Mars contre-attaque

Des marques mondiales, des racines américaines, une société 100 % familiale… Près de cent ans après sa naissance, le champion mondial de la confiserie et des aliments pour animaux est resté simple… et discret.

Dès qu’il pénètre dans l’usine de fabrication de M&M’s d’Haguenau, en Alsace, le QG de Mars Chocolat France, le visiteur comprend vite qu’il vient d’atterrir sur une autre planète. Inutile de chercher le bureau du PDG. Ici, comme dans tous les autres sites du géant de la barre chocolatée, le patron est installé au centre d’un open space de 3 000 mètres carrés, entouré de son comité de direction. Pas moins de 300 bureaux impersonnels sont ainsi regroupés dans un immense bâtiment industriel. Aucune cloison, très peu d’armoires, juste une pièce vitrée pour les machines à café et les boissons. Le va-et-vient incessant et le brouhaha continuel ne semblent gêner personne. Tout ce petit monde pointe chaque matin, y compris les cadres dirigeants. Et les plus ponctuels sont gratifiés d’une prime de 10 % sur leur fiche de paie. Le soir, chacun doit vider la place. Bienvenue chez les Martiens !

Fondé en 1911 par l’Américain Frank Mars, cet ovni de l’agroalimentaire est la plus grosse entreprise dans le monde contrôlée à 100 % par une famille. A sa tête, Forrest Jr., John et Jacqueline Mars, les trois petits-enfants de Frank, sont classés par le magazine Forbes au 46e rang des plus grandes fortunes du globe, avec un patrimoine estimé à 14 milliards de dollars chacun. Mais la génération au pouvoir n’est plus aux commandes : le PDG, Paul Michaels, n’est pas issu du clan.

Champion mondial des barres chocolatées et de la confiserie, Mars Incorporated (25 milliards de dollars de chiffre d’affaires) est aussi, ce que le public ignore, le leader des aliments pour animaux de compagnie et le n° 1 du riz, avec Uncle Ben’s. Parmi les 18 marques mondiales du groupe, M&M’s, Snickers, Pedigree et Whiskas réalisent chacune plus de 1 milliard de dollars de recettes annuelles. Mais la planète Mars, c’est aussi Twix, Bounty, Celebrations, Maltesers, Balisto ou, bien sûr, la barre Mars, connue des Européens mais jamais commercialisée aux Etats-Unis. Là-bas, la célèbre friandise s’appelle Milky Way, autrement dit la  » voie Lactée « .

Concurrent de Nestlé, Mars, à la différence du géant suisse, n’est pas coté en Bourse. Cette singularité a permis à ce groupe ultrafermé, dont le siège historique est en Virginie, à McLean – comme la CIA – de rester presque aussi secret que la célèbre agence d’espionnage américaine. Mis en cause dans de nombreuses campagnes anti-obésité, l’empire est toutefois contraint de lancer depuis quelques mois une contre-attaque médiatique. Le rachat, en avril dernier, du champion mondial des chewing-gums, Wrigley (plus connu chez nous sous sa marque Freedent), l’a également placé sous les feux des projecteurs. D’autant que, pour régler la facture de 23 milliards de dollars, les Mars ont été obligés, pour la première fois de leur histoire, de s’associer. Et pas avec n’importe qui ! Leur bailleur de fonds n’est autre que le self-made-man Warren Buffett, première fortune mondiale, qui leur a ouvert une ligne de crédit de 4,4 milliards de dollars. Si la nouvelle a fait grand bruit, c’est aussi parce que Wrigley est cotée en Bourse, et donc tenue d’informer ses actionnaires.  » Mars est très fort en marketing et Wrigley, bien implantée en Asie. Or, à l’avenir, la croissance viendra de cette région. Voilà une union très complémentaire « , commente Peter Mensing, vice-président de la société de consultants Booz and Company.

 » Qualité, responsabilité, mutualité, efficacité et liberté  » : ces principes, édictés par Forrest Mars, patron paternaliste, autoritaire et avant-gardiste, font figure de tables de la Loi, pour le clan familial comme pour les 48 000 salariés du groupe. Affichés aux murs de chaque usine, les cinq préceptes  » maison  » constituent les ingrédients de la recette  » martienne « . Ainsi, au nom du principe de mutualité, la société paie toujours ses salariés, appelés  » associés « , à la semaine ! Et c’est le principe d’efficacité qui justifie l’organisation des bureaux sur ces très grands espaces. Pas de hiérarchie pesante, il suffit de se parler directement, sans rendez-vous. Tous les Martiens se tutoient.  » Nous sommes transparents, martèle Valérie Savoye, directrice des ressources humaines de Mars Chocolat. Nous ne pouvons recruter que des managers proches de nos valeurs et de notre culture.  » Selon le principe de liberté encore, chaque filiale est tenue de dégager des profits pour s’autofinancer. Chez Mars, on tient à son indépendance financière – la meilleure assurance de pouvoir mener une stratégie à long terme. Warren Buffett est l’exception qui confirme la règle.

