Episode culte de l'émission Strip-Tease " La soucoupe et le perroquet " (1993), est avant tout une histoire d'isolement. © CAPTURES YOUTUBE

Mauvaises nouvelles des étoiles

Dans Mauvais plan sur la comète, biographie savoureuse et stylée, Jean-Charles Chapuzet relate l’histoire de Jean-Claude Ladrat, antihéros de l’un des épisodes les plus fameux de l’émission Strip-Tease.

 » Le magazine qui vous déshabille  » a marqué de son empreinte l’histoire de la télévision. Parmi les belles heures de Strip-Tease, La Soucoupe et le perroquet (1993) devient très vite culte. S’y dévoile un duo atypique, un peu à la masse, sis dans le village de Germignac, en Haute-Saintonge. Entre deux ventes de poireaux sur les marchés, Jean-Claude Ladrat et sa mère s’attellent à la construction d’une soucoupe volante… Enfin, surtout Jean-Claude, couvé sous l’aile protectrice de Suzanne, éprise de son perroquet Nini dont elle conserve précieusement la dépouille dans une boîte en fer blanc. Devant la télé, mère et fils dînent de sardines, non loin de l’autel votif où s’illustrent Frédéric François et MacGyver, un autre as du bricolage avec papier sulfurisé et fils de cuivre. Comment ça marche ? –  » Pa-ra-nor-ma-le-ment !  »

Jean-Claude, veux-tu faire une soucoupe ?

Dans la sphère en bois trônant dans le jardin déplumé ?  » Il y a le lit, les manettes, les réacteurs, les légumes frais au cas où elle décolle soudainement et la carabine pour les extraterrestres.  » Jean-Claude y dort souvent pour accumuler le fluide mental qui servira à la propulsion de l’engin. L’ascension médiatique, elle, est immédiate. L’incroyable tandem suscite la sympathie et devient un objet non identifié de curiosité. Tous les journalistes accourent.  » On tient l’halluciné qui va faire sensation, les élucubrations autour des extraterrestres sont vendeuses, les frères Bogdanoff ont le menton qui pousse, l’ésotérisme a le vent en poupe « , rappelle Jean-Charles Chapuzet. Dans Mauvais plan sur la comète, le journaliste friand de Truman Capote ( » De sang-froid, c’est quand même la référence ! « , lâche-t-il) revient sur les épisodes qui ont jalonné le parcours de Ladrat : l’enfance compliquée, une première soucoupe flottante, la seconde et l’emballement que l’on sait, puis la chute lors d’une vilaine histoire de moeurs.

Suzanne, la mère, veille sur son fils et... sur son perroquet.
Suzanne, la mère, veille sur son fils et… sur son perroquet.

L’origine d’un destin

Si l’épisode de Strip-Tease attise en 1993 toutes les curiosités, beaucoup ignorent l’existence d’une première soucoupe flottante, larguée en 1983 au large des côtes sénégalaises et destinée à rejoindre le triangle des Bermudes… Dans son essai, Chapuzet reconstitue cette folle épopée, décidée par Jean-Claude après qu’un esprit Atlante aurait pris contact avec lui lors de ses années de marine marchande. Sur le pétrolier, Jean-Claude dîne, prend sa douche et se couche tôt :  » […] durant mon sommeil, quelque chose en moi s’est réveillé. […] J’étais tout surpris, je volais dans la cabine… Alors moi j’étais sorti de mon corps […]  » Plongé dans un état de transe, le bon Terrien charentais entend une voix lui demander :  » Jean-Claude, veux-tu faire une soucoupe ?  » L’origine d’un destin…

