david abiker © PIERRE-EMMANUEL RASTOIN

Mais dans quel esta j’erre ?

David Abiker

17 juillet 2018, 4 PM, bureau de l’immigration, aéroport de Newark (New Jersey).

– Je t’avais dit qu’un jour ton addiction aux réseaux sociaux nous vaudrait des ennuis. Les vacances commencent bien…

– Mais tu n’y as jamais rien compris, regarde-toi, tu t’es mis à Facebook il y a six mois et tu sais à peine te servir d’un ordinateur !

– N’empêche que c’est pas moi qui nous a mis dans une situation pareille.

Tandis qu’assise sur son sac, la grande rassure le chien, que la petite  » snapchate  » des photos d’elle avec un museau, des oreilles de rat et des moustaches, je remonte l’historique de mon Instagram et de nos séjours aux Etats-Unis. Petit flash-back.

Août 2014. Quel voyage ! Les grands parcs, Monument Valley, Grand Canyon, Bryce Canyon, Moab, Las Vegas, Dead Horse Point, des selfies de dingue devant des paysages immenses. Les vacances, je les vivais en deux dimensions. En famille et sur Instagram ! Un very good trip.

17 juillet 2018, 6 PM, (toujours coincés au) bureau de l’immigration, aéroport de Newark.

– Qu’est-ce qui t’a pris de prendre Trump en grippe ?

– Je t’en supplie, lâche-moi !

Fin juillet 2016, New York. Nouvelles vacances au pays de l’Oncle Sam. Je décide d’aller faire un tour en bas de notre Airbnb, histoire de découvrir le quartier. Je tombe sur une fresque murale avec un caca gigantesque à mèche blanche et des mouches autour. La grande qui m’assiste dans mon travail artistique me prend en photo devant la merde géante et blonde. Je poste le cliché sur Instagram. 569 Like ! Une semaine plus tard, à San Francisco. Balade dans le quartier gay. Je repère un attroupement. Une caméra et la statue grandeur nature d’un homme nu. Je m’approche. C’est un Trump en carton-pâte avec un tout petit zizi installé par des opposants. Je pense à la chanson de Dick Annegarn,  » Il avait un tout petit zizi et un gros cul le père Ubu.  » Nouveau selfie avec Trump : 1 280 Like.

17 juillet 2018, 8 PM, (encore au) bureau de l’immigration, aéroport de Newark.

J’aime les Like. Parfois, je rêve que je me réveille et qu’Yves Montand est là, près de mon lit.  » Monseignor, il est l’heure, l’heure de vous réveiller, de compter vos Like sur Instagram.  » Folie des selfies et des Like.

– On a faim, on peut pas avoir genre un Five Guys ? (Sue Ellen, l’aînée)

– Ça fait trois heures qu’on attend, y’en a marre ! (Lucy, la cadette)

C’est toujours dans les situations complexes que ma femme a ce chic pour refaire l’histoire à l’envers.

– Ah ça c’est sûr que vous autres, les journalistes, vous aviez prévu autre chose, accros à vos sondages, à votre pensée unique et à vos experts. Résultat, on est là comme des apatrides parce que Monsieur s’est moqué de Trump sur les réseaux sociaux, qu’il a déclaré son Instagram sur le formulaire Esta et que Trump déteste les journalistes !

– Ne dis pas n’importe quoi, cette déclaration d’adhésion à un réseau social a été décidée sous Obama.

– Peut-être, mais c’est pas Trump qui va la supprimer ! Traités comme des opposants en puissance alors qu’on vient en vacances. Tu es vraiment irresponsable !

Le fonctionnaire du bureau de l’immigration revient finalement nous libérer de l’espace confiné où l’on poireautait depuis quatre heures.

Depuis le 20 décembre dernier, les autorités américaines proposent aux touristes entrant sur leur territoire de déclarer sur le formulaire Esta (Electronic System for Travel Authorization) le ou les réseaux sociaux dont ils sont membres, ainsi que leurs identifiants. Au départ, c’était facultatif et puis en 2017, ça s’est tendu entre Trump et l’Europe. Désormais, les Ricains regardent si tu n’as pas posté des messages hostiles au président Anormal. Et s’ils veulent t’embêter au passage de l’immigration, ils ne se gênent pas. Cela dit, quatre heures, ça passe vite. Avec un smartphone et les réseaux sociaux.

Chroniqueur pour 01net, le newsmagazine du numérique

david abiker

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