Mais que fait le fisc?

Le budget de l’Etat déraille. Notamment parce que la perception de l’impôt se traîne. En 4 questions et leurs réponses, les enjeux d’une dossier brûlant

1. Le contribuable devra-t-il y aller de sa poche? Ces dernières semaines, le gouvernement fédéral est passé par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Alertés par la faible croissance économique (lire en p.14) et son impact sur les finances de l’Etat, Guy Verhofstadt et ses ministres ont planifié un double contrôle du budget de 2002, rédigé en octobre 2001. Les recettes et les dépenses publiques seront passées au peigne fin dans les toutes prochaines semaines. Puis – prudence oblige – le même exercice sera renouvelé en juillet. Après une phase de dramatisation, la tendance actuelle est plutôt à l’optimisme. L’économie devrait être plus vaillante au second semestre et le dérapage restera « raisonnable », dit-on aujourd’hui au cabinet du Budget, d’où étaient issues… les prévisions les plus alarmistes. Le trou à combler pour respecter les objectifs initiaux (un surplus budgétaire de 0,3% du produit intérieur brut) serait de 740 à 745 millions d’euros (environ 30 milliards de francs). Pas de quoi fouetter un chat, toutefois: fortement endettée, la Belgique a naguère subi des plans d’austérité de 2, 3, voire 3,5 milliards d’euros (de 80 à 140 milliards de francs). Au début des années 1990, par exemple.

Sauf surprise, l’ajustement de février-mars sera indolore. Des mesures techniques devraient permettre d’éponger l’ardoise. Pas question, semble-t-il, de retarder la réforme fiscale ou la revalorisation de certaines allocations sociales! Libéraux, socialistes et écologistes ont provisoirement enterré la hache de guerre sur ce sujet sensible: si ce marchandage devait être remis en question, le gouvernement Verhofstadt risquerait de chuter…

Il n’empêche: les contradictions ne manquent pas. La coalition arc-en-ciel vient de rappeler son souci d’orthodoxie budgétaire… tout en maintenant intégralement ses promesses – impayables – du début de législature. Un jour ou l’autre, il faudra bien négocier avec les Régions et les Communautés: « En 2002, celles-ci sont tenues de dégager un bonus financier d’environ 30 milliards de francs, rappelle Philippe Defeyt, secrétaire fédéral d’Ecolo. Or, dans les milieux politiques, plus personne ne se fait d’illusion sur le sujet. » De nouveaux problèmes communautaires en perspective? Enfin, en cas de besoin, l’aile gauche du gouvernement n’hésitera pas à se montrer de plus en plus insistante: en Belgique, la récolte de l’impôt est assurément défaillante.

2. Pourquoi les recettes fiscales sont-elles à ce point décevantes? Pourquoi l’arriéré fiscal grossit-il aussi vite? Par rapport au budget initial de 2002, les recettes d’impôt sont actuellement revues à la baisse. Le manque à gagner serait de 250 à 500 millions d’euros (de 10 à 20 milliards de francs). En cause? La conjoncture économique, bien évidemment. Mais celle-ci n’explique pas tout. Même au cabinet des Finances, des experts avouent leur perplexité. La décrue des recettes de TVA, par exemple, ne figurait pas vraiment au programme. A moins d’admettre que l’évasion fiscale ou la fraude caractérisée sont en augmentation…

Autre sujet de préoccupation: en Belgique, l’arriéré fiscal grimpe à vue d’oeil, ce qui vient de provoquer une brève – mais vive – polémique. C’est le président du PS, Elio Di Rupo, qui a allumé la mèche. Au nom des Verts, Philippe Defeyt a repris la balle au bond. Le libéral Didier Reynders, ministre des Finances, n’a pu qu’admettre et constater les dégâts, tout en renvoyant la responsabilité aux ministres sociaux-chrétiens qui l’ont précédé: de 1995 à 2000, cet arriéré fiscal est bel et bien passé d’un peu plus de 9 milliards d’euros (370 milliards de francs) à quelque 19 milliards d’euros (770 milliards de francs). En clair, les impôts dus mais « non recouvrés » – et donc à récupérer – ont purement et simplement doublé!

