Les Wallons ont perdu une grande partie de leur âme

D’abord, soyez en certain, Monsieur Fonteyn, je vous tiens en grande estime. J’ai de vrais amis flamands dans cette Belgique à laquelle nous tenons quand même un peu, et vous la représentez admirablement, dans votre constant souci de comprendre  » l’autre communauté « , à savoir la Wallonie. Merci pour cela. J’ai lu passionnément votre article paru le 19 novembre, Nouveau  » corridor  » ? , et je m’étonne, en toute sympathie, d’y constater une lacune aussi flagrante, chez un aussi bon connaisseur de ma Région wallonne. Certains mal pensants verront dans vos lignes l’éternel relent du pauvre Flamand méprisé dans ses filatures textiles, humilié et massacré sur l’Yser par la bourgeoisie francophone oppressante, capitaliste, dédaigneuse, et bétaillère. Je pense que s’il y a eu cette bourgeoisie, elle sévissait de même pour les Wallons ; mais ce n’est pas là l’objet premier de ma communication.

Monsieur Fonteyn, vous savez que le wallon, ma langue maternelle, est quasi éteinte dans nos murs. J’ai appris récemment à dire à une adorable petite fille de 3 ans, dans ces moments où les enfants aiment taper de la main sur la table :  » C’est mi qu’est mêsse, è dji vou on fistou po beûre  » (C’est moi qui commande, et je veux une paille pour boire). Suite à cette initiative de ma part, je n’ai pas constaté dans la famille un grand enthousiasme. On l’a accueillie avec tiédeur, et j’y vois un des signes du syndrome wallon : la gêne de la vraie langue. Comment, diable, l’esprit républicain s’y est-il pris pour convaincre les gens de la médiocrité de leur langage ? Nos parents parlaient wallon entre eux, français à leurs enfants ; ils croyaient de bonne foi que c’était là le chemin de l’éducation et d’une vie meilleure pour leur progéniture, eux qui avaient connu la guerre, la pauvreté, et même parfois la misère. Comment les Flamands ont-ils fait (quelle admiration ils suscitent en moi !) pour préserver leur dialecte contre l’agression du français ? […] Ce  » signum linguae  » que vous commentez, nous le connaissions sous l’appellation et la forme du  » bonnet d’âne « . [Un de mes amis] l’a porté, en 1962 encore, pour avoir osé parler wallon dans la cour de récréation au collège de Carlsbourg (Wallonie). Je suis encore indigné à la pensée que tout un système culturel et politique ait pu faire subir cela à un homme tel que lui. Monsieur Fonteyn, le temps des pauvres Flamands battus, c’est fini. Ils sont riches, pour l’heure en tout cas. Monsieur Fonteyn, en perdant la langue de notre mère, nous autres Wallons, nous avons perdu une grande partie de notre âme, et vous avez gardé la vôtre ; alors nous sommes assez malheureux comme ça : pas besoin de suggérer qu’à la limite du plan B, Plombières puisse éventuellement servir de chaînon manquant !

Il n’est pas donné suite aux lettres ouvertes ou portant des adresses incomplètes. La rédaction raccourcit certaines lettres pour permettre un maximum d’opinions.

Louis Gourdange, Blégny, par courriel

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire