Marqué par le montage numérique, le travail du photographe néerlandais Ruud van Empel (ici Floresta Negra#2, 2018) est forcément clivant. © COURTESY HANGAR, BRUSSELS.

Mémoire photographique

A la tête de Hangar, lieu montant révélateur du statut de l’image fixe à Bruxelles, Delphine Dumont revient sur les enjeux et les défis de la photographie en temps de crise.

 » Notre ambition consiste à devenir le lieu de la photographie à Bruxelles. Nous voulons également rassembler les synergies et envisager tous les développements, toutes les tendances propres à ce médium. Il est question d’être ouvert à l’ensemble des pratiques « , annonce tout de go Delphine Dumont, directrice du Hangar depuis juillet 2016. Le défi est de taille dans une capitale pour le moins frileuse en matière d’images fixes. Preuve manifeste de cet accueil plus que réservé ? Bruxelles ne peut pas compter sur l’un de ces très en vue  » Mois de la photographie « , comme c’est le cas à Paris, Berlin, Vienne, Los Angeles, Denver, Cracovie, Athènes ou même Bratislava.  » Quand j’ai débarqué en Belgique, il y a quinze ans, j’ai trouvé qu’il n’y avait pas beaucoup de lieux de photo- graphie à Bruxelles et que le 8e art était un peu le parent pauvre d’une ville réputée pour la qualité de ses collectionneurs d’art contemporain. J’avais en tête de faire surgir cet engouement pour la photographie en m’appuyant sur le bagage qui était le mien, à savoir la communication appliquée au monde de l’entreprise « , poursuit cette Française désormais installée au coeur de l’Europe.

De fil en aiguille, Delphine Dumont va oeuvrer pour améliorer cette situation. Elle raconte :  » J’ai d’abord collaboré avec Fotofever, le salon parisien, pour implanter deux éditions, en 2013 et 2014, sur le site de Tour & Taxis. Ensuite, avec un de mes clients, la banque Pictet, j’ai loué Hangar le temps de donner à voir Family, le très beau travail photo d’Anne-Catherine Chevalier. En discutant avec le propriétaire, Rodolphe de Spoelberch, on s’est dit qu’il était grand temps que Bruxelles puisse faire valoir un événement récurrent dédié à la photographie. C’est comme cela qu’est née, en 2015, l’idée du PhotoBrussels Festival, une manifestation annuelle assortie d’un programme d’expositions (40 adresses référencées), de workshops, de conférences et de visites guidées ayant pour objectif de réunir tous les amateurs, acteurs professionnels et collectionneurs de la photographie contemporaine pour un mois – une temporalité tout sauf innocente au regard du calendrier international évoqué plus haut. Le deal était que j’imagine les contours de cette programmation et que Hangar en accueille l’exposition emblématique autour d’un thème pré-établi.  »

Après quatre éditions fructueuses, dont la dernière autour de la nature morte s’est achevée en décembre 2019 et a attiré 10 000 visiteurs, cette ancienne usine de la place du Châtelain prend enfin sa pleine mesure après  » un cheminement à petits pas  » : depuis janvier dernier, les trois niveaux du lieu sont enfin consacrés à 100 % à la pratique photographique.  » Nous avons fait le grand plongeon, explique Delphine Dumont, après avoir longtemps alterné expositions d’art contemporain, comme par exemple celle du Camerounais Barthélémy Toguo, et propositions purement photo. Nous initions un nouveau rythme apte à faire vivre la photo tant à travers des expositions temporaires que par le biais d’un gros événement annuel fédérateur.  »

A g. : Delphine Dumont. / A dr. : Lors de la quatrième édition de PhotoBrussels Festival, Hangar a consacré un mur entier au travail du Français Vincent Fournier.
A g. : Delphine Dumont. / A dr. : Lors de la quatrième édition de PhotoBrussels Festival, Hangar a consacré un mur entier au travail du Français Vincent Fournier.© BENJAMIN BALTHUS – HANGAR, BRUSSELS

Un appel européen

Le 19 mars dernier, Hangar, une initiative entièrement privée, était sur le point de faire place au vernissage d’une rétrospective consacrée au photographe néerlandais Ruud van Empel, un artiste clivant en ce que son écriture est fortement marquée par le montage numérique sur ordinateur. L’occasion de se positionner un peu plus comme  » le «  lieu de référence bruxellois. Le Covid-19 en a décidé autrement, mettant un terme brutal au projet d’exposition. Depuis, l’adresse est dans les starting-blocks, comme le détaille Delphine Dumont :  » Nous sommes prêts à ouvrir au public (NDLR : aux dernières nouvelles, l’exposition Ruud van Empel commencerait le 19 mai pour une durée de deux mois), un peu comme une petite supérette, ce n’est pas très différent, nous pouvons laisser entrer les personnes par dix, en respectant distances sociales et mesures sanitaires. Au besoin, nous pouvons également mettre des masques à disposition.  »

Toutefois, pas question pour la directrice de Hangar et le mécène Rodolphe de Spoelberch de rester les bras croisés en attendant la réouverture.  » Après une première phase de sidération pendant laquelle on se demandait ce qui allait bien pouvoir se passer, on a pris une première décision assez révélatrice : nous avons fait le choix de continuer à travailler plutôt que d’opter pour la mise au congélateur de la structure. Une fois que nous nous sommes débarrassés des chantiers périphé- riques en cours, des tâches ingrates invisibles au public, on s’est posé des questions fondamentales. Comment aider les artistes alors que tout est à l’arrêt ? Comment rester connecté à la scène photographique ? Que pouvons- nous mettre en oeuvre pour faire répercuter ce que les photographes, êtres au regard aiguisé par excellence, ont à nous dire de la situation actuelle ?  »

Dans la foulée de ce questionnement, l’idée d’un appel à projet voit le jour. Très vite, le territoire en est circonscrit.  » C’est en constatant les divisions politiques au sein de l’Union européenne, ce manque d’unité face à la crise, que nous avons pensé qu’il fallait donner un horizon européen à notre idée, ouvrir les frontières. Face à l’abondance des images du confinement sur Instagram, nous avons également souhaité réserver cette proposition aux artistes photographes; il importe plus que jamais de les faire travailler « , ajoute la directrice. Le call en question, dont le thème est The World Within,  » le monde intérieur « , s’achève le 30 mai. A la clé de cette mission photographique incitant à relater son  » expérience du confinement  » ? Un fonds de 30 000 euros, partagé par les talents sélectionnés par un jury de six personnes ainsi qu’entre autres un accrochage lors de la 5e édition du PhotoBrussels Festival, prévue en novembre prochain. A l’heure d’écrire ces lignes, une septantaine de faiseurs d’images avaient répondu à l’appel. Une question légitime : aura-t-on envie de revoir ces images à un moment où, en théorie, on devrait être sorti de la pandémie ?  » Nous pensons que ce serait une erreur de passer trop vite à autre chose. Le confinement nous a enseigné quelques bonnes pratiques qu’il ne faudrait pas oublier. C’est l’occasion pour la photographie de faire mémoire. « N’oublions pas » pourrait être le message. Il y a aussi cet aspect de retour vers l’essentiel. Témoigner de ce qui importe vraiment loin des sujets se présentant de manière presque évidente devant l’objectif… « , répond avec aplomb Delphine Dumont.

hangar.art/call-for-photographers

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