Lois bancales en pagaille Notre bêtisier

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La loi gelant les prix du gaz tourne à la confusion. Une de plus au compteur. La loi Salduz fait des vagues, la loi sur les loyers fait un flop, la loi sur les armes en reprend un coup, la future loi sur les malades mentaux pourrait être bonne à jeter, le permis à points s’écrase pour de bon. Le Vif/L’Express a examiné quelques copies. Parfois du travail de potache.

Grosse prise de tête pour un bout de loi confus. Entre Di Rupo Ier et les énergéticiens, l’atmosphère est électrique. Le gel des prix de l’électricité et du gaz, programmé pour ce 1er avril, n’a pas été respecté. La vérité si je mens : chaque camp brandit la loi pour clamer sa bonne foi. Que dit précisément le texte ? Ça se discute. Pour un paragraphe qui vaut des millions. Agacé, le ministre de l’Economie Johan Vande Lanotte (SP.A) évoque déjà le recours à  » une loi interprétative  » s’il le faut.

Encore une loi qui fait jaser par son manque de clarté. Bienvenue au club des textes mal tournés.

Le casse-tête qui suit a de quoi faire rugir de plaisir tout juriste à l’esprit tordu, à l’affût de la colle bien vicieuse à poser lors d’un examen en fac’ de droit.

Voici le problème :  » Il est question d’un texte de loi français clair (bien qu’erroné) qui ne permet en soi aucune interprétation, tandis que le texte néerlandais (correct selon les travaux parlementaires) admet hélas deux interprétations, dont une correspond à la réelle intention du législateur.  » Que choisir ?

L’affaire n’est pas drôle. Le très sérieux Collège des procureurs généraux appelle le Parlement à rectifier  » de toute urgence cette situation extrêmement fâcheuse de contradiction  » détectée dans une loi de 2009 sur les circonstances atténuantes. Force doit rester à la loi. Dans sa version néerlandaise, en l’occurrence.

Le diable se cache dans les détails. Il s’en donne à c£ur joie dans le grand fatras de nos lois. Et ne se contente pas de se gaver des couacs liés à l’emploi de trois langues nationales.

Les plus hauts magistrats du pays s’épuisent à le débusquer. Ils ont de quoi dresser chaque année un joli tableau de chasse : le  » relevé des lois qui ont posé des difficultés d’application ou d’interprétation pour les cours et tribunaux « .

La cinquième édition, cuvée 2011, vient de sortir de presse : 268 pages. Un catalogue de  » perles  » truffé de considérations pas toujours aimables :  » illisibilité « ,  » inexplicablement « ,  » lacune « ,  » problématique « ,  » interprétations contraires « .

L’affaire ne se limite pas à un mauvais bulletin. Pas plus tard que fin mars, un revenant s’est pointé en commission de la Justice du Parlement : le permis à points. On ne sait trop pourquoi, mais cet enfant mort-né il y a… 22 ans est revenu sur le tapis de la Chambre, pour retomber aussi sec dans l’oubli. Dans son sillage, l’un ou l’autre autre naufrage ou accroc législatif est évoqué en séance.

Et cette évaluation promise de la loi de 2007 sur le système de garantie locative ?  » Elle n’a pas pu être finalisée « , répond la ministre de la Justice Turtelboom (Open VLD). Trop tard pour se tracasser :  » Il apparaît peu indiqué pour le gouvernement fédéral d’envisager des travaux et/ou des réformes. L’ensemble de la matière doit être transférée aux Régions.  » Bon débarras.

Et ces procédures judiciaires en droit de la famille, appliquées cahin-caha deux ans après leur entrée en vigueur ?  » Il est inacceptable que nous débattions et modifions des lois qui, sur le terrain, sont suivies par certains juges et par d’autres pas « , s’insurge une députée Open VLD. Problème d’infrastructures, justifie la ministre de la Justice. Qui promet de voir ce qu’il y a moyen de faire  » pour rendre possible une bonne application de la loi « .

Ici on s’emporte. Ailleurs on s’impatiente.  » Les arrêtés royaux sont au frigo depuis 2005, espérons qu’ils n’y pourrissent pas « , marmonne Herman De Croo (Open VLD), en apprenant que la nécessaire protection de la vie privée sur Internet marque le pas.

