L'accusé s'est rendu célèbre, en 1983, pour avoir organisé le kidnapping du petit-fils du fondateur de la marque Heineken. Le livre dévoile une fratrie brisée par la violence d'un père alcoolique, qui semait la terreur. © EPA-EFE

Linge très sale en famille

Soeur du criminel et mafieux néerlandais Willem Holleeder, longtemps sa confidente, elle a décidé de témoigner contre lui. Protégée par la police, Astrid Holleeder raconte son histoire dans Judas.

Sous son chemisier blanc, elle porte un gilet pare-balles. Ces temps-ci, ses cheveux sont longs et bruns, mais d’ici à quelques semaines, il sera peut-être impossible de la reconnaître. Depuis bientôt quatre ans, Astrid Holleeder, 52 ans, vit cachée et change régulièrement d’apparence. Sous protection policière, elle ne peut ni se promener, ni dîner au restaurant, ni aller chercher sa petite-fille à l’école. Les instants les plus dangereux de sa journée sont les pas qui séparent les portes de son appartement – qu’elle surnomme  » Fort Knox  » – et celles de sa voiture blindée.  » Je vis avec la peur qu’on me tire dessus, confie-t-elle, dans le bureau de son éditeur néerlandais, établi dans une ancienne usine de chewing-gum en périphérie d’Amsterdam. Je prends toutes les précautions, mais je ne me fais pas d’illusions. Je sais qu’ils finiront par avoir ma peau.  »

Malgré tous ses torts, il reste mon frère et je continue de l’aimer. C’est peut-être là ma faiblesse

Astrid Holleeder a d’excellentes raisons de craindre pour sa vie. Un homme est prêt à payer cher pour qu’elle meure. Cet homme, c’est son frère. Willem Holleeder – alias  » Wim « , ou  » le Nez « , en raison de la taille de son appendice nasal – est aussi un des chefs de la pègre néerlandaise. En 1983, ce charismatique malfrat s’est rendu célèbre pour avoir organisé le kidnapping du richissime Freddy Heineken, petit-fils du fondateur de la marque de bière, et de son chauffeur. Une histoire spectaculaire par le montant de la rançon – 35 millions de florins (16 millions d’euros), obtenus au terme de plusieurs semaines de séquestration. Libéré en 1993, après neuf ans passés derrière les barreaux, Holleeder profite de son aura de star du crime pour se hisser peu à peu à la tête de la mafia. En 2014, Astrid trouve la force de le dénoncer à la justice, provoquant bientôt sa chute. A nouveau enfermé dans un quartier de haute surveillance d’une prison du pays, il est accusé d’avoir commandité pas moins de six assassinats – dont celui de Cor, son beau-frère et meilleur ami.  » Mon frère est un serial killer « , résume Astrid.

Linge très sale en famille
© r. van lonkhuijsen/epa-efe/maxppp – collection holleeder family

Dans un livre haletant qui a atteint des records de vente aux Pays-Bas, Astrid Holleeder raconte ce qui l’a conduite à prendre cette décision aux si lourdes conséquences. Son récit, qui se lit comme un thriller, vient détruire l’image très favorable dont jouissait son frère auprès de l’opinion publique. Irrésistible séducteur, manipulateur de génie, Willem a en effet réussi, dans les années 2000, à devenir la coqueluche d’une partie des médias néerlandais. Invité sur les plateaux de télévision, chroniqueur dans un magazine populaire, il soigne sa renommée pour mieux garantir son impunité.  » Dans la rue, les passants l’arrêtaient pour le saluer et être photographiés à son côté. C’est un excellent communicant, il sait se rendre aimable. Aux Pays-Bas, on appelle cela un « knuffelcrimineel » : un criminel câlin.  »

Entre deux opérations de séduction dans la presse, Wim Holleeder poursuit ses activités illégales et prend en otage son entourage.  » Il ne recule devant rien pour parvenir à ses fins. Il invente ses alibis, donne de fausses informations, utilise ses amis à son seul avantage. Menteur invétéré, il est capable d’une extrême violence physique et verbale.  » Longtemps, pourtant, sa soeur a été sa plus grande confidente. Avocate de profession, elle va jusqu’à le conseiller. Le jour où elle comprend que son frère est prêt à tuer des membres de sa famille, elle trouve le courage de le dénoncer à la justice.  » C’était lui ou nous ; il a fallu choisir.  » Pour faire tomber le masque de ce séduisant gangster, elle accumule des preuves irréfutables :  » Sans les enregistrements, personne ne nous aurait crus !  » Avec le soutien de deux magistrates et d’un journaliste, elle s’équipe de micros et, pendant plusieurs mois, profite de la confiance de son frère pour enregistrer en cachette leurs nombreuses conversations.  » Nous étions très proches. Il m’appelait dix fois par jour. J’étais la seule personne en qui il avait confiance. Et je l’ai trahi.  »

Judas, par Astrid Holleeder, trad. du néerlandais par Brigitte Zwerver-Berret et Yvonne Pétrequin, éd. du sous-sol, 496 p.
Judas, par Astrid Holleeder, trad. du néerlandais par Brigitte Zwerver-Berret et Yvonne Pétrequin, éd. du sous-sol, 496 p.

Mêlant récit familial et chronique d’un combat insensé, Astrid Holleeder dresse le portrait saisissant d’une fratrie brisée par la violence. D’un côté, il y a ce père alcoolique qui sème la peur partout, rouant de coups sa femme et ses quatre enfants. De l’autre, il y a une mère battue, fragile, qui, à peine libérée du joug de son mari, tombe sous celui, plus toxique encore, de son fils aîné. Héritier d’un père tyrannique et colérique, Wim ne supporte pas qu’on lui résiste.  » Nous n’avions d’autre choix que de nous soumettre à ses règles.  » Un jour, frustré de voir sa soeur refuser de lui dire où se cache son ancien complice, il pointe une arme sur la tempe d’un jeune garçon. C’est leur neveu. Il a 9 ans.

La voix d’Astrid se brise lorsqu’on lui demande si elle a des regrets.  » Des regrets, j’en ai tous les jours. Toute ma vie, je me détesterai pour ce que je lui ai fait subir. Car, malgré tous ses torts, il reste mon frère et je continue de l’aimer. C’est peut-être là ma faiblesse. Je ne crois pas être meilleure que lui. Je le comprends mieux que personne. Et je pense qu’à sa place j’aurais pu agir comme lui.  » Le procès aux assises de Willem Holleeder – suivi à la loupe par des milliers de Néerlandais – s’est ouvert le 5 février dernier. L’accusé continue de défendre son image de père de famille protecteur.  » Cette fois, il ne bernera personne. Si tout se passe comme prévu, il écopera de la perpétuité. Devant nos yeux, son monde s’effondre, et moi, je souffre de le voir à terre. Mais je garde la tête haute.  »

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