 » Nos marques sont mondiales, nos racines sont aux Etats-Unis, mais nous sommes restés une entreprise provinciale dans l’âme « , résume Pierre Laubiès, patron de Mars pour l’Europe de l’Ouest. Simplicité et discrétion sont à la base même de l’éducation des membres de la tribu. Ainsi, lorsque l’une des filles de Forrest visite un site, pas de chichi. L’héritière déjeune à la cantine avec une dizaine de salariés et confesse, à cette occasion :  » J’aurais pu choisir d’être comme Paris Hilton.  » Les Martiens fuient aussi les grandes villes et s’ingénient à regrouper leurs sièges et leurs sites de production loin des capitales.

Mais, à présent, sous le feu nourri des autorités sanitaires, qui jugent le roi de la confiserie en partie responsable de l’augmentation du nombre d’obèses, le groupe doit rendre des comptes. Pas question pour les Mars de la quatrième génération de perdre la suprématie de leurs marques. Pas question non plus de renoncer à leur stratégie de développement, qui repose sur la qualité et les innovations.  » Mars a une responsabilité à l’égard de ses clients. Nous devons nous exprimer sur le problème de l’obésité et continuer à attirer de nouveaux collaborateurs « , estime Pierre Laubiès. Décidée à gagner la bataille, la patronne de Mars Chocolat France, Nathalie Roos, une Martienne pur sucre, originaire d’Haguenau, s’est entourée pour mener campagne d’un lobbyiste de haut vol, le Belge Christophe Dandoy. Cet ancien de PPR (Pinault-Printemps-Redoute), ex-conseiller de la vice-Première ministre Laurette Onkelinx, a déjà multiplié les dîners VIP, les visites d’usines avec des parlementaires, et même organisé une conférence de presse à Paris… en mars dernier, bien sûr.

 » Nous avons réalisé que, pour vivre heureux, nous ne devions pas vivre cachés. Il fallait expliquer que nos produits sont d’une qualité exceptionnelle « , cherche à convaincre Nathalie Roos.  » Désormais, nous indiquons tout sur l’emballage, et en français : la recette, ses ingrédients, sans colorant ni conservateur, les valeurs nutritionnelles « , souligne la directrice du marketing, Anne Mangin. Cette inconditionnelle a envoyé comme faire-part de naissance de ses filles une nouveauté maison : des M&M’s personnalisés, en vente sur Internet, marqués aux prénoms de ses deux bambines, Marie et Mahaut.

De plus en plus présentdans les sucres lents

A la différence d’autres entreprises familiales mondiales, comme les françaises Michelin ou Peugeot, Forrest Mars ne s’est pas contenté d’investir dans le chocolat. Cette branche ne représente plus aujourd’hui que 43 % des ventes totales. Très tôt, l’entrepreneur a su lancer des diversifications tout aussi juteuses. Dès 1935, il rachète ainsi la société anglaise d’aliments pour animaux Chappel Brothers. Le début d’une success story. Au début des années 2000, le groupe multiplie toujours les acquisitions, avec notamment Royal Canin. Résultat, l’autre face de la planète Mars – le petfood – représente aujourd’hui 47,7 % des ventes de la compagnie. Et ce n’est pas tout. Lorsqu’un scientifique britannique trouve, en 1943, un système pour cuire le riz en dix minutes, Forrest s’associe à lui et crée Uncle Ben’s, dont la renommée est désormais mondiale. Mieux encore, avec le lancement du blé Ebly, en 2000, et les produits asiatiques Suzi Wan, Mars se retrouve dans une catégorie d’aliments – les sucres lents – dont la consommation est recommandée par le programme national Nutrition Santé. De quoi clouer le bec à ses détracteurs !

Confrontée à présent à la baisse du pouvoir d’achat et à la montée en puissance des marques de distributeur, la firme cherche à se repositionner. Dans l’alimentaire comme dans le petfood.  » Nous avons abandonné certaines marques pour nous recentrer sur le haut – Pedigree et Whiskas – ou le très haut de gamme, avec Cesar et Sheba. Nos dépenses en publicité ont augmenté de 50 % « , explique Albert Mathieu, PDG de Mars Petcare and Food France, un quadra qui, en quatorze ans, a gravi tous les échelons.

Pour que l’aventure continue, Mars ne manque en tout cas pas d’imagination. La compagnie a ainsi mis sur le marché DentaStix, un produit à mastiquer qui permet aux toutous de se détartrer les dents. Elle sait encore s’adapter en commercialisant ses M&M’s en miniportions de 100 calories. Et c’est enfin Uncle Ben’s qui, le premier, a lancé le riz en sachet à cuire au micro-ondes… S’il fallait s’en convaincre, les Mars restent d’abord et surtout des as du business et du marketing. Des méthodes finalement bien terriennes.

Corinne Tissier; C. T.

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