Medvedev-Poutine Qui est le patron ?

Le chef de l’Etat dirige la Russie en tandem avec un Premier ministre envahissant : son prédécesseur au Kremlin. Ou ne joue-t-il qu’un second rôle ? Enquête sur un duo qui a pris un nouveau poids depuis la crise géorgienne.

Cet été, au cours de la guerre en Géorgie, le chef de l’Etat russe, Dmitri Medvedev, a fait ses classes sur le tas. La mutation est impressionnante.  » Président, il a endossé le manteau de Vladimir Poutine, observe Lilia Chevtsova, analyste politique au centre Carnegie de Moscou. C’est le miroir de l’autre. Lorsqu’on le voit parler, il a les mêmes gestes, les mêmes expressions.  » Le ton aussi s’est affirmé, de plus en plus vindicatif. Cependant, reprend Chevtsova,  » dans le tango argentin qu’ils dansent ensemble, c’est le Premier ministre qui conduit « .

Bicéphale, comme l’aigle à deux têtes qui figure sur les armoiries de la Russie tsariste, empire qui s’étendait déjà sur deux continents, comment fonctionne, à Moscou, le sommet du pouvoir ? A quoi ressemble le tandem entre Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine, son Premier ministre et prédécesseur au Kremlin ? Est-ce une équipe ? Un maître et son disciple ? Ou un couple en rivalité potentielle ?  » Autour de Poutine s’est formée une sorte de  »famille », avance Olga Krychtanovskaïa, sociologue à la tête du Centre d’étude des élites (Académie des sciences de Russie). Il y a des frères aînés, tel le vice-Premier ministre Sergueï Ivanov – un ancien du KGB, comme Poutine lui-même. Medvedev, quant à lui, tient lieu de fils adoptif. Poutine a eu deux filles, mais il aurait voulu un garçon, selon certains de ses proches. Contrer le Premier ministre serait pure folie pour Medvedev : cela nuirait à ses propres intérêts. « 

Flagrante il y a quelques mois, la différence de style entre eux s’estompe. Sur le fond, hormis la préférence marquée de Poutine pour un  » capitalisme national « , contrôlé par la caste au pouvoir et ses alliés, les convergences l’emportent.  » Les deux dirigeants ont décidé ensemble de l’intervention militaire, en cercle restreint, presque en tête à tête « , confie, sous couvert d’anonymat, un observateur mêlé au dossier. Ils ont ensuite accusé Washington d’avoir armé la Géorgie et inspiré l’attaque de l’Ossétie du Sud. La majorité des Russes applaudit : 67 % d’entre eux ont désormais un jugement négatif sur les Etats-Unis, et 39 % sur l’Europe, selon un sondage récent du centre indépendant Levada. L’Union européenne, réputée à Moscou faible, tatillonne, manipulable et divisée, est une entité dont les officiels russes feignent de ne pas comprendre le fonctionnement, afin de mieux lui tenir la dragée haute. Medvedev et Poutine ont célébré comme une victoire le fait que l’Union ait renoncé à des sanctions contre la Russie :  » De toute façon, celles-ci auraient eu pour seul résultat d’aider les faucons de Moscou à transformer la Russie en camp retranché, souligne Lilia Chevtsova. Mais le laisser-faire de Nicolas Sarkozy a été tout aussi dangereux.  » Depuis l’accord de cessez-le-feu du 12 août, poursuit-elle, le tandem au pouvoir à Moscou  » n’a cessé de tester les limites de la patience occidentale « . En marquant des points.

Auprès des stratèges et politologues proches du pouvoir, la thèse la plus en vogue est celle du déclin irréversible de la puissance américaine, piégée en Irak, en Afghanistan et minée par l’effondrement de son capitalisme spéculatif. Quand le Département d’Etat proteste, sur le tard, contre l’invasion de la Géorgie, Poutine affirme haut et fort que la Russie ne subira jamais d’isolement international. Au Kremlin, son successeur se gausse de toute mesure de rétorsion :  » Nous ne sommes effrayés par rien.  » Pas même par une nouvelle guerre froide, clame-t-il, si les Occidentaux veulent s’y risquer. Et de revendiquer les  » zones d’intérêts exclusifs  » où Moscou entend exercer ses prérogatives.

 » Aux yeux de l’élite, et Medvedev le dit également, constate Lilia Chevtsova, la Russie ne peut exister sans sa sphère d’influence. L’objectif est de recréer non pas l’URSS, mais une sorte d’empire. C’est une stratégie du xixe siècle ou du début du xxe, condamnée à être temporaire. Dans une certaine mesure, le Kremlin en est conscient, mais tout est fait pour la prolonger le plus longtemps possible.  » Le chef de l’Etat et son Premier ministre rejettent a priori tout élargissement ultérieur de l’Otan, songeant plutôt à faire refluer l’Alliance. Medvedev a proposé à cette fin un pacte de sécurité paneuropéen que Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie russe, s’échine à promouvoir, en pure perte.  » C’est une coquille vide « , estime un diplomate européen.

