lucky luke du goudron ET deux plumes

Les toujours jeunes Daniel Pennac et Tonino Benacquista sont les scénaristes des nouvelles aventures de l’homme qui tire plus vite que son ombre.Un album à quatre mains très réussi. Rencontre exclusive avec les auteurs.

L’idée était dans l’air avant de retomber dans l’assiette. C’est lors d’un déjeuner que l’équipe de Dargaud a proposé à Daniel Pennac et à Tonino Benacquista d’écrire une nouvelle aventure de Lucky Luke.  » Nous étions contents du travail de Laurent Gerra [scénariste des trois derniers albumsà et d’un prochain] mais, comme pour Blake et Mortimer ou pour XIII, nous aimons faire travailler plusieurs équipes, explique Philippe Ostermann, directeur général délégué de Dargaud. Daniel et Tonino ne sont pas des mercenaires : s’ils n’avaient pas aimé l’idée, ils auraient dit non. « 

Quelques mois plus tard le duo rend sa copie : Lucky Luke contre Pinkerton, avec Achdé toujours au crayon. Résultat excellent. A ranger parmi les meilleurs albums de la série. C’est drôle, malin et prenant de bout en bout. Evidemment bien mieux que les fonds de tiroir d’Astérix, pour rester dans le héros mythique de 7 à 77 ans. Chez Dargaud, le sourire semble être au beau fixe. L’album est tiré à 510 000 exemplaires et l’envie de remettre le couvert fait saliver Philippe Ostermann :  » Daniel et Tonino ne sont pas contre, je suis très pour. Nous allons en parler lors d’un déjeuner.  » On ne change pas un menu qui gagne.

Pour l’heure, les deux auteurs reçoivent Le Vif/L’Express pour une rencontre exclusive à deux voix. D’un côté, Daniel Pennac, pédagogue bavard et enjoué. De l’autre, Tonino Benacquista, bougon malicieux, qui prend les choses en main et, en vieux routier de l’interview, genre qu’il ne goûte guère d’ailleurs, pose la première question.

Daniel Pennac, comment s’écrit un album de Lucky Luke à quatre mains ?

Daniel Pennac : En laissant bosser l’autre tout en lui donnant l’impression qu’on fait tout.

Tonino Benacquista : Lucky Luke est un des héros de mon enfance et je vénère tout ce que fait René Goscinny [le scénariste originel]. Quand vient la proposition de Dargaud, je me pose deux questions :  » Cette expérience de travail à deux sera-t-elle amusante ? Que va-t-on apporter au personnage ?  » Je réponds oui à la première et on a fini par trouver la réponse à la seconde.

D. P. : L’idée de travailler ensemble était séduisante. D’autant qu’on le fait officieusement depuis longtemps en se donnant des avis mutuels sur nos travaux en cours. Bâtir quelque chose de si directement dynamique qu’un scénario de bande dessinée m’a plu. Dans un roman, on est dans l’atermoiement. Ce n’est pas une écriture nécessairement efficace. Là, il faut travailler le rythme. Disons, pour résumer, que Tonino avait envie de retourner aux sources goscinno-morrissienne, moi de me frotter à un autre type d’écriture. J’ai moins lu de Lucky Luke que Tonino, je suis davantage Tintin.

Le Vif/L’Express : Que signifie  » retour aux sources  » ?

T. B. : J’ai appris beaucoup de choses en lisant les albums de Lucky Luke. Même si l’intrigue ressemblait à du bricolage historique, il y avait toujours un fond de vrai sur les légendes de l’Ouest américain. Cela m’enchantait. Quand on a commencé à travailler, on a cherché le type d’aventures que l’on pourrait faire vivre à Luke. Et, bien souvent, on s’est rendu compte que l’album existait déjà.

D. P. : Ma première idée était : les Dalton créent un journal où la diffamation prend la place de l’information et deviennent des magnats de la presse. Pas de chance : Morris et Goscinny avaient déjà fait Le Daily Star. C’était différent, mais le cousinage était embêtant.

T. B. : Après, on a cherché une figure davantage qu’une aventure. Notre affection pour la Série Noire nous a amenés au personnage d’Allan Pinkerton. Dans certains romans de Raymond Chandler, on trouve un agent de chez Pinkerton. Et Dashiell Hammett lui-même a travaillé chez Pinkerton. L’homme a existé et il aurait pu rencontrer Lucky Luke.

