MAL mortel et prévisible

L’entreprise à l’origine de la fuite de boues toxiques était une bombe écologique à retardement : gérée sans souci des risques, et jamais contrôlée.

Les cheminées des hauts-fourneaux crachent à nouveau une fumée brunâtre. Au c£ur de la ville d’Ajka, à 160 kilomètres à l’ouest de Budapest, l’usine MAL (Magyar Aluminium) a redémarré le 15 octobre, après que l’Etat l’eut nationalisée de toute urgence pour éviter que les propriétaires ne se déclarent en faillite. Le site, qui produit l’alumine nécessaire à la fabrication de l’aluminium, a pourtant provoqué la pire catastrophe écologique qu’ait jamais connue la Hongrie. Le 4 octobre, la digue d’un bassin de rétention, à 8 kilomètres de la fabrique, s’effondrait partiellement. Une marée de boues rouges très toxiques déferlait sur plusieurs villages, tuant neuf personnes, contaminant 1 000 hectares de terres agricoles et anéantissant toute vie dans les rivières Marcal et Tolna – de quoi laisser présager une grave pollution du Danube.

 » Il faut bien que l’entreprise tourne car, sinon, elle ne pourra pas payer les dégâts !  » soupire Denes Szabolcs, un habitant du bourg de Devecser, dont le tiers des maisons ont été ravagées. Des dommages estimés au bas mot àà 143 millions d’euros. Pour comprendre ce désastre, il faut remonter à la période trouble des privatisations. En 1995 et 1998, les socialistes (anciens communistes) revenus au pouvoir privatisent Hungalu, trust géant de l’aluminium. Ils laissent les dirigeants du consortium organiser la vente à la découpe. Et MAL, morceau de choix, est racheté par Arpad Bakonyi, qui n’est autre queà l’ancien président de Hungalu. Avec son ami Lajos Tolnay et d’autres associés, Bakonyi acquiert MAL pour une bouchée de pain : 10 millions de forints (40 000 euros) alors que l’entreprise en vaut 4 milliards. En contrepartie, les deux compères, archétypes de cette nomenklatura qui a su transformer son pouvoir politique en richesse économique, doivent investir 3 milliards de forints dans la rénovation du site. De l’herbe et des arbres ont bien été plantés dans certains bassins de rétention, pour éviter que les boues ne s’évaporent en poussière toxique. Mais  » à partir de 2002, la société a arrêté d’investir dans l’environnement, à cause du coût « , commente Zoltan Illés, secrétaire d’Etat à l’Environnement. Résultat : au lieu de consolider le fameux réservoir n° 10, la direction a préféré surélever les digues. Et personne n’est allé contrôler l’état des réservoirs de l’usine.

Le patron avait reçu un prix de l’environnement

En 2006, MAL avait obtenu un permis de conformité aux normes communautaires. Le hic, c’est que les directives européennes traitent de toutà sauf des digues ou des murs des réservoirs. Et, bien que la Hongrie regorge d’agences environnementales, aucune ne traite de ce domaine spécifique. La municipalité, qui accorde les permis de construire, aurait pu y regarder de plus près. Hélas, les fonctionnaires municipaux ne sont ni habilités ni équipés pour le faire.  » Finalement, MAL était seule capable de vérifier l’état des bassins, et elle n’a pas été contrôlée, constate Zoltan Illes. C’est comme si une police sans radar laissait les automobilistes vérifier eux-mêmes leur vitesse ! « 

L’entreprise aurait également dû solliciter le renouvellement de son permis environnemental, qui expirera en février 2011. Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait, et pourquoi n’a-t-elle pas demandé à ouvrir le nouveau bassin dont elle disposait ? Durement touchée par la crise mondiale, MAL voulait peut-être se mettre en faillite. Le comble est qu’Arpad Bakonyi, l’une des plus grosses fortunes du pays, a reçu un prix de l’environnement en 2007, pour avoir nettoyé le site de Nitrokemia, entreprise chimique dont il est également propriétaire. L’histoire ne dit pas ce qu’il a fait de ces déchets-là.

Florence La Bruyère

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