Liège à l’Attac

Attac-Belgique est formé d’une quinzaine de comités locaux. Plongée, à Liège, dans une organisation qui réinvente la « militance »

Le cinéma Le Parc, à Droixhe: l’avant-première liégeoise de Kandahar, le film de Mohsen Makhmalbaf, fait salle comble. Particularité: c’est une soirée Attac (Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens), comme il s’en organise régulièrement sous les auspices de l’ASBL Les Grignoux, temple liégeois du neuvième art. Après la projection, une partie des spectateurs restent en place pour le débat: quel avenir pour l’Afghanistan ? « Il faut essayer de traiter le problème à la racine », professe Eric Toussaint, 47 ans, président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, l’un des deux Belges, avec François Houtart, directeur du Centre d’études intercontinentales, à figurer dans la « coupole » des « altermondialistes »: le conseil international du Forum social mondial de Porto Alegre. « Il y a, poursuit-il, des aspects de modernité dans la population afghane, sur lesquels on peut s’appuyer pour mener des projets de développements locaux, à condition que les pays du Nord cessent de piller les ressources du Sud. » Le public s’intéresse poliment à la question. Un intervenant met en cause les « médias » qui restent muets sur l’information développée par Jean-Charles Brisard et Guillaume Dasquié dans un livre récent Ben Laden: la vérité interdite (Denoël): jusqu’à très récemment, les Américains étaient en pourparlers avec Oussama ben Laden pour acheminer le pétrole et le gaz d’Asie centrale via l’Afghanistan, évitant ainsi l’Iran et la Russie. Eric Toussaint approuve: « Les deux puissances engagées sur le terrain militaire sont les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Or cinq des sept plus grandes sociétés pétrolières mondiales sont américaines, tandis que les deux autres, anglo-néerlandaises, ont leur siège à Londres. » CQFD. Le débat, c’est la loi du genre, laisse une impression de déjà-vu, déjà entendu.

Un certain renouvellement

Normal: Attac n’est pas né de rien. Le mouvement, qui compte, dans la province de Liège, 500 militants et 1 200 sympathisants – le comité local de loin le plus important de la quinzaine qui existent en Belgique – recycle un nombre non négligeable de militants qui ont usé leurs plus belles années dans le trotskisme, le féminisme, le mouvement pour la paix, le syndicalisme, l’écologie, etc. Cela, sans compter les organisations ayant pignon sur rue et qui se sont affiliées collectivement (FGTB et CSC-Liège, CSC et CGSP nationales, Amis du Monde diplomatique, CNCD…). De fait, Attac est arrivé à point nommé pour donner un sens aux combats éparpillés de ces militants génétiquement programmés pour la critique sociale. La nouveauté, c’est qu’ils recrutent au-delà de leur premier cercle. « Les trois quarts de nos membres n’ont jamais milité dans rien, se défend Madeleine Plumhans, 54 ans, enseignante. Attac est un mouvement très pluraliste. On n’y retrouve pas toujours les mêmes. » Entre l’âge de 25 et 35 ans, Madeleine, qui appartient à une famille d’indépendants, a toujours cherché à se rapprocher des milieux ouvriers et paysans, en adhérant aux « groupes de base » les plus pointus de sa région. Pause enfants, problèmes de santé, reprise des études à l’université: elle laisse tomber la « militance », tout en restant dans le circuit. « On créait déjà des réseaux pour dénoncer le capitalisme, se rappelle-t-elle, mais on ne disposait pas d’une vision d’ensemble. L’apport des intellectuels à Attac a été appréciable. Avec eux, nous sommes devenus un mouvement de formation citoyenne. » Vouant une estime particulière à Susan George, une icône féminine (et féministe) du mouvement Attac, Madeleine s’est affiliée en 1998. Par Internet, forcément. Son job ? Le partenariat avec le cinéma Le Parc (qui vient de diffuser le documentaire d’Arte, Une autre mondialisation, de François Christophe: plus de 200 participants) et les marchés. Qui ne sont pas financiers, pour une fois, mais liégeois: Attac y promène régulièrement son échoppe à idées. « Depuis un an, les gens viennent spontanément vers nous. Ils ont envie d’être généreux mais ne savent pas quoi faire. Nous les renvoyons vers Oxfam, Amnesty International, etc. Là où n’importe quel citoyen peut se rendre utile. »

