MÉDECINE

Coincés entre l’enfant roi et l’adulte consommateur de soins, les adolescents sont restés pendant longtemps les grands oubliés du système de santé et de ses acteurs. A présent, « place aux jeunes »?

Mais il est où? Le pédiatre a beau le chercher, il ne l’aperçoit pas. Et pour cause: l’adolescent a déserté les petites chaises, laissé les Lego aux gamins de 5 ans et abandonné la salle d’attente au bébé qui piaille. Mal à l’aise, il a fui. Lui, il attend son tour… dans le couloir. Mais, en fait, chez le pédiatre ou le généraliste, ont-ils vraiment une place, ces jeunes entre deux âges?

Devant la mère qui accompagne son « acnéeux » de 16 ans ou une demoiselle de 15 ans qui souffre de maux de ventre, le docteur osera-t-il évoquer les difficultés liées à l’éveil et aux risques de la sexualité? Prendra-t-il le temps d’entrer dans une discussion sur ces quelques kilos en trop qui s’accumulent? Demandera-t-il au jeune s’il est fatigué ou s’il souffre de troubles du sommeil, fréquents et susceptibles d’avoir des conséquences sur le comportement et les apprentissages? Et le jeune? Parlera-t-il au thérapeute des heures passées seul dans sa chambre, de ses migraines, de sa sexualité et de ses risques éventuels, de son mal-être?

Réunis, le 9 mars dernier, au troisième symposium de la médecine des adolescents (1), pédiatres, généralistes, infirmiers sociaux et médecins scolaires, l’ont avoué: « Au cours de notre formation, les pathologies et les problèmes liés à l’adolescence n’ont pratiquement jamais été abordés, sinon, au mieux, en quelques heures. » Depuis quelques années, pourtant, « une nouvelle médecine, destinée à ces grands oubliés, est en train de naître, dans nos têtes et sur le terrain », assure le Pr André Kahn, chef du service de pédiatrie de l’hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola (HUDERF). Car tous ces jeunes, même s’ils ne vont pas forcément « mal », et même s’ils restent souvent silencieux, ont des besoins médicaux. Et ils doivent être informés, écoutés, pris en charge avec des conseils de prévention spécifiques. Des services adaptés, comme au CHU de Liège ou dans la consultation hebdomadaire de l’HUDERF, sont nés de cette philosophie. Un certain nombre de soignants participent, également, à la mise en place de réseaux destinés à sortir les adolescents du no man’s land de la médecine. Mais, pour ce faire, encore faut-il mieux connaître ces jeunes…

« L’adolescence est un passage, un processus qui débute vers la puberté et dont la fin est nettement plus floue, allant parfois jusqu’à 25 ans, constate Edith Goldbeter, docteur en psychologie et thérapeute familiale à l’hôpital Erasme. L’adolescent cultive un lien d’appartenance très fort (à sa famille, à ses parents et/ou à ses pairs) au moment où il entre, aussi, dans le temps de la séparation. Les bouleversements qu’il traverse devront être réglés par des décisions d’autant plus difficiles à prendre que le jeune n’a jamais été confronté, auparavant, à ce type de situations. »

Une étude américaine a montré que, depuis quelques années, le niveau des risques encourus par les adolescents était bien plus élevé qu’auparavant. Au programme: alcoolisme, toxicomanie, activité sexuelle non protégée, délinquance, troubles alimentaires, victimisation par la violence, la dépression. Ainsi, « au moment où le groupe de copains devient une valeur essentielle pour lui, les risques de solitude et de dépression s’accroissent si le jeune n’a pas une bonne estime de soi et/ou s’il ne trouve pas une bonne bande. Chez les jeunes de familles génétiquement vulnérables à la dépression, le premier épisode dépressif se manifeste souvent à ce moment-là », relève Edith Goldbeter.