Qui est le président ? Un clone ? Un hologramme ? Un porte-voix ?  » Le chef de l’Etat se contente d’agir dans la marge indiquée par le metteur en scène, à savoir Vladimir Poutine « , résume Olga Krychtanovskaïa. L’administration présidentielle y veille. Sa composition est restée presque inchangée depuis la passation de pouvoir. Parmi la cinquantaine de personnes qui occupent les fonctions les plus importantes,  » 84 % sont restées en place « , souligne la sociologue. Les discours du président  » sont rédigés par Jakhan Pollieva, Natalia Timakova et son équipe, qui préparaient déjà ceux de Poutine « . Celui-ci y ajoutait sa touche personnelle.  » Medvedev n’a pas le verbe mordant de Poutine. Il utilise le texte tel qu’il est. « 

Du vocabulaire à l’accoutrement, pourtant, le président fait des efforts. Ainsi a-t-il traité Mikheïl Saakachvili, son homologue géorgien, de  » cadavre politique  » et d' » avorton « . Il raille les  » douleurs fantômes  » dont souffriraient les Etats baltes, obsédés, à ses yeux, par une menace russe imaginaireà On est loin du langage  » politiquement correct  » de ses débuts. Abonné naguère aux n£uds de cravate impeccables, il suit désormais l’exemple de son mentor. Ces temps-ci, on l’a vu dans la région d’Orenbourg en tenue de camouflage, observant aux jumelles des man£uvres militaires ; ou encore en uniforme de la marine, sur une base navale du Kamtchatka, se hissant hors du Saint-Georges-le-Victorieux, sous-marin nucléaire de 30 ans d’âge. A l’équipage aligné au grand complet, le président promet que la crise financière ne changera en rien ses plans de modernisation des forces armées.  » Nous avons assez de ressources matérielles et intellectuelles pour ne dépendre de personne. « 

Faux, objecte Pavel Felgenhauer, spécialiste des questions militaires.  » La Russie ne produit pas de drones, rappelle-t-il. Ses 20 000 tanks sont aveugles la nuit, faute d’être munis de viseurs thermiques : il a fallu passer contrat avec la société française Thales pour s’en procurer.  » Malgré la victoire proclamée sur la Géorgie, les militaires russes ont fait quelques découvertes cuisantes sur l’arriération de leur matériel. Nommé, il y a peu, chef des équipements, le général Vladimir Popovkine préconise sans ambages d’acheter de la technologie occidentale.  » Dans ce domaine, conclut Felgenhauer, la coopération est inévitable. Mais nombre de hauts gradés veulent une confrontation avec l’Ouest, pour obtenir ainsi plus de subventions.  » Vladimir Poutine vient d’annoncer 25,7 % d’augmentation, en 2009, du budget de la défense – soit quelque 51 milliards de dollars au lieu de 40 en 2008 – et plus de 45 % d’ici à 2011.

Auparavant, la priorité de Dmitri Medvedev était de rénover le pays et ses infrastructures. De mener à bien des réformes trop longtemps différées. Et de  » construire une société libre et juste « , affirmait-il en juin dernier, adossée  » aux droits de l’homme, à la liberté d’expression et de la presse, et bien sûr à la suprématie de la loi « .

Conseiller depuis douze ans de l’administration présidentielle, Gleb Pavlovski a évoqué l’existence d’un  » parti de la guerre « , au sein du Kremlin, qui poussait à attaquer la Géorgie. La formule a fait grand bruit :  » C’était une métaphore, explique-t-il. La guerre simplifie les positions. Pour certains, c’est bien plus confortable. Le programme de modernisation du pays, lui, signifie plus de contrôles et des obligations de résultat. On attend à présent que le chef de l’Etat revienne du front, si j’ose dire, pour s’y atteler.  » Habile, il laisse entendre que Dmitri Medvedev a été stupéfié par le refus de Washington d’intervenir auprès de Tbilissi, dans la nuit du 7 au 8 août dernier, pour faire cesser les tirs contre les Ossètes du Sud. En revanche, il n’a pas apprécié  » la campagne aux relents racistes menée par les médias occidentaux contre la Russie « . La conclusion tombe : aujourd’hui,  » il y a deux pôles de pouvoir en Russie, donc davantage de pluralisme « . Qui s’en plaindrait ?

Le 2 octobre, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a condamné les agissements de la Russie en Géorgie, réclamant l’annulation de la reconnaissance par Moscou de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. En attendant, la conférence internationale de Genève, à partir du 15 octobre, consacrée à ces régions séparatistes de Géorgie, paraît plutôt mal engagée. En raison des désaccords persistants avec la Russie, elle serait réduite  » au niveau des experts « . Comble d’embarras, le chef de l’Etat français, qui en a proposé la date, a perdu de vue le Conseil européen qui s’ouvre le même jourà Fâcheux.

Sylvaine pasquier avec Alla Chevelkina

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