Trop de lois tuent la loi. Et cela ne s’arrange pas. Le Collège des procureurs généraux s’échine à mettre le doigt dans la plaie.  » Un des problèmes majeurs actuels, dans le cadre de l’application des lois, se rapporte aux modifications légales incessantes. « 

Ancien magistrat et toujours professeur à l’UCL, Christian Panier confirme sans se faire prier.  » Le droit est devenu un produit qui s’alimente par un réflexe pavlovien. Il finit par en étouffer. La dégradation de la qualité du travail législatif est affolante. « 

Les symptômes sont visibles. Agitation, fébrilité à tous les étages du Palais de la nation. Président de la commission de la Justice au Sénat et lui aussi ex-magistrat, Alain Courtois (MR) peste :  » On surfe trop sur la vague en sachant qu’on va dans le mur. « 

Des lois en veux-tu en voilà (voir l’échantillon en p. 21). Celles adoptées à la hussarde : on les vote d’abord, puis on réfléchit à ses conséquences.  » L’effet d’annonce est rarement suivi de l’annonce des effets « , résume Panier. Cela conduit aux lois que la Belgique ne peut plus s’offrir parce qu’elle n’a plus le sou.  » Quand on vote une loi, il faudrait au moins s’assurer d’en avoir les moyens. Ce n’est pas assez le cas « , appuie le sénateur CDH Francis Delpérée.

Il suffit que les armes parlent et que le sang coule pour que la machine s’emballe. Il faut frapper les esprits pour canaliser l’émotion.  » Le classique, c’est d’aggraver une peine en inventant une infraction qui est déjà punissable. L’infraction pour terrorisme est une bêtise sans nom « , reprend Christian Panier.

Il y a aussi les lois tellement mal conçues qu’elles programment celles qui seront  » réparatrices « . L’espèce est en vogue.

Ou encore les lois qui font plus de tort que de bien. Pas sûr que les malfrats soient de fidèles lecteurs de la prose du Collège des procureurs généraux. Ils ont tort. Ils découvriraient avec ravissement dans son dernier rapport que la loi de 2007 en matière de recel et de saisie  » a, en raison de son illisibilité, encore aggravé la problématique « .

Plus inquiétant, voire diabolique. Les lois capables de dire tout et leur contraire. Ou dans lesquelles  » on va jusqu’à inoculer le venin qui peut en paralyser les effets « , assure Christian Panier. Les lobbys sont souvent passés par là.

La matière fiscale est un terrain fertile pour noyer ainsi le poisson.  » Les dispositions légales sont parfois le résultat de compromis politiques, ce qui peut expliquer la difficulté de rédiger un exposé des motifs suffisamment clair et précis « , relève un spécialiste de droit fiscal. L’imprécision ou la contradiction peut être tout profit pour le contribuable :  » Il doit alors bénéficier de l’avantage du doute. « 

Faire et défaire. A force d’emmêler les fils, le législateur finit par se prendre les pieds dans le tapis.

Constitutionnaliste, ex-conseiller d’Etat et sénateur CDH, Francis Delpérée plaide les circonstances atténuantes.  » Il n’est pas commode de rédiger une loi.  » Son regret : que les bons juristes se fassent rares sur les bancs du Parlement ou dans les cabinets ministériels.

Cet enquiquineur de Conseil d’Etat, pourtant de bon conseil, a été mis sur la touche.  » Afin de gagner du temps, le Conseil d’Etat a été prié de limiter ses avis à des questions de compétence et de constitutionnalité des lois. Et de s’abstenir de remarques sur le fond et la forme des textes « , précise Delpérée.

Légiférer toujours plus vite. La concurrence est si rude.  » Il y a le parlementaire qui veut légiférer pour légiférer ou pour accoler son nom à une réforme législative. Il y a le parlementaire de l’opposition qui veut prendre l’initiative d’une loi avant qu’un autre, de la majorité, ne fasse des propositions sur le même sujet.  » Et les ministres ne sont pas en reste : tous pressés d’attacher leur nom à un bout de loi et plus encore de le faire savoir.

Comment s’extraire du bourbier législatif ? Bâtonnier au barreau de Bruxelles, Jean-Paul Buyle, ne voit de salut que dans un peu de hauteur :  » Nous avons besoin avant tout d’hommes et de femmes d’Etat, de visionnaires qui en reviendraient à quelques principes de base dans la confection des lois.  » Retour sur terre.

PIERRE HAVAUX

Diabolique : certaines lois sont infectées d’un virus pour en paralyser les effets

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