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Mario Balotelli : le diable adoré

Il est le joueur le plus fantasque du moment. Celui dont les frasques sont les plus folles, les plus médiatisées. Celui qui a rendu le football à nouveau drôle. Enquête sur un footballeur déjà légendaire.

La saison dernière, ils faisaient ça tous les matins. Au saut du lit, en se brossant les dents, avant d’aller travailler, en revenant de fête. A Manchester, sur les ondes de la radio Xfm, les auditeurs étaient chaque jour invités à appeler le Breakfast Show pour raconter à la ville entière leur dernière anecdote vécue ou fantasmée sur Mario Balotelli. « Dès que quelqu’un l’a vu, il nous contacte et nous dit où il faut aller pour l’apercevoir », vante Tim Cocker, le présentateur de l’émission. Et c’est ainsi que l’attaquant de Manchester City, désormais sacré champion d’Angleterre, es devenu, jour après jour, plus qu’un footballeur : une légende urbaine.


L’Italien, 21 ans, aurait distribué mille livres sterling à un clochard croisé dans les rues de Manchester. Il aurait dépensé l’argent que sa mère lui avait confié pour ses courses de bouffe en scooters et trampoline. Offert le plein d’essence à tous les automobilistes présents dans la station service où sa Maserati l’avait conduit. Serait entré dans la bibliothèque de l’université de Manchester pour payer les amendes des étudiants ayant rendu leurs livres en retard. Paierait des coups à des inconnus dans les pubs les plus sordides de la ville. Défierait les piliers de bar aux fléchettes. Apprendrait des tours de magie dans la rue en compagnie de saltimbanques.


Inutile de demander à sa soeur Cristina de faire le tri entre le mythe et la réalité : elle est fatiguée. « J’ai perdu trois ans de ma vie à parler de Mario. Maintenant, ça suffit, je ne commente plus », balaye-t-elle. Son agent, le ventru Mino Raiola, n’est pas plus aidant : « Confirmer ou démentir, cela ne sert à rien. Si les gens veulent parler de Mario, qu’ils le fassent. Lui, il regarde. » Alors, Super Mario a-t-il fait toutes ces choses ? Attablé à la terrasse d’un bar sur la place du Dôme de Brescia, Andrea Ferrarese hausse les épaules : « Il y a toujours eu tant d’histoires sur lui… », souffle-t-il.


Ferrarese a connu Balotelli quand ils avaient tous les deux moins de 10 ans. C’était à la paroisse de Mompiano, dans le tranquille quartier du même nom situé au nord de la ville lombarde, et déjà Mario sentait le soufre. « La première chose qu’on m’ait dite sur lui, c’est qu’il pissait dans les sacs des autres, même si moi je ne l’ai jamais vu faire. » Son ancien coéquipier turbulent, Ferrarese, ne sait pas trop s’il l’aime ou non. Marco Pedretti non plus ne sait pas. Pedretti a partagé la vedette avec l’actuel attaquant de Manchester chez les jeunes de Lumezzane, région de Brescia, où Balotelli a joué à partir de ses 11 ans. « Il y a ce jour où il s’est battu avec un de mes potes en sortant d’une pizzeria. Cet autre où on s’est cogné et où je l’ai projeté contre le radiateur du vestiaire parce qu’il m’avait caché toutes mes affaires et que j’étais resté en slip… », égrène-t-il. Un sourire. « Il était sympa, mais il était lourd. Je n’en pouvais tellement plus qu’à un moment, je voulais même changer de club. »


« Il était le seul Noir »


A Brescia, aucune radio ne dédie de programme à Mario Balotelli. Il a pourtant habité ici, dans cette ville du nord de l’Italie, jusqu’à ses 17 ans et son départ pour l’Inter Milan. Mais Brescia est une ville de PME et de façades tristes, d’hommes en pardessus et de cuisine au beurre. Une ville d’immigration, aussi. Selon le dernier recensement municipal, la population étrangère est passée ces vingt dernières années – 200 000 habitants intra-muros – de 1 à 16,5 %. Un supermarché Auchan, un stade de foot, une église, une station essence Agip et une enfilade de ronds-points s’enroulant autour de la route qui relie le nord de Brescia aux premières pentes des Alpes : la maison où l’enfant a grandi est domiciliée à Concesio, une zone de rien située à la sortie de la ville.


