Lode Van Pee, architecte du Rwanda

Sur les bords du lac Kivu, Lode Van Pee met la dernière main au musée de l’Environnement, une initiative inédite dans la région des Grands Lacs. Peu connu chez nous, ce Belge est adulé au pays des Mille Collines. Portrait.

Ce sera à coup sûr un événement au Rwanda et dans toute la région : en novembre, le musée de l’Environnement ouvrira ses portes à Kibuye, calme cité au bord du lac Kivu, mais qui a subi de plein fouet le génocide en 1994. Dans ce pays densément peuplé, où le déboisement atteint des proportions alarmantes, le musée aura pour objectif principal d’inciter les habitants à préserver le milieu naturel. En Afrique, le Rwanda est un pionnier de l’écologie, au point d’interdire depuis plus de dix ans les sacs en plastique et de généraliser les ampoules basse consommation. En 2007, il a même inauguré une des plus grandes centrales solaires d’Afrique. Le thème de la première expo sera précisément l’énergie, en écho aux prodigieuses réserves de gaz méthane renfermées dans le lac. Original : parmi les partenaires du futur musée, on trouve la Fondation polaire internationale d’Alain Hubert, avec laquelle des informations seront échangées et comparées.

 » La toiture du musée sera agrémentée d’un jardin, s’enthousiasme son concepteur, l’architecte et anthropologue Lode Van Pee (54 ans). Les différents niveaux des bacs à fleurs seront un rappel des cultures en terrasses. Les panneaux solaires seront bleus comme le lac et le ciel. Ce sera un beau mariage entre la nature et la technique, la terre et l’eau !  » Peu connu en Belgique francophone, Van Pee, qui est aussi le directeur du centre culturel provincial Caermersklooster à Gand, est très apprécié par le régime rwandais. Un tour de force, lorsqu’on sait que l’ombrageux président Paul Kagame n’aime pas trop les Belges, à qui il impute l’exil des Tutsi (et de sa famille) au début de l’indépendance. De plus, Van Pee est flamand. Or, dans certains milieux tutsi, on se complaît parfois à associer nos compatriotes nordistes aux nostalgiques de l’ancien régime hutu.

Une révélation qui guidera sa vie

Mais Van Pee, lui, est une  » exception « , souligne-t-on en haut lieu à Kigali.  » On vous cherchait depuis longtemps « , lui avait lancé en 2002 le ministre de la Culture Robert Bayigamba. Le Gantois préparait alors une exposition sur les imigongo, ces peintures géométriques réalisées sur des supports en bouse de vache, coloriées ensuite. Van Pee n’était plus retourné au pays des Mille Collines depuis le génocide. Son premier voyage, il l’a fait à 17 ans :  » Je voulais prendre le large, et j’ai choisi le Rwanda, sans trop savoir pourquoi, peut-être à cause d’une tante missionnaire là-bas.  » Le pays avait encore l’image de  » Suisse de l’Afrique « . Sac au dos, il file vers la région des volcans, et là, c’est la révélation qui guidera toute sa vie : une hutte, toute simple en apparence, mais à la conception remarquable.  » J’ai alors décidé de devenir architecte.  » Et il reviendra chaque année au Rwanda.

A 25 ans, il réalise ce qui le rendra célèbre : le Musée national de Butare, le plus important de toute l’Afrique centrale, et aujourd’hui illustré sur les billets de 1 000 francs rwandais. Le bâtiment avait été promis par le roi Baudouin en… 1970. Comme le 25e anniversaire de l’indépendance du Rwanda (1987) approchait, les deux pays ont mis les bouchées doubles pour accomplir enfin  » la promesse royale « . Riche de sept salles couvrant 2 700 mètres carrés, le musée raconte la transformation successive du Rwanda depuis la période précoloniale jusqu’à aujourd’hui, tout en abritant l’une des plus belles collections ethnologiques d’Afrique de l’Est. Son toit en cuivre évoque la polyrythmique des tambours rwandais, tout en faisant écho aux motifs traditionnels incrustés dans la maçonnerie.  » J’ai également joué avec l’ombre qui accentue cette rythmique de façon naturelle « , explique-t-il. La somptueuse collection de photos provient du siège des Pères blancs à Rome, que Lode est allé chercher en personne.

Aujourd’hui, l’homme vit toujours  » à 200 à l’heure « , entre des expos à Gand sur des thèmes aussi éclectiques que Stanley Kubrick ou Félicien Rops, et ses missions au Rwanda, financées par la coopération belge. Dans l’ancienne cité royale de Nyanza, il a récemment participé à l’érection d’un musée de l’histoire dans l’ancien palais du mwami (roi). Un nouveau palais royal a été bâti en 1953, mais il n’a jamais été occupé. Ce lieu-ci est aujourd’hui dévolu aux artistes rwandais contemporains. Van Pee a participé au comité de sélection des £uvres.  » Franchement, je craignais l’exercice, se remémore- t-il. Le Rwanda est un pays de tradition orale, de danses, de décorations géométriques, mais pas de peinture. Mes interlocuteurs rwandais eux-mêmes n’y croyaient pas. Et là, ce fut l’étonnement, on a reçu une cinquantaine de peintures de grande qualité, inspirées du génocide ou purement conceptuelles.  » Toutes ont été financées par la province de Flandre orientale. Trois concours ont déjà eu lieu.

Au Rwanda, il fait ce qu’il veut

 » Je m’amuse pleinement dans ce que je fais, et les Rwandais me considèrent comme un des leurs « , sourit ce célibataire sans enfants, un statut pas toujours facile à assumer en Afrique. Mieux : on lui a proposé de devenir directeur des Musées nationaux !  » Je n’en ai pas dormi. Moi, un muzungu (Blanc), diriger les Musées rwandais ? Finalement, j’ai décliné, et mes interlocuteurs se sont rendu compte que ce n’était peut-être pas la meilleure idée.  » Au Rwanda, on n’aime pas trop les têtes qui dépassent. Pour garder ses entrées, mieux vaut rester dans l’ombre.  » De toute façon, je ne cours pas vers les médias, reconnaît-il. On ne me connaît guère, et cela a renforcé ma position.  » Il est si discret qu’au Rwanda certains le croient mort, ou alors d’un âge canonique, car ne réalisant pas qu’il a conçu si jeune le musée de Butare…

Sur les dérives autoritaires du régime, il se montre tout aussi évasif :  » Si je n’en parle pas, ce n’est pas par crainte, mais parce que je n’en vois pas l’intérêt. Pour moi, Kagame [NDLR : qui a préfacé son remarquable ouvrage sur le patrimoine culturel du Rwanda, écrit avec Célestin Misago] est quelqu’un qui travaille quatorze heures par jour pour la reconstruction de son pays, point à la ligne. Au Rwanda, je fais ce que je veux, on ne me freine jamais dans le domaine de mes compétences. Au contraire, on me stimule. Que demander de plus?  » Il conclut en répétant  » Ik ben een doener, geen prater « , j’agis et je ne parle pas. De quoi s’assurer une retraite sereine au Rwanda, car tel est son rêve quand sonnera l’heure de quitter ses fonctions gantoises.

FRANÇOIS JANNE D’OTHÉE

Lode Van Pee est si discret qu’au Rwanda certains le croient mort, ou alors d’un âge canonique

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