Nicolas Alstaedt. © MARCO BORGGREVE

Luxe, calme et volupté

Chaque année, le Klara Festival – vitrine essentiellement bruxelloise du Festival des Flandres – se livre au jeu du thème et variations. Comment sortir la musique classique de sa morne performativité ? Comment la profiler en regard de thèmes sociétaux ?

Ils sont encore nombreux, dans leurs bureaux, à palabrer sur l’occurrence d’un no deal. Du côté des eurosceptiques comme des eurocrates, d’ailleurs, personne ne s’avance trop. Il n’y a plus qu’au Klara Festival, sans doute, qu’on espère que le Brexit aura bien lieu le 29 mars. Sinon, son grand concert-lecture de clôture Goodbye, Hello, dont la programmation coïncide rigoureusement avec la date officielle du Brexit, aura des accents de coitus interruptus… Nos voisins flamands ont pourtant vu grand pour ce qui s’annonce comme le focus Brexit du festival : un orchestre britannique (l’Aurora), un ténor diplômé d’Oxford (Ian Bostridge) et des écrivains parmi les plus célèbres (Jonathan Coe, Ali Smith) disserteront ad libitum sur la grande ironie des peuples qui, de siècle en siècle, se tendent joues et mains pour mieux se les sectionner. Comment, dès lors, ne pas penser aux musiciens du Titanic qui jouèrent jusqu’à ce que la gigantesque coque se rompe en un tumulte infernal ? Ainsi le rêve européen sombrera-t-il dans les profondeurs du Channel pendant qu’à Bozar, le 29 mars, on trinquera à nos illusions perdues…

Libera me

Inspirée par le personnage mythique de Faust, l’édition 2019 du KlaraFestival annonce la libération comme thème phare – libération face à toute forme de limitation, contrainte, morale ou attachements physiques et mentaux. On s’apercevra, les yeux écarquillés, des richesses qui constituent sa programmation. Par exemple, le Chamber Orchestra of Europe sera tout entier délocalisé à Bruxelles le temps de plusieurs concerts. Une chance inouïe : un peu comme rentrer à la maison avec le ventre qui gargouille et trouver Alain Ducasse dans son frigo, battant les oeufs les plus frais… Ce n’est pas tout. Le chef d’orchestre américain Kent Nagano atterrira avec son Orchestre symphonique de Montréal et la mezzo-soprano Marie-Nicole Lemieux dans ses valises pour un concert Wagner, Debussy, Stravinsky aux accents de nostalgie (Nagano entamant sa dernière saison à la tête de l’orchestre). Du côté des productions mégalithiques, notons un Freischütz de Carl Maria von Weber, opéra-légende fantastique qui sent le soufre, avec la cheffe Laurence Equilbey. La chanteuse et cheffe d’orchestre Barbara Hannigan dirigera, de son côté, une version semi-scénique du Rake’s Progress, opéra néoclassique de Stravinsky qui détaille la carrière d’un libertin et célèbre la sagesse féminine. Notons à ce titre que, même si le monde de la musique classique est encore loin de la parité, on sent chez les programmateurs du Klara une sensibilité particulière à la place laissée aux musiciennes sur les scènes de concert. L’auditeur pourra par ailleurs tester son amour du quatuor à cordes dans des concerts marathon en mode all you can eat, initier ses enfants à la musique classique qui fait bouh ! grâce à Frankenstein, et même écouter Pascal Bruckner tenir des propos d’une insondable sagesse…

Qu’on s’y rende pour l’emballage socio-politique, pour l’ample réflexion de géophilosophie ou – plus prosaïquement – pour écouter de la belle musique, le menu du Klara Festival répondra à ces différents degrés de lecture. Une programmation luxueuse et belle, pour regarder le monde se déchirer dans la plus parfaite harmonie.

Klara festival. A Anvers, Bruxelles, Bruges, jusqu’au 29 mars. www.klarafestival.be.

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