La première fois qu’il en pousse la porte, Mario a 2 ans. Il ne s’appelle pas encore Balotelli, mais Barwuah. Né à Palerme de parents ghanéens d’abord passés par la Sicile – où il a passé de longs mois à l’hôpital pour une malformation de l’abdomen -, l’enfant a été confié aux Balotelli alors qu’il vivait avec sa famille naturelle dans une autre ville de la périphérie de Brescia, Bagnolo Mella. Un petit appartement avec une télévision et vingt pensionnaires, tous des Africains. A Concesio, Mario se retrouve dans une nouvelle famille modeste, réputée pour consacrer l’essentiel de son temps aux bonnes oeuvres. Le père est retraité, la mère femme au foyer. Il y a aussi une soeur et deux frères adoptifs. Tous sont Blancs, comme les autres habitants du quartier. Car Brescia est encore loin de la ville métissée d’aujourd’hui. « Quand il est arrivé ici, à 5 ans, il était le seul Noir. Sur 250 enfants », calcule Mauro Tonolini. L’ancien président de l’USO Mompiano a été le témoin privilégié des réactions de rejet qui ont accompagné les premières apparitions de Mario. « Les parents des autres le regardaient parfois un peu différemment. On nous a demandé de le sortir de l’équipe. On nous a demandé de vérifier sa licence. Ce genre de petites choses. »


Des « petites choses », qui laissent l’enfant songeur. Tiziana Gatti, son ancienne institutrice, garde le souvenir d’un enfant particulièrement perturbé. « Il avait un problème d’identité évident. Il se dessinait avec la peau rose. Pas noire, rose. Je lui disais : « Mario, c’est vraiment comme ça que tu te vois ? » Il vivait dans le déni de l’Afrique. »


« Je suis italien »


L’effroi est d’autant plus grand que Mario n’est pas adopté par la famille Balotelli. Il est simplement « confié », parce que l’écart d’âge entre les adultes de sa famille d’accueil et le sien est supérieur à 45 ans. Conséquences de cette subtilité administrative : Mario, qui ne dispose d’aucun passeport, est officiellement apatride, sa famille adoptive doit, à échéances régulières, faire renouveler la garde de l’enfant devant l’Etat italien et il est obligé de rendre régulièrement visite à sa famille naturelle. Autant de moments qu’il vit comme des tortures intimes. Chaque jour, pendant cinq ans, Mario Balotelli posera la même question à son institutrice : « Ils vont me ramener en Afrique ? » Autant dire qu’il n’a jamais manifesté de désir de « retour aux racines ». « Quand je l’emmenais en voiture aux matchs avec les autres mômes, je lui disais pour rigoler : « Vas-y, dis-moi quelque chose en ghanéen ». Et lui, très sérieux, me répondait dans le dialecte de Brescia : « Je ne parle pas ghanéen, je suis italien » », se remémore le papa Andrea Rolfi, l’un de ses anciens coéquipiers à Lumezzane.


Mario aura aussi toujours pris soin de tenir à distance les Barwuah, qu’il accuse de l’avoir « abandonné ». Lui qui n’a pas pu se faire appeler légalement Balotelli jusqu’à ses 18 ans a toujours refusé de porter le nom de Barwuah. « Il fallait raturer les feuilles de match. Puis aller trouver le speaker du stade pour lui demander de ne pas l’appeler Barwuah, mais Balotelli. Et quand ce dernier refusait, il fallait le supplier de ne le nommer que par son prénom. Sinon, Mario refusait presque de jouer.


Autre signe particulier : son sens exacerbé de la compétition. Dans chaque club, à chaque début de saison, il a toujours pris soin de montrer au meilleur joueur de son équipe qu’en fait il n’était que le deuxième plus fort. Comme un besoin de reconnaissance déréglé. « Quand il me prenait la balle ou me dribblait, il s’arrêtait pour me regarder et me dire : « T’as vu comment je viens de t’avoir ? » Je veux dire, on avait 7 ans. Sept ans. Qui fait ça à 7 ans ? », interroge Ferrarese. Et combien de joueurs professionnels ont-ils décidé, un jour, comme il l’a fait à Mompiano, de ne plus tenter que des bicyclettes en match ? Combien en a-t-on vu sortir un iPad en plein match international, comme en septembre dernier sur le banc au beau milieu d’un Italie-Iles Féroé ? Combien se sont échangé des châtaignes avec leurs coéquipiers dans tous les clubs où ils sont passés ? Le casier de l’attaquant est tellement lourd que dans un monde normal, ou s’il était un type normal, il aurait dû renoncer à ses rêves de football dès l’âge de ses premières frasques, vers l’âge de 8 ans.