Comble de malchance, l’adolescence est, aussi, un moment qui tombe particulièrement mal… dans la vie des parents. Ces derniers sont à mi-parcours de leur existence. « Confrontés au vieillissement de leur corps, ils se réévaluent et reconsidèrent aussi leur mariage, poursuit Edith Goldbeter. Des vécus moyennement satisfaisants au niveau du couple deviennent intolérables, des projets personnels jamais réalisés semblent devoir se concrétiser immédiatement, avant les obstacles de l’âge. »

De surcroît, les difficultés des adolescents correspondent également à l’entrée des grands-parents dans la dernière phase de leur vie. Les parents sont, souvent, confrontés à une double séparation: celle de leurs enfants et le deuil de leurs propres parents. « Certains auront du mal à vivre la préparation de la phase du « nid vide », à accepter que le temps de la famille tournée vers l’intérieur s’achève. D’autres, au contraire, et cette tendance semble de plus en plus fréquente, vont croire que leur enfant est beaucoup plus indépendant qu’il ne l’est en réalité. » Ce « syndrome » touche souvent des parents sur-impliqués dans leur vie professionnelle, leurs loisirs, leur vie sociale. Face à eux, les adolescents, perturbés, ressentent, alors, cette attitude comme un manque d’attention ou un abandon.

Pendant cette période d’instabilité et de recherche de nouveaux équilibres pour toute la famille, les adolescents risquent de developper des symptômes divers. Le jeune tente ainsi, de manière non délibérée, inconsciemment, de réunifier ses parents, de maintenir le ciment familial, de figer le temps. « Faire manger une anorexique, cela rappelle des choses connues, cela projette la famille dans le passé, quand il fallait faire manger le bébé, souligne Edith Goldbeter. En fait, dans toute entité familiale, l’adolescence nécessite un remaniement en profondeur des structures et des rôles assumés par chacun. » Pour traverser ces mutations, un bon interlocuteur extérieur, un référent adulte, n’est souvent pas de trop… C’est, exactement, le rôle que pourraient tenir médecins, pédiatres ou gynécologues, ces derniers se trouvant particulièrement bien placés pour accompagner les jeunes filles dans une nécessaire étape de leur autonomisation: l’entrée dans la sexualité.

« L’adolescent doit avoir l’assurance que la consultation restera confidentielle, souligne au préalable le Dr Nicole Athéa, gynécologue et responsable d’un centre de planning familial à l’hôpital Necker, à Paris. L’aide qui sera alors apportée au jeune ne relève pas seulement d’un travail d’information ou du contrôle de l’existence de maladies sexuellement transmissibles. Sans voyeurisme ni jugement moral, nous pouvons leur permettre aussi de se poser la question du sens qu’ils donnent à leur sexualité et, donc, parler de leurs comportements et des éventuelles prises de risques. »

Diverses études confirment que l’arrivée du sida n’a changé ni l’orientation sexuelle, ni l’âge de l’entrée dans la sexualité, ni le type de pratiques sexuelles, ni le nombre de partenaires. « La seule modification notable concerne les comportements contraceptifs, avec l’utilisation du préservatif et, en parallèle, la diminution de la pilule, précise le Dr Nicole Athéa. Une enquête montre que, lors du tout premier rapport sexuel, le préservatif est utilisé dans 75 % des cas et qu’une sur cinq prend la pilule. Parmi ces dernières, seules 19 % emploieront ensuite un préservatif avec leur partenaire. On sait, pourtant, qu’il peut prévenir des infections comme le sida (20 % des contaminations ont lieu pendant l’adolescence), la gonoccie, l’hépatite B, la syphilis, la clamydiose ou, dans une moindre mesure, l’herpès et le papillomavirus.

Des messages adaptés

Le fait que les adolescents utilisent des préservatifs comme alternative contraceptive n’a pas entraîné de « catastrophes », constate la gynécologue. « Néanmoins, une étude britannique montre que l’efficacité du préservatif dépend de la motivation de son utilisateur. En clair: les préservatifs « craquent » moins souvent qu’on le prétend, mais il est plus facile de l’incriminer… que d’avouer qu’on ne l’utilisait pas! Face aux modifications des comportements sexuels, les soignants doivent donc adapter leurs messages. Et dire aux adolescents que le préservatif est un bon outil, pour autant que l’on soit informé, aussi, de la contraception d’urgence. »

Etre vigilant, attentif, présent… et formé pour recevoir les plaintes spécifiques des adolescents: pour devenir leurs interlocuteurs, les thérapeutes devront relever bien des défis. Mais l’enjeu est de taille. Comme le rappelle le Pr Jean-Pierre Bourguignon, chef du service de pédiatrie ambulatoire au CHU du Sart Tilman, à Liège, à défaut, « 10 % de la population de notre pays ne sera pas reconnue dans ses besoins médicaux ».

(1) Organisé par l’hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola (Bruxelles) et le Réseau de médecine de l’enfant Iris, avec le soutien du FNRS.

Pascale Gruber

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