A lui seul, ce constat n’a… aucun intérêt. Ou plutôt: il permet de multiples interprétations contradictoires. Pour expliquer l’ampleur de l’arriéré fiscal, on peut utiliser l’image d’une gigantesque armoire à deux portes. Par l’une d’entre elles, le contenu ne fait qu’augmenter: il s’agit de l’encours d’impôt à recouvrer, des sommes en litige faute d’accord avec le contribuable (« en contentieux », dit-on dans le jargon) et des créances impossibles à récupérer, suite à une faillite, par exemple. L’ennui, précisément, c’est que la porte de sortie n’est guère actionnée: contrairement à une entreprise du secteur privé, l’Etat est dans l’incapacité juridique de passer ses créances douteuses au bleu. Bref, l’armoire ne se vide jamais aussi vite qu’elle ne s’emplit. Ainsi, au cabinet des Finances, on estime qu’à peine 1 à 1,5 milliard d’euros (de 40 à 60 milliards de francs) pourraient être récupérés à brève échéance.

Voilà pour l’explication technique. Politiquement, toutefois, les commentaires vont bon train. Les uns hurlent au scandale, estimant qu’on en fait trop peu en matière de lutte contre la fraude. Les autres estiment que l’administration fiscale n’en a pas les moyens. D’autres encore s’inquiètent des efforts déployés par des sociétés ou des particuliers pour peaufiner leur ingénierie fiscale ou organiser leur insolvabilité. Le débat prend un tour idéologique et on fait dire aux chiffres ce que l’on veut, ou presque. Ainsi, si l’arriéré fiscal augmente, cela pourrait – aussi – se justifier par des efforts accrus pour endiguer la grande fraude, qui recourt à des mécanismes complexes (généralement, cela n’apporte pas de résultats immédiats). Fameux casse-tête, donc…

3. Le fisc a-t-il les moyens de ses ambitions? « Je n’oublierai jamais mon premier stage dans l’administration du recouvrement, témoigne un fonctionnaire. C’était au début des années 1980. Des tas de sous-fifres se tournaient les pouces pendant que le seul receveur s’activait autour d’une caisse enregistreuse datant d’un autre siècle. » De manière générale, les derniers gouvernements sont tous responsables de l’incroyable faillite de l’administration fiscale, trop longtemps sous-équipée, laissée en friche et abandonnée aux baronnies de hauts fonctionnaires arborant les couleurs d’un parti politique. La première réaction digne de ce nom date du milieu des années 1990. Mais les efforts tardifs du ministre PSC Philippe Maystadt n’ont guère été couronnés de succès. Manque de volonté politique? Frilosité des syndicats? Deux ans et demi après l’arrivée de Didier Reynders aux commandes de ce paquebot en péril, il est trop tôt pour juger sa propre action. Environ 1 200 fonctionnaires ont été embauchés l’an passé et les moyens informatiques ont été sensiblement améliorés (le retard en la matière est énorme). Mais la modernisation du management tarde à « percoler » à tous les niveaux de l’administration, dit-on. Les énergies restent trop dispersées: elles ne se concentrent pas assez sur le recouvrement. Et des syndicalistes viennent de dénoncer le manque de réaction politique face au gonflement de l’arriéré fiscal. Plus grave: des cellules juridiques chargées de la lutte contre la délinquance financière et fiscale auraient été étrangement démantelées.

4. Le gouvernement néglige-t-il la lutte contre la fraude fiscale? Ce point figure en… 21e et dernière position sur la liste des priorités que le gouvernement Verhofstadt vient de se donner pour la fin de la législature. Dans les rangs de la majorité, les commentaires relatifs aux plans « anti-fraude » du commissaire Alain Zenner (PRL), spécifiquement affecté à cette tâche, sont plutôt louangeurs. Des initiatives ont été prises pour améliorer la coordination avec la justice, pour stopper les fameux « carrousels » à la TVA, pour endiguer la fraude dans des secteurs particulièrement suspects, etc. Davantage que de « belles paroles », comme l’on dit parfois? Etant donné les difficultés budgétaires du moment, la lutte contre la fraude pourrait redevenir un sujet chaud dans les prochaines semaines. Comme l’ont prouvé les dossiers QFIE, KB-Lux et, aujourd’hui, Aquafin ou Tractebel, la chasse aux milliards se découvre des territoires inexploités. A condition d’y mettre tous les moyens nécessaires: légaux, administratifs et financiers.

Philippe Engels

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