« Si on le force, il devient ingérable »


Mais Balotelli est un surdoué. Et il n’en a jamais douté. « Il répétait tout le temps qu’il serait le premier Noir à jouer en équipe d’Italie. Et quand on lui reproche de ne pas fêter ses buts et que lui répond qu’il le fera le jour où il marquera en finale de Coupe du monde, il en est vraiment persuadé. Ça aussi il le disait déjà gamin », illustre Sergio Viotti, gardien de Grosseto, réserviste de la sélection Espoirs italienne et ami proche de Balotelli, qu’il a connu à 6 ans. Pas étonnant, dès lors, que l’énergumène se soit payé le luxe de flinguer un essai à l’Atalanta Bergame, la Mecque de la formation italienne, en « répondant mal » à un coach qui lui demandait de se replacer. Ou qu’il ait snobé Barcelone en demandant trop de sous après un essai concluant – huit buts en trois matchs à l’été 2006. « Il savait que si eux ne le prenaient pas, d’autres le feraient à leur place », sourit Andrea Ferrarese.


Avec ce genre de maxime, il était prévisible que José Mourinho et Mario Balotelli, réunis à l’Inter entre 2008 et 2010, s’entendent mal. La meilleure façon de gérer l’animal semble être celle qu’a Roberto Mancini, avec lequel Mario joue à Manchester un jeu d’amour-haine qui ne trompe personne : pour deux conneries, il faut en punir une, et laisser couler l’autre. « Si on le force, il devient ingérable », explique Valter Salvioni, qui l’a lancé à Lumezzane.


Et Dieu sait que forcer Balotelli ne sert à rien. Quand son pays lui a fait comprendre qu’il le verrait bien endosser le rôle de symbole de la nouvelle Italie métissée, Super Mario a esquivé. Non, merci, sans lui. Et pourtant, lorsqu’il a explosé, Mario Balotelli a fait ressortir d’un coup tous les problèmes identitaires de l’Italie, passé en vingt ans du statut de pays d’émigration à celui de pays d’immigration. Partout, dans les tribunes, un slogan fait alors son apparition : « Non ci sono negri italiani ». Il n’y a pas de nègres italiens. En réponse, une expression devient à la mode : la « génération Balotelli ». Selon Sandro Gozi, membre du Parti démocrate et député, « il s’agit de jeunes gens de couleur qui parlent l’italien avec l’accent de Rome, de Milan, de Turin, de Naples, de Brescia mais qui restent invisibles dans la société officielle. Balotelli aurait pu les rendre visibles. Du fait de ses provocations et erreurs, il ne les a pas aidés ».


« La vraie rock star ici, c’est lui »


A Manchester, Balotelli a trouvé une ville à la hauteur de son personnage : « La révolution industrielle a commencé ici. Le premier ordinateur a été conçu ici. Et nous avons toujours aimé les personnalités rebelles et charismatiques », pose Tim Cocker, de la radio locale Xfm. The Fall, The Smiths, Joy Division, Stone Roses… Mario n’a peut-être jamais entendu parler de ces groupes, le voilà pourtant devenu le nouveau porte-parole de l’esprit rock qui a toujours soufflé sur Manchester. « Oubliez-moi. La vraie rock star ici, c’est Balotelli », a d’ailleurs crié récemment dans The Independent Noel Gallagher, le leader d’Oasis. A en croire Gary James, historien du club, Balotelli n’aurait pas pu mieux viser. « On est les outsiders, on a l’habitude des critiques. Pour nous, seules deux choses comptent vraiment : battre United et avoir des figures auxquelles s’identifier. Avec Balotelli, on est servi. »


« On le voit tellement que pour nous, ce n’est même plus un joueur de foot », illustre la serveuse blonde qui tient l’accueil du San Carlo, une pizzeria du centre-ville. Pourquoi se montre-t-il ainsi ? Parce qu’il a toujours été curieux des choses qui l’entourent : il est allé visiter la cité de la Scampia à Naples parce qu’il voulait voir de ses yeux à quoi ressemblait le lieu où avait été tourné Gomorra ; et à Noël dernier, il s’est rendu dans la petite église de Saint-John, à Chorlton, quartier de Manchester. « Il était au fond, sage, avec sa copine et un autre couple. Je crois qu’avec lui, ce n’est pas ce que tu reçois, mais ce que tu donnes », dit le father Mac Mahon. Mario a-t-il profité de l’occasion pour se confesser ? « Non, non. » Une pause. « Il faut qu’il garde le Diable en lui. »


COULARÉ DELAFONTAINE, SIMON CAPELLI-WELTER, LUCAS DUVERNET-COPPOLA ET STÉPHANE RÉGY/SO FOOT.

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