Les vrais chiffres

Les organisations criminelles se portent bien en Belgique. C’est ce que révèle un document confidentiel que Le Vif/L’Express a reçu par un vent favorable. Risques majeurs : la traite des êtres humains et la cybercriminalité, sans oublier les cambriolages et le trafic de drogues.

Elaborée par la police fédérale, l’Image policière nationale de sécurité (IPNS) 2011 est la matrice du fameux Plan national de sécurité 2012-2015, présenté le 18 avril dernier à la Chambre. De l’IPNS dépend donc le choix des priorités policières du gouvernement. Dans cette analyse de risques réalisée par une cinquantaine d’experts judiciaires et civils, les longs chapitres consacrés à la criminalité organisée recèlent les éléments les plus préoccupants pour la sécurité des citoyens.

Les phénomènes criminels sont classés en fonction de leur gravité et de leur impact sur la société. Les groupes d’auteurs y apparaissent en fonction de leur origine (lire pages 38 à 43). Il ne s’agit pas de stigmatiser telle ou telle communauté ethnique. Mais toute autre typologie s’avère impraticable.

Dans son évaluation de la menace, l’IPNS prend aussi en compte la vulnérabilité des cibles des criminels. En effet, plus une cible s’avère vulnérable, plus l’auteur a de chances de réussir son coup… Tout cela explique que la criminalité la plus inquiétante n’est pas toujours la plus visible. Une petite organisation qui combine de la fraude sociale et de la traite des êtres humains peut faire davantage de dégâts sociétaux qu’une bande itinérante qui multiplie les cambriolages.

Voici comment l’Image policière nationale de sécurité 2011 hiérarchise les phénomènes de criminalité organisée. Les trois premiers touchent les immigrants illégaux, victimes les plus fragiles.

1. L’EXPLOITATION SEXUELLE

Sur les 23 000 prostituées que compte la Belgique, 80 % sont victimes d’exploitation et 10 % d’exploitations graves, c’est-à-dire de violences sexuelles et/ou physiques (coups au visage ou au ventre pendant la grossesse, brûlures de cigarettes…). Le chiffre d’affaires de cette exploitation sexuelle est estimé à 1,9 milliard d’euros par an.

2. L’EXPLOITATION ÉCONOMIQUE

En 2009 (derniers chiffres disponibles), 2 963 travailleurs illégaux étrangers ont été recensés lors des contrôles de services d’inspection sociale. Il s’agit de la pointe de l’iceberg. En réalité, il y aurait au moins 21 000 travailleurs illégaux en Belgique. Les secteurs les plus touchés : horeca, nettoyage, transport. A côté des Indiens et des Pakistanais, les organisations chinoises constituent une lourde menace, notamment via les wok restaurants (lire page 42).

3. LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS

Près de 30 000 personnes ont été interceptées en 2009. Le phénomène est en constante évolution. L’IPNS souligne le nombre élevé d’organisations criminelles en la matière, d’origine surtout chinoise, indienne, afghane ou belgo-hollandaise.

4. LA CRIMINALITÉ INFORMATIQUE

Le nombre de faits enregistrés par la police augmente de 28 % chaque année. En 2010, plus de la moitié des internautes ont été confrontés à une infection propagée par un malware. Le préjudice financier de cette criminalité perpétrée surtout par des organisations chinoises et d’Europe de l’Est en Belgique serait de 1 milliard d’euros. De plus en plus, Internet offre de nouvelles opportunités aux organisations criminelles, notamment pour écouler des biens illégaux ou pour recruter des hommes de main.

5. LE TRAFIC DE COCAÏNE

Avec 13 tonnes de marchandises et un chiffre d’affaires de 430 millions d’euros, la Belgique est l’un des principaux importateurs de cocaïne en Europe.

6. LES CAMBRIOLAGES

Nonante mille faits recensés par an, ce qui correspondrait à 40 % de la réalité (22 000 faits commis par des groupes nomades).

7. LE TRAFIC DE DROGUES SYNTHÉTIQUES

Les organisations belgo-néerlandaises sont très performantes en matière de drogues synthétiques : la Belgique écoulerait chaque année sur le marché mondial 22 tonnes d’amphétamines et 18 tonnes d’ecstasy sous forme de produits finis. Une production qui dépasse largement la consommation locale (entre 4,2 et 5,9 tonnes).

Dans le Rapport 2010 sur la criminalité organisée en Belgique, qui vient d’être transmis au Parlement et qui n’a pas encore été rendu public, on apprend que près de 200 organisations criminelles ont été recensées en 2009 dans les enquêtes policières, soit 1 816 suspects identifiés (contre 1 836, en 2008), dont 40 % ont la nationalité belge. Plus de deux tiers de ces organisations développent des contre-stratégies, comme l’utilisation d’une structure commerciale ou l’emploi de la violence, pour mener à bien leurs activités criminelles.

L’IPNS 2011 relève aussi, dans ses conclusions,  » la complexité et l’internationalisation accrues de la société « , ainsi que  » les fragmentations grandissantes des compétences gouvernementales  » qui réduisent la capacité de contrôle des activités illégales dans toute la société. Les contraintes budgétaires, aggravées par la crise, imposent également des restrictions au niveau des services de police, relève l’IPNS. Autant d’opportunités pour les organisations criminelles dont certaines formes d’activités restent invisibles aux yeux des autorités…

THIERRY DENOËL ET MARIE-CÉCILE ROYEN

La criminalité la plus inquiétante n’est pas toujours la plus visible

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