Mélans et Avresses, combattants perchés

Statufiés en bord de Meuse, ambassadeurs de leur ville, les échasseurs namurois se défient, lors de joutes spectaculaires, depuis près de 600 ans.

C’est la légende qui le dit. Au xive siècle, lorsque les notables de Namur implorent Jehan de Flandre de leur pardonner leur rébellion, il leur répond vertement :  » Point de pardon, que vous veniez à pied, à cheval, en bateau ou en chariot.  » Rusés, les Namurois se présentent au comte perchés sur des échasses, déclenchant son hilarité.

Plus prosaïquement, une autre hypothèse, défendue par l’historien Félix Rousseau, affirme que ce sont les crues de la Sambre et de la Meuse qui poussèrent les habitants à utiliser des échasses pour garder les pieds au sec quand ils traversaient les rues inondées. Allez savoir…

Quoi qu’il en soit, les échasseurs existent déjà en 1411 : un document atteste que la Ville de Namur interdit alors la pratique de l’échasse, en raison des débordements engendrés par les combats. C’est la première d’une longue série d’interdictions qui émailleront l’histoire des échasseurs.

Car, non contents d’évoluer en hauteur, les Namurois ont pris l’habitude de s’affronter en deux camps, particulièrement durant la semaine du Carnaval. D’un côté, les Mélans, qui résident dans la vieille ville, à l’intérieur des trois premières enceintes. Ils sont reconnaissables à leurs échasses jaunes et noires, aux couleurs de Namur. De l’autre, les Avresses, venus des faubourgs, perchés sur des échasses rouges et blanches. Chaque clan pouvant rassembler 400 hommes, on imagine sans peine la pagaille qui régnait en ville lorsqu’ils se croisaient.

 » Notre échasse a la particularité d’être dotée d’un étrier, explique Claude Willemart, président de l’ASBL Les Echasseurs namurois. C’est ainsi qu’en soulevant l’échasse avec le pied, nous pouvons donner des coups aux adversaires. D’autres groupes pratiquent l’échasse en Belgique et en Europe, comme ceux de l’Ommegang ou les bergers des Landes, mais nous sommes les seuls à l’utiliser dans des combats. « 

Aujourd’hui, les Mélans et les Avresses rivalisent toujours sur les roulements martiaux des lansquenets, ces tambours impressionnants, mais la constitution des équipes n’est plus liée à l’origine géographique de leurs membres.  » Les nouveaux venus intègrent l’un des groupes en fonction d’affinités personnelles, détaille Frédéric Gilon, échasseur depuis près de vingt ans et vice-président de l’ASBL. Mais, une fois qu’ils ont choisi une équipe, ils y restent ! « 

Au fil du temps, rien ou presque n’a changé dans le déroulement des combats.  » Ce jeu moyenâgeux ne répond toujours à aucune règle, rappelle Claude Willemart. Sauf que celui qui a mis pied à terre ne remonte pas sur ses échasses. Et puis, on pratique un certain fair-play : le but n’est pas d’envoyer son rival à l’hôpital. « 

Pour la soixantaine d’échasseurs que l’association regroupe à présent, les Fêtes de Wallonie représentent le point d’orgue d’une saison marquée par diverses sorties à travers le monde et des combats d’apparat livrés en l’honneur des prestigieux invités de la ville : Charles Quint, Louis XIV ou… Albert II en ont profité.

Pas de risque, mais pas de cadeau

Après les différentes joutes organisées dans les quartiers de Namur, le combat de l’Echasse d’or, qui se déroule le dimanche après-midi des Fêtes de Wallonie, sur la place Saint-Aubain, est devenu un événement relayé par les chaînes télévisées locales et nationales. Pourtant, selon Claude Willemart, ce n’est pas le plus beau combat.  » Lors de cette épreuve, on ne prend pas de risques, afin de tenir le plus longtemps possible sur les échasses et de gagner. « 

Personne ne se fait de cadeau. Les plus jeunes compensent leur poids léger par une impressionnante agilité. Mais, une fois la joute terminée, aussi violente soit-elle, la rivalité disparaît entre les échasseurs, revenus sur terre…

E. S.

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