Maurane en Madame Claude

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Reprenant Claude Nougaro en quinze titres, la chanteuse bruxelloise rend hommage au génie du Toulousain sans vraiment en restituer l’intensité viscérale.

On aurait pu avoir un album Big Bazar. Maurane ayant toujours adoré Michel Fugain et ses envolées arc-en-ciel. Mais dans la gravité de Claude Nougaro, l’ado Maurane -née en 1960 – trouve une âme jazz-soul, un bout de négritude, qui la transporte profondément. A l’annonce d’un album de reprises du boxeur de mots toulousain, la page semble ouverte. Maurane a un (considérable) talent pour la mélancolie, le désespoir, les interstices de douleur qui caractérisent le répertoire de Nougaro, sa mise en abyme perpétuelle. Nougaro a compris que les meilleures chansons couchent entre deux mondes, qu’elles créent elles-mêmes leur intimité, entre chagrin et jubilation. Et Maurane n’est jamais aussi convaincante que dans le spleen et les brumes de la chanson dénudée, par exemple quand elle se retrouve accompagnée du seul piano d’Arnould Massart. Ce Nougaro était peut-être l’occasion d’un coup de folie, de s’offrir par exemple une production de Daniel Lanois ou Renaud Letang (1). Non, elle a choisi de s’entourer de jazzmen respectables et de confier la réalisation artistique à Alain Cluzeau, qui a travaillé avec Bénabar et Olivia Ruiz, succès au top 50.

Et, de fait, ce disque a le son que l’on peut imaginer avant d’en avoir entendu la première note : des arrangements formidablement propres sur eux, colorés de cordes bienveillantes et d’éclaircies acoustiques millimétrées. Le tout exécuté sur le fil de partitions dépourvues d’anicroches. Le rythme original des chansons est généralement modifié, volontiers ralenti en ballades, et Maurane de laisser aller sa voix précieuse sur ce monde de velours. Elle rentre dans le flanc des cordes épaisses sur Toulouse, caresse la musique espagnole dans La Danse, croise le style BO de film d’anticipation sur Bidonville, etc. Sa voix donne généralement l’impression de planer assez haut, épanouie, complice, accomplie. Mais la rencontre de ces deux éléments – le grain d’ivresse de Maurane et les riches orchestrations – produit assez vite un effet anesthésiant, plus sinueux que sensuel. Il suffit d’écouter les coups de cuivres sur Le Coq et le pendule pour mesurer la différence entre la musique de Nougaro, rauque, suante, ouverte aux coups de chaleur, bourrée de coups de poing et de coups de rein, et ce disque confortable, bobo. Ce qui fonctionne à petites doses – sur Rimes ou Il y avait une ville – l’élégance sophistiquée finit par enliser le répertoire dans un énorme champ de conventions. En entendant les orchestrations quasi hollywoodiennes de L’Espérance en l’homme, on se demande d’ailleurs si le producteur n’a pas d’abord réalisé un disque pour lui-même… On ne dit pas qu’il fallait réquisitionner un big band hardcore pour faire bouffer du lion aux mélodies du Toulousain, mais un peu d’acide, de vinaigre, de sel, d’accroc – de vie…- dans cette déclaration de (trop) bonnes intentions musicales aurait davantage honoré l’indomptabilité majeure des chansons de Nougaro. Parce qu’au fond c’est bien là leur vocation, non ?

(1) Lanois a produit Dylan et U2, Letang a travaillé avec Manu Chao, Feist ou Raphael. Tous deux créent un son généralement organique et inventif.

CD Nougaro ou l’espérance en l’homme, chez Universal, dès le 25 août. En concert du 30 septembre au 2 octobre, au Théâtre 140, www.theatre140.be

PHILIPPE CORNET

les meilleures chansons couchent entre deux mondes

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