Vicky Goossens, 56 ans, enseignante, souvent déléguée syndicale, et plus souvent qu’à son tour, en désaccord avec les « structures », se réjouit d’appartenir à une nébuleuse qui ignore les clivages traditionnels. Mais ce que cette militante apprécie le plus dans Attac, c’est la « redistribution des savoirs ». Prof d’économie politique dans une école supérieure, elle y a trouvé ce qui correspond le mieux aux analyses qu’elle ruminait dans son coin. « Avec l’aide du Monde diplomatique, reconnaît-elle. Car nous sommes tous des lecteurs du Monde diplo. » A Liège, elle s’occupe du partenariat avec le Théâtre de la Place. « Il y a une nouvelle sensibilité chez les jeunes, remarque-t-elle. Dans les années 80, ils étaient pris par la compétition. Il me semble qu’aujourd’hui ils ont une réflexion d’un autre ordre. » Retour d’Algérie, en 1988, Juliette Charlier, 51 ans, vit, aujourd’hui, dans un village ardennais. Et elle confirme: « Les jeunes remontrent le bout du nez. » En tout cas, ce sont eux qui mettent des couleurs dans les cortèges ou les manifestations d’Attac, que Juliette colore avec son Charivari, un groupe à mi-chemin du théâtre-action et du spectacle de rue.

« Qu’on commence par appliquer les lois »

A la tête d’Attac-Belgique, Arnaud Zacharie, 27 ans, a également élu domicile dans la Cité ardente. Ce diplômé de l’université de Liège en relations internationales, est venu à Attac en travaillant, avec Eric Toussaint, au Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde. « Nous sommes un mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action », ramasse-t-il. Fort de ses quelque 2 500 membres en Belgique, Attac chouchoute ses intellectuels (réunis dans un « comité scientifique », ses amis artistes (comme les frères Dardenne) ou médecins (tel Peter Piotr, d’ONUSida), tout autant qu’il entreprend avec sérieux le citoyen lambda. Pas étourdi pour un sou par l’opinion favorable qui se répand dans le public et le monde politique (création d’un « groupe taxe Tobin » au Parlement fédéral et d’un groupe Attac au Parlement européen; tentative par le ministre des Finances, Didier Reynders (PRL), d’inscrire l’examen de la faisabilité de la taxe Tobin à l’agenda européen), le président d’Attac ne repousse aucune bonne volonté. Ce que veulent, en définitive, ces « pluralistes pragmatiques », comme il les définit? « Former un lobby citoyen pour contrecarrer le lobby industriel et financier », explique Zacharie. Aussi simple. Et la taxe Tobin, ce projet de prélèvement d’une part (infime) des transactions financières afin d’alimenter un fonds pour le développement, est l’un des chevaux de bataille du nouveau mouvement de contestation (déjà 100 000 membres sur le Vieux Continent). Au-delà de ce projet emblématique, les « altermondialistes » mettent en avant le droit et la justice. « Si l’on commençait par appliquer les textes qui existent déjà au niveau international, et qui donnent des droits économiques, sociaux et culturels aux gens, la moitié de notre programme serait déjà réalisée », déclare Arnaud Zacharie.

Dans cette configuration très liégeoise – Attac « colle » aux spécificités locales: Bruxelles, par exemple, est davantage connoté PTB (Parti du travail de Belgique) -, Eric Toussaint fait presque figure d’ancêtre débonnaire. Ce trotskiste a donné une dimension internationale à son engagement dès la fin des années 80, en participant à des manifestations contre le FMI (Fonds monétaire international), la Banque mondiale et le G 7, en tête desquelles marchaient le chanteur Renaud et l’écrivain Gilles Perrault, à Paris et à Berlin. « L’Histoire a repris son cours, en 1994, avec la révolte des Indiens du Chiapas, au Mexique », se rappelle-t-il. Vinrent ensuite l’échec de l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement), Seattle, Porto Alegre: les étapes d’une notoriété grandissante et la preuve que le mouvement n’est pas une construction éphémère. « Nous traçons notre sillon. », conclut Toussaint. A voir dans quelques années…

Marie-Cécile Royen

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