Etienne Saglio dans Les Limbes. Un ravissement pour les yeux. © ÉTIENNE SAGLIO

Magie magie

Bientôt montré au Royal Festival de Spa, Battement de peur est un spectacle de  » magie nouvelle « . Un genre en pleine floraison, qui entend transformer l’illusion en un langage artistique à part entière.

Si on vous dit  » magie « , vous pensez à un homme en queue-de-pie qui sort de son chapeau haut- de-forme un lapin, voire à un vieux barbu avec un couvre-chef pointu du genre Merlin ou Gandalf ? Il est probablement temps de déconstruire vos clichés en vous frottant à la  » magie nouvelle « . A l’instar du  » nouveau cirque « , la magie nouvelle entend rompre avec la traditionnelle succession de tours sans lien entre eux pour créer un spectacle unifié, nourri par une esthétique et une dramaturgie. Lancé au tournant du dernier millénaire, le mouvement, ainsi nommé par opposition à la  » magie moderne  » – celle que l’on connaît depuis 150 ans -, a été modelé par les Français Clément Debailleul et Raphaël Navarro, les fondateurs de la compagnie 14 : 20.  » La magie nouvelle place le déséquilibre des sens et le détournement du réel au centre des enjeux artistiques et affirme la magie comme un langage autonome et foisonnant, contemporain et populaire « , peut-on ainsi lire sur le site de la compagnie. Son savoir-faire, le public belge a pu notamment le découvrir dans Amor, de Michèle-Anne De Mey et Jaco Van Dormael, pour lequel la compagnie française orchestrait une fascinante scène de danse en lévitation (inspirée de son propre spectacle Vibrations).

De magie nouvelle, il en sera notamment question dans deux spectacles programmés prochainement chez nous, Les Limbes (1), et Battement de peur (2).

Etienne Saglio est le créateur du premier. Le Français, qui étudiait jusque-là la jonglerie en tant qu’artiste circassien, découvre la magie lors d’une formation au Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne orchestrée notamment par Raphaël Navarro.  » Ça a été une révélation, je me suis dit que c’était avec ça que j’avais envie de raconter des histoires, se souvient-il. Dans mon travail, mes idées me viennent en images et, au départ, je ne me pose pas du tout la question de comment je vais procéder pour les concrétiser. La magie est le langage qui me permet d’aboutir aux images poétiques que j’ai en tête.  »

Dans LesLimbes, en tournée en Belgique en novembre prochain, l’artiste évolue dans un univers au-delà du réel peuplé d’alter ego et de fantômes, comme flottant entre la vie et la mort. Le dispositif est en apparence ultrasimple : sur la scène vide, Etienne Saglio utilise un épais manteau rouge, une tête en mousse sculptée, une épée et de la toile de plastique qui s’anime pour devenir un ectoplasme aux allures tantôt de dragon tantôt de méduse géante, capable de se diviser en entités plus petites et potentiellement hostiles.  » Cette manipulation du plastique est une forme de jonglage, explique le magicien. On joue avec la gravité mais un utilisant un objet léger. Avec cette matière, il y a une part d’aléatoire. C’est même réjouissant parce que ce n’est pas pareil tous les soirs. Et puis j’aime le contraste de ce bout de plastique qui, coincé dans un arbre, gâcherait le paysage mais qui, ici, dans une salle de spectacle, peut vous émouvoir profondément. Cet écart est lié au cerveau de l’homme à sa faculté d’imaginer.  » Grâce à un savant jeu de lumières et à des trucs qu’Etienne Saglio refusera évidemment de donner, Les Limbes offre un ravissement pour les yeux, un émerveillement devant les disparitions soudaines, les dédoublements et les transformations de l’inanimé en vivant, et inversement.

Battement de peur, de Laurent Piron. Une plongée dans le subconscient.
Battement de peur, de Laurent Piron. Une plongée dans le subconscient.© DR

Magicien sans pouvoir

 » Un des premiers codes de la magie nouvelle, c’est d’enlever le rôle du magicien, explique de son côté Laurent Piron. Dans la  » magie moderne « , on est face à un acteur qui joue le rôle d’un magicien, qui va nous faire croire qu’il a des pouvoirs magiques, qu’en soufflant sur un objet, qu’en utilisant sa baguette magique ou qu’en claquant des doigts, il va pouvoir le transformer, le faire léviter. C’est le magicien qui est la source du pouvoir. En magie nouvelle, l’acteur ne se présente pas comme quelqu’un qui a des pouvoirs, mais comme quelqu’un qui évolue dans un univers magique.  » C’est, pour sa part, à l’adolescence que cet artiste originaire d’Aubel, dans la province de Liège, a découvert la magie.  » Un de mes amis m’a montré un petit tour dans un bar. Ça m’a énormément plu. Je lui ai dit qu’il fallait qu’il m’apprenne, qu’il fallait qu’on monte des spectacles ensemble.  » Laurent Piron découvrira ensuite, au festival d’Avignon, un spectacle de Yann Frisch – un proche, tout comme Etienne Saglio, de la fameuse compagnie 14 : 20.  » Ça a été un bouleversement. J’ai compris qu’il y avait moyen de raconter tellement de choses avec la magie : ça ouvrait les portes de la création artistique.  » Laurent Piron suit alors la formation proposée par la compagnie française.  » Ça m’a donné toutes les clés, toutes les techniques pour créer un spectacle.  » Présenté tout prochainement à Spa dans le cadre du Royal Festival, son Battement de peur est une parfaite illustration de ces spectacles où la magie se met au service d’une histoire. Un homme y reçoit une lettre grâce à laquelle il va plonger dans son subconscient, dans ses peurs passées et ses souvenirs, matérialisés sur scène par une accumulation de boîtes en carton.  » C’est un spectacle sur la peur, mais qui n’est pas effrayant. On voulait qu’il soit accessible à un large public, enfants compris.  »

Reste qu’il ne faudrait pas déduire de ces deux exemples que la magie nouvelle n’engendre que des créations sombres ou inquiétantes.  » Elle peut partir dans toutes les directions, c’est ce qui fait la richesse de ce courant, précise Laurent Piron. Il y a de la magie nouvelle humoristique, angoissante, surréaliste…  » Les magiciens y partageront ce point commun :  » Il faut être un grand rêveur, voir toujours plus loin et ne pas s’arrêter aux limites de ce qu’on pense être le possible. « 

(1) Les Limbes : les 6 et 7 novembre aux Halles de Schaerbeek, www.halles.be, le 10 novembre au théâtre de Liège, www.theatredeliege.be, les 13 et 14 novembre à l’espace Casadesus à Louvroil (Maubeuge), www.lemanege.com

(2) Battement de peur : le 14 août au théâtre Jacques Huisman à Spa, dans le cadre du Royal Festival, www.royalfestivalspa.be

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