? Il en rencontra quelques-unes, ce ne fut guère brillant. Son biographe donne la parole à quatre d’entre elles : Julia, qui fut son éphémère maîtresse et le dépeint comme un autiste claquemuré dans  » une boule de verre « . Margot, une cousine qui aurait pu être son ange gardien mais qui, après leur séparation, ne retrouva qu’un être  » distant et froid « . Adriana, une danseuse brésilienne qui le rembarra parce qu’il était  » mou, insignifiant et désincarné « . Et Sophie, une Française qui se souvient de lui comme d’un  » outsider « .

D’une femme à l’autre, de confidences en anecdotes, c’est l’autoportrait d’un naufragé que brosse Coetzee : un spectre au c£ur aussi sec que le bush, un homme pour lequel  » l’été de la vie  » fut un terrible hiver affectif. Mais, dans le secret de ses rêves, cet homme-là était en train de creuser les fondations d’une £uvre éblouissante. S’il reste discret sur son travail d’écrivain, il nous donne des clés précieuses pour comprendre sa vision du monde à l’époque : un pessimisme déjà radical, même si le combat des Noirs dans son pays lui semblait légitime.  » La politique ne l’intéressait pas du tout, il la méprisait « , dit l’une de ses anciennes compagnes, qui ajoute :  » Aux yeux de Coetzee, nous ne renoncerons jamais à la politique parce qu’elle est trop commode comme théâtre où nous pouvons mettre en scène nos émotions les plus viles : la haine et la ranc£ur, le dépit et la jalousie, les instincts sanguinaires. En d’autres termes, la politique est un symptôme de notre condition déchue et elle exprime notre déchéance. « 

L’Eté de la vie, ce sont les Mémoires d’outre-tombe de Coetzee. C’est aussi son livre le plus poignant parce qu’il ne triche ni sur ses échecs, ni sur ses humiliations sentimentales, ni sur sa profonde amertume. Et, si l’auteur y prétend être  » un éteignoir « , il a su briser sa cuirasse pour se confesser à c£ur ouvert. Avec une pudeur magnifique.

L’Eté de la vie, par J. M. Coetzee, trad. de l’anglais par Catherine Lauga du Plessis. Seuil, 325 p.

ANDRÉ CLAVEL

un homme pour lequel  » l’été de la vie  » fut un terrible hiver affectif

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