D. P. : Pinkerton est un type très important dans l’histoire du renseignement américain. L’idée d’opposer, sur le plan de la justice, Lucky Luke à un rival, ça a fait tilt. Un cow-boy qui suit des marques de fer à cheval contre un type qui met tout le monde en fiches. Une machine d’Etat, embryon du FBI, se met en place qui va isoler Lucky et le frotter à la modernité. C’était excitant. La graine était là : on avait trouvé une figure jamais utilisée. On a imaginé une histoire autour des agents de Pinkerton devenus des briseurs de grève, mais on s’est embourbés. On est alors revenus aux Dalton et on a trouvé l’intrigue. L’un de nous deux, je ne sais plus lequel, lance une idée comme un ballon de rugby dont on ne sait jamais où il va rebondir :  » Pinkerton arrête les Dalton et Joe fait une crise : « C’est à Lucky Luke de nous arrêter. A personne d’autre ! »  » Ça n’a l’air de rien, mais cette idée était de la dynamite dramatique. Voilà un type, Pinkerton, que Joe va haïr plus que Lucky Luke. Une véritable révolution copernicienne !

T. B. : Il faut préciser ici la très grande affection de Daniel pour Joe.

D. P. : Cette idée que ce con de Joe va piquer une crise d’identité a lancé le récit. Ensuite, la politique sécuritaire de Pinkerton entraîne une surpopulation carcérale et Joe se retrouve en taule avec des gens quasi honnêtes. La dynamique de l’histoire vient de cette fureur de Joe contre Pinkerton. Lucky Luke est la victime jusqu’au moment où un événement le revalorise.

L’effet miroir avec l’époque d’aujourd’hui, vous le faitesà

D. P. : Il n’y a pas d’effet miroir. On a un concept : la tolérance zéro. Ce sont juste deux mots.

T. B. : J’ai entendu ce concept de  » tolérance zéro  » lorsque Rudolph Giuliani a fait campagne pour prendre la mairie de New York au début des années 1990.

Soit. Coïncidence ou esprit visionnaire, il n’empêche que cet album sort aujourd’hui et que l’on pense évidemment à la situation française actuelle.

D. P. : En travaillant sur le scénario, on imaginait des allusions contemporaines explicites mais on a décidé de n’en faire aucune. Sauf cette idée de  » tolérance zéro « , qui n’est pas, non plus, une invention sarkozyenne. La politique de John Edgar Hoover, au FBI, par exemple, était fondée sur la tolérance zéro.

Toujours est-il que l’écho avec aujourd’hui est évident !

T. B. : C’est un propos de journaliste. Mais j’insiste : il n’y a pas de message. Et je ne me servirai pas de Lucky Luke pour dire ce qui se passe dans la société. J’ai d’autres moyens, mes romans par exemple, pour dire ce que je pense. Je comprends que vous insistiez et c’est pourquoi je précise.

D. P. : On a explicitement décidé de ne pas faire de la dénonciation politique. C’est absolument sans intérêt dans le cadre d’une aventure de Lucky Luke. Cette intrigue répond à un enchaînement dramatique logique qui part de la colère de Joe Dalton. On est très loin de notre époque.

T. B. : Pinkerton est un personnage très riche et ambivalent : il était abolitionniste et fichait tout le monde. Progressiste et professionnel du soupçon. On s’est énormément documentés. Goscinny prenait beaucoup plus de liberté avec la réalité historique que nous. Un type qui meurt en se mordant la langue – je parle de Pinkerton – c’est quand même un rêve pour un scénariste.

Lucky Luke contre Pinkerton, par Achdé, Daniel Pennac et Tonino Benacquista. Dargaud. En librairie le 15 octobre.

Commencer une histoireà

T. B. : Il faut une situation classique et, au début de la deuxième page, il doit y avoir une surprise. Au départ, on ne peut écrire d’une façon aussi découpée. D’abord, on trouve le thème, ensuite on élabore un plan très précis, après on se partage le boulot. Puis on affine pour tomber sur 48 pages et pour rythmer les fins et les débuts de chacune.

D. P. : Le texte, c’est nous. Le gamin qui lit, c’est une idée d’Achdé, le dessinateur. Cette mise en abyme est très astucieuse. Régulièrement, on laissait des moments où Achdé pouvait imaginer ce qu’il voulait.

Les Experts Mis en cases

T. B. : J’avais lu un bouquin, que j’avais adoré, sur la police scientifique. Je m’en suis inspiré pour écrire ce en quoi consiste cette technique de travail. Mais c’est Achdé qui a dessiné David Caruso [un des héros de la série]. On ne lui avait rien demandé.

Délits de faciès

T. B. : La seule demande que l’on a faite à Achdé, c’est de nous dessiner en hors-la-loi. On a même choisi nos noms : Dan Penbig et Tony Wellquist. Dans une première version, il y avait le montant de la récompense. Je valais beaucoup plus cher que Daniel car je suis beaucoup plus méchant. Il était furieux. Son ego en a pris un coup.

Cours de français

D. P. : Evidemment, l’idée est de moi. Elle vient de la rumeur de Baltimore, selon laquelle le président Lincoln allait être assassiné. La rumeur est historiquement vraie. Aux Etats-Unis, quand un type est assassinable, il est assassiné. J’ai donc imaginé un cours de français sur le passé, le futur et le conditionnel.

propos recueillis par éric libiot

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