L'Athlète Louise Carton en actION DANS la finale DU 5000 mètres féminin aux championnats européens d'athlètisme de Berlin, Allemagne en 2018. © belga

Maigrir pour performer? Mauvais calcul!

Si de nombreux sportifs (de haut niveau) se focalisent sur la qualité et la quantité de leurs aliments, seule une minorité d’entre eux perd le contrôle et développe un trouble alimentaire. Pourquoi? À quels signaux le parent, coach ou partenaire doit-il être attentif?

En mai 2019, l’athlète Louise Carton a admis sur son blog qu’elle souffrait d’un trouble alimentaire. Elle concluait: « J’étais tellement honteuse que je ne cherchais pas d’aide. Depuis, je sais que beaucoup de femmes et d’hommes sont confrontés à ce problème. Chaque histoire est différente, chacun doit trouver sa manière de s’en sortir. Si mon témoignage pouvait encourager ne serait-ce qu’une seule personne à en parler à quelqu’un, alors je trouve que cela vaut la peine de dévoiler ici ma vulnérabilité. Les tabous sont là pour être brisés, non? » Son témoignage a porté ses fruits, incitant d’autres à partager leur histoire.

« En parler est en effet important, approuve la psychologue clinique et thérapeute comportementale Laurence Claes. Les troubles alimentaires ne touchent pas uniquement les sportifs de haut niveau, mais il est sûr que ces derniers courent un risque accru, comme le démontrent diverses études internationales. Ils doivent en effet être très attentifs à leur alimentation et à leur poids, car cela peut impacter leurs prestations. Mais cette attention accrue ne peut à elle seule expliquer l’évolution vers des comportements alimentaires extrêmes, néfastes pour la santé. Lorsqu’un athlète en arrive là, c’est généralement la conséquence de vulnérabilités particulières chez lui et d’éléments déclencheurs dans l’entourage. »

« Thin is going to win »

Pour Louise Carton, tout a commencé lorsqu’on a mesuré pour la première fois sa masse graisseuse. « Elle était bonne mais on m’avait dit qu’à l’été suivant, je pouvais perdre 1 kilo pour atteindre un pic dans une compétition importante. Cette phrase a apparemment agi comme un déclencheur sur moi. J’ai commencé à avoir l’impression d’être trop grosse. »

« L’impression d’être trop gros, même si une mesure objective de la masse graisseuse ou un expert dit le contraire, est une conviction qui hante de nombreux sportifs et qui vient d’un mythe tenace : thin is going to win. Autrement dit, plus on est mince, plus on a de chance de gagner. Ce mythe est bien ancré au sein des sports esthétiques tels que la gymnastique, des sports à catégories de poids comme le judo, et des sports d’endurance comme l’athlétisme. Mais descendre sous son poids sain de performance n’est jamais bon. Cela peut conduire à de meilleures prestations au début, mais à terme, c’est toujours néfaste à la fois pour les prestations et pour la santé. »

Les sportifs amateurs peuvent aussi glisser vers des comportements sportifs et alimentaires extrêmes.
Les sportifs amateurs peuvent aussi glisser vers des comportements sportifs et alimentaires extrêmes.© GETTY

Plus tard, dans un podcast, Louise Carton dévoilera encore que l’attention obsessionnelle à son alimentation et à son poids lui procurait une sensation de contrôle après le décès de son père, qui lui manquait terriblement. « Les personnes souffrant d’un trouble alimentaire indiquent en effet qu’elles mangent moins pour moins ressentir leurs émotions. Ou qu’elles mangent trop pour se consoler, explique la psychologue. Avant de se faire vomir ou de prendre un laxatif pour se débarrasser de la peur de prendre du poids. Les comportements typiques en cas de trouble alimentaire sont donc souvent des stratégies pour réguler des émotions difficiles. »

L’épreuve du coronavirus

Les sportifs amateurs peuvent aussi glisser vers des comportements sportifs et alimentaires extrêmes. C’est le cas de Daan (11 ans), qui témoigne après son diagnostic d’anorexie: « Comme je me trouvais trop lourd et que je voulais paraitre plus musclé, j’ai commencé à faire de plus en plus de sport et à manger de moins en moins. Et avec le confinement, les choses se sont accélérées. Je cherchais des vidéos d’entraînement sur internet et j’en faisais parfois 7 sur une journée. »

« La période perturbée actuelle nous éprouve tous, jeunes et vieux, confirme Laurence Claes. On nous impose des règles et des restrictions, qui nous confrontent souvent à des sentiments d’insécurité, de chagrin, d’angoisse ou de solitude. Cela explique que nous cherchons des choses que nous pouvons faire et contrôler nous-mêmes. Faire plus de sport et accorder plus d’attention à ce qu’on mange et en quelle quantité, c’est évidemment une conséquence très positive, dans la mesure où on y gagne en bien-être physique et mental. Et heureusement, on ne glisse pas vers un trouble alimentaire par hasard, comme je l’ai déjà dit. Ainsi, outre des facteurs contextuels, des traits personnels peuvent aussi vous rendre plus vulnérable: si vous êtes très perfectionniste, par exemple, si vous faites dépendre votre confiance en vous de vos prestations, ou si vous êtes très sensible à certains modèles. »

Un feedback constructif

La personne qui souffre d’un trouble alimentaire vit souvent dans le déni pendant un certain temps. Et sans demande d’aide, l’entourage a parfois du mal à reconnaître ce trouble. Il existe pourtant des signaux détectables en tant que parent, coach ou partenaire, comme ceux clairement liés à l’alimentation et au poids: perte ou fluctuation de poids, découpage de la nourriture en petits morceaux, saut de repas, évitement des repas avec d’autres personnes, le fait de se retirer après le repas (pour vomir ou prendre un laxatif).

« Mais il existe aussi d’autres types de signaux, explique la psychologue. On peut par exemple s’étonner que le sportif veuille s’entraîner toujours davantage sans effet sur ses prestations. Qu’il souffre d’une lésion de surcharge, qu’il dorme mal, qu’il ait toujours froid, qu’il soit confronté à des vertiges et des évanouissements, qu’il ait le visage et les chevilles gonflés, qu’il perde ses cheveux, que son cycle menstruel, pour les filles, soit perturbé, etc. Et lorsque vous exprimez votre préoccupation ou que vous sondez ses pensées ou sentiments difficiles, votre enfant, athlète ou partenaire peut exprimer une peur irraisonnée de prendre du poids, ou une image distordue de son corps. Une bonne écoute est la clé vers une aide sur mesure. »

Maigrir pour performer? Mauvais calcul!

Un trouble alimentaire doit être abordé de manière multidisciplinaire, avec un médecin sportif, un professionnel de la nutrition et un psychologue. Mais les proches ont aussi un rôle important. « Entre autres, en laissant de la place aux émotions difficiles. Reconnaissez-les. Aidez si nécessaire à les reconnaître. Ne proposez pas de solutions d’emblée et n’essayez pas de prendre le contrôle. Car un trouble alimentaire nait justement d’un besoin d’acquérir davantage de contrôle. Renforcez donc plutôt les forces et l’autonomie de votre enfant, athlète ou partenaire. Ne comparez pas avec d’autres. Et dans votre feedback sur ses prestations, focalisez-vous sur le processus, sur ce qui a bien ou moins bien marché, et non sur le résultat final. Car on sombre moins vite quand on peut être soi-même ou qu’on peut expérimenter que faire de son mieux, c’est bien assez, pour être soutenu inconditionnellement. »

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