Lorsque des objets issus de la pop culture resurgissent sous le feu des projecteurs, l’occasion fait parfois le larron de la moquerie… Pas ici. Evoquant la ruralité et le déterminisme social, Chapuzet ne se pose pas en gardien du temple mais ancre véritablement son enquête, terreau d’un regard sur la société.  » Oui, il y a l’isolement, c’est la trame. J’ai voulu travailler sur l’humain, sur des décors, des paysages. C’est tout un ensemble : les années 1990, les saisons, la misère, les produits phytosanitaires pour l’industrie du Cognac, la corruption, la politique… Sans s’appesantir, ça emmène.  » Refusant de glisser sur la pente de l’ironie, Chapuzet rejoint le dessein des créateurs de Strip-Tease, Jean Libon et Marco Lamensch, qui pariaient sur l’intelligence du spectateur. –  » Il y a un peu de ça, même si évidemment le format est complètement différent : dans Strip-Tease c’est zéro commentaire, alors que moi je ne fais que du commentaire, mais j’essaie toujours de prendre une distance. Le lecteur est libre : je l’emmène, on sort, on va peut-être s’engueuler, mais je ne le prends pas par la main, je ne lui indique pas à quels endroits il faut qu’il rigole, ou bien qu’il pleure.  »

Mauvais plan sur la comète, par Jean-Charles Chapuzet, éd. Marchialy, 190 p.
Mauvais plan sur la comète, par Jean-Charles Chapuzet, éd. Marchialy, 190 p.

Fan d’anthropologie, celui qui est historien de formation laisse poindre une tendresse à l’égard  » du cosmonaute autodidacte qui a fait une soucoupe pour se barrer « . Ainsi évoque-t-il La Linea, le dessin animé italien phare des années 1980, dans lequel un personnage vit sur une ligne horizontale :  » Soûlés d’entendre parler du sida et de l’éclatement de la Yougoslavie, on se retrouve davantage dans ce trait de crayon d’où s’extrait un personnage poussant des cris contre le monde absurde qui l’entoure. Le chômage nous est aussi promis, il nous reste le déni de réalité.  » L’écrivain oeuvre à trouver la mesure, la juste distance avec ses personnages. Suzanne, sa faconde impayable et surtout Ladrat, sa verve de bonimenteur sont ce qu’on appelle dans le jargon de bons clients.  » Il a ce talent. Il ne le fait pas exprès. A l’oreille, il est drôle. Il a un accent d’enfer, il a de la répartie, c’est du Audiard. Il a réponse à tout, du vocabulaire, il s’est documenté sur les soucoupes, la Lune, l’astronomie. C’est un bonimenteur, c’est vrai, mais pas un menteur. J’ai recoupé les informations, et ce n’est pas un mythomane : les 91 jours qu’il passe dans l’Atlantique, c’est stupéfiant.  »

 » Ça pue le fait divers  »

Reste le dernier volet des aventures de Ladrat, sinistre. Une affaire d’attouchements sexuels sur mineures. Si les émissions le montrent aimable, sous ses airs bonhommes perce une inquiétante étrangeté.  » Ça pue le fait divers.  » Un volet que le journaliste aborde presque à reculons dans le livre, tant il aurait aimé découvrir une affaire montée de toutes pièces. Mais Ladrat avoue. Coupable, il passe quelques années en prison.  » Là, je touche à mon tragi- cosmique, concède Chapuzet. Il y a la montée, le climax, la chute. Je ne suis pas voyeuriste, j’espère que ça se voit, et qu’on sent que mon livre se pose là : « Attention, on se marre, c’est cool, mais il y a des victimes dans cette histoire. » Mais je suis obligé d’y aller. Si je n’ai pas ça, il manque quelque chose. Ladrat, c’est mon anti-héros. C’est une notion magnifique. Il a perdu sa quête des Bermudes, il a fait de la taule, c’est un loser absolument attachant.  » N’en déplaise aux Ladrat ( » Y a des choses qu’on sait pas, si on savait tout, ça serait trop beau ! « ), Chapuzet signe une bio ultrasubjective ou  » gonzo « , richement documentée, faisant toute la lumière – et tant pis si elle ne vient pas des étoiles – sur l’itinéraire d’un enfant pas gâté.

Retrouvez l’actualité littéraire aussi dans Focus Vif : cette semaine, notamment, Microfictions 2018 de Régis Jauffret, nouveau volet d’une entreprise littéraire mégalo et miniature, page 42, et Apprendre à lire, premier roman et récit initiatique de Sébastien Ministru, page 43.

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