Mahmoud Abbas

Le président de l’Autorité palestinienne et son camp  » modéré  » comptent parmi les principales victimes politiques de la guerre à Gaza. Dans les Territoires, leurs rivaux islamistes du Hamas s’imposent comme les héros de la génération montante.

De notre correspondant

Dans la salle de conférences de l’hôtel Sheraton de Doha, capitale de l’émirat du Qatar, une quinzaine de chefs d’Etat arabes, auxquels s’est joint le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, débattent de la situation à Gaza, à grand renfort de superlatifs indignés. Le 16 janvier, vingt et unième jour de la guerre, la bande côtière palestinienne se relève à peine d’un ouragan de bombardements. A trente-six heures de la proclamation de son cessez-le-feu unilatéral, Israël a dévasté la veille un quartier entier du centre de Gaza et enterré sous une montagne de cendres Saïd Siam, un haut dirigeant du Hamas. La victoire militaire de l’Etat hébreu est scellée.

Pourtant, dans l’auditorium du palace, les sièges de trois acteurs politiques de premier plan restent vides : celui de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, et ceux de l’Arabie saoudite et de l’Egypte (au Caire, on est furieux de s’être fait ravir le rôle du juge de paix par l’entreprenant émirat). En guise de porte-parole des damnés de Gaza, un duo de boutefeux parade, le sourire aux lèvres : Khaled Mechaal, chef en exil du Hamas, et Ramadan Shallah, son homologue pour le Djihad islamique.

Arc-bouté sur une ligne  » modérée  » indéchiffrable

Quelle qu’en soit la raison, l’absence de Mahmoud Abbas dans un tel forum en dit long sur son impuissance et son effacement politique. Pris en sandwich entre le baroud des islamistes et les derniers diktats de l’administration Bush, arc-bouté sur une ligne  » modérée  » indéchiffrable, Abou Mazen, comme l’appellent les Palestiniens, sort en piteux état de la guerre de Gaza. Au point que certains en viennent à évoquer son prédécesseur élu, mort en 2004 :  » Arafat n’aurait jamais fait l’erreur de boycotter le sommet de Doha, vitupère Mustafa Barghouti, député indépendant et figure de la société civile palestinienne. C’est comme une personne gravement malade qui refuserait d’aller consulter son médecin. Son peuple se fait massacrer, le prestige du Hamas monte en flèche et Abou Mazen continue à se comporter comme s’il était président de la Finlande.  » Qadoura Farès, un ancien député Fatah – le mouvement rival du Hamas, présidé par Abbas – confirme le diagnostic avec une moue navrée :  » C’est la première guerre depuis quarante-trois ans dans laquelle le Fatah n’est pas partie prenante. Pour la génération qui monte, le héros est désormais le Hamas. Le président aurait pu limiter les dégâts en libérant les militants islamistes incarcérés dans les geôles de l’Autorité. Ou il aurait pu annoncer un arrêt officiel des négociations. Mais il n’a rien fait. Nous allons payer ce conflit au prix fort. « 

A la Mouqata’a, le quartier général de l’Autorité palestinienne à Ramallah (Cisjordanie), le téléphone sonne dans le vide. En vingt-deux jours de guerre, les dirigeants palestiniens ont passé plus de temps dans l’avion, au siège des Nations unies à New York ou dans le palais du raïs égyptien, Hosni Moubarak, qu’auprès de leur peuple. Nimr Hamad, vieil apparatchik de l’Organisation de libération de la Palestine et membre du premier cercle du président Abbas, finit par décrocher :  » Je ne crois pas que l’Autorité soit affaiblie au regard de la catastrophe qui est tombée sur Gaza, assure-t-il. Nous avons fait tout notre possible pour arrêter l’agression israélienne. Ce n’est pas parce que la population soutient les victimes de Gaza que la popularité du Hamas augmente.  » Les islamistes portent une part de responsabilité dans le bain de sang gazaoui, souligne le vieux conseiller :  » En refusant le renouvellement de la trêve [conclue en juin 2008 pour six mois], le Hamas a facilité la tâche d’Israël. « 

Est-ce parce qu’il a longtemps servi comme ambassadeur à l’étranger ? Le point de vue de Nimr Hamad est en complète contradiction avec l’écho de la rue. Révulsée par les images de carnage diffusées par Al-Jazira, la chaîne de télévision qatarie, la population de Cisjordanie n’a pas le c£ur à l’autocritique :  » Depuis quand l’occupant israélien a-t-il besoin d’une excuse pour commettre des massacres ?  » interroge Iman Hamouri, directrice d’un centre culturel. A l’exception de quelques revanchards du Fatah, obsédés par leur défaite de juin 2007 face aux miliciens du Hamas, les Palestiniens désapprouvent le ralliement de leur président à une dichotomie qui aura été le leitmotiv de l’administration Bush :  » Eux contre nous « ,  » modérés contre extrémistes « .

 » On ne sent pas son projet pour l’ensemble de son peuple « 

 » Abou Mazen a le beau rôle, souligne un diplomate étranger en poste à Jérusalem. Il va aux Nations unies pour s’assurer que seule l’Autorité palestinienne est citée dans la résolution du Conseil de sécurité. Puis il se rend en Egypte pour négocier l’application du cessez-le-feu, en faisant comprendre que la balle est dans le camp du Hamas. A aucun moment on ne sent qu’il a un projet pour l’ensemble de son peuple.  » Un conseiller de l’OLP, qui s’exprime sous couvert d’anonymat, corrobore cette analyse :  » Si Abou Mazen veut être considéré comme le président de tous les Palestiniens, il faut qu’il se comporte comme tel. La meilleure chose qu’il ait à faire est d’empêcher cette défaite politique du Hamas à laquelle aspirent Israël et les Etats-Unis. Les exigences des islamistes, comme la levée du blocus imposé à Gaza, sont conformes aux intérêts du peuple palestinien. Aller contre ces demandes, c’est aller contre ce peuple. Et prêter le flanc aux accusations de collaboration. « 

Le message, semble-t-il, a du mal à passer. Sur le dossier de la réouverture des points de passage de Gaza, l’une des clefs de l’arrêt des hostilités, Abbas se contente d’appeler à un retour à l’accord de 2005. Or ce texte, patronné en son temps par la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice, confie à l’Autorité palestinienne la gestion du terminal de Rafah, entre Gaza et l’Egypte, sous la supervision de douaniers européens.  » Personne ne veut admettre que cet accord n’a jamais marché et qu’Israël a été le premier à le bafouer !  » tempête un diplomate étranger. De fait, après la capture du soldat Gilad Shalit en juin 2006, Israël a verrouillé l’accès au terminal en empêchant les observateurs de l’UE de s’y rendre. Depuis le mois de juin, Khaled Mechaal martèle que le Hamas est disposé à se rallier à la formule de 2005, à la condition qu’Israël n’ait aucun droit de regard dans la gestion du terminal. Cette offre pourrait amorcer le processus de réconciliation entre les frères ennemis palestiniens. Mais, au sein de l’Autorité palestinienne comme du Quartette (ONU, Russie, Union européenne, Etats-Unis), on fait mine de ne rien entendre.

La politique d’ostracisme envers le Hamas reste intacte au sein d’une communauté internationale en panne d’idées. Soit. Mais, en persistant à ignorer les islamistes et en nourrissant la chimère de leur anéantissement, sans renforcer pour autant l’autorité politique de leurs rivaux du Fatah, c’est la tête de Mahmoud Abbas que le reste du monde risque de placer sur le billot.

Benjamin Barthe; B. B.

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