Les VIP de l’art contemporain

Guy Gilsoul Journaliste

Un livre, signé Nathalie Guiot, nous promène dans les coulisses mondaines des foires d’art contemporain. Observations et réflexions.

Il s’agit, explique Nathalie Guiot en introduction à ce petit livre d’une centaine de pages, d’un  » récit frivole « . Pour l’écrire, l’ancienne journaliste s’est déguisée en jeune branchée prête à acheter du  » contemporain « . Au fil d’une année de pèlerinages aux quatre coins des manifestations où  » il faut être « , elle rencontre galeristes, courtiers, experts et surtout ces  » animaux difficiles d’approche « , les collectionneurs. Jeunes ou âgés, affirmés ou en passe de l’être, ils pèsent lourd dans le succès de ces rassemblements festifs qui sont la plus belle parade imaginée par les galeries pour contrer le succès rencontré par les salles de vente. Entre confidences et observations, l’auteure croque avec délice ce petit monde pas toujours savoureux qui, souvent, on le dit assez peu, influence la programmation des musées les plus pointus. Car il faut bien le rappeler. Les plus importants de ces acheteurs boulimiques jonglent avec un budget d’acquisition bien plus lourd que celui des marchands mais aussi des musées. L’un d’eux, 28 ans, héritier des Galeries Lafayette, achète en moyenne une £uvre tous les dix jours. Or, aujourd’hui, les petits prix oscillent dans cette gamme de produits autour de 5 000 euros. Un jeune designer belge dépense 10 000 euros par mois :  » C’est une somme, explique-t-il, mais, comparé aux collectionneurs qui achètent un Wim Delvoye à 100 000 euros sur une foire, ce n’est rien.  » Or ils sont nombreux à payer très, très cher leurs plaisirs de collectionneurs. Mais s’agit-il seulement de plaisir, voire d’ouverture d’esprit ? Pour reprendre un exemple connu et loin d’être unique, en acquérant un requin baignant dans le formol (£uvre de Damien Hirst) au prix de 8 millions de dollars, l’acheteur, un homme d’affaires américain, a aussi défrayé la chronique. Et, donc, s’est offert son moment de célébrité :  » Tous les collectionneurs, confie Antoine de Galbert lui-même collectionneur et aujourd’hui à la tête de La Maison rouge à Paris, sont dans la reconnaissance sociale. Même ceux qui vous diront le contraire. Ils aiment s’exposer, ils veulent être aimés.  » En effet,  » l’argent paie la visibilité, remarque Nathalie Guiot. Et la visibilité nourrit l’ego « . Le collectionneur sera donc aussi un pèlerin qui, d’aéroports en aéroports, court le monde au rythme des grands rendez-vous où on l’attend, le vénère et le gâte.

Nathalie Guiot démarre son enquête à l’heure de la FIAC chez une courtière parisienne de renom. Ses premières observations sont sans appel. Quand on vend cher, mieux vaut porter sur soi et autour de soi les indices de son pouvoir économique. Le cadre se doit d’être somptueux (vue imprenable sur la tour Eiffel, par exemple), le décor est choisi avec soin et les parures sont somptueuses, griffées et en accord de tonalité avec les  » produits  » à vendre. La soirée sera  » Arty  » avec hétaïres aux décolletés plongeants, champagne de marque et petits fours, mais aussi personnalités du milieu, garants de la fiabilité de l’hôte. Enfin, pour rassurer les futurs acheteurs, les £uvres exposées mêleront habilement les anciens (la génération minimaliste est souvent une bonne référence) aux plus jeunes bien évidemment  » bankables « . La recette est un classique.

 » Pour que ton livre se vende, avait confié un critique un peu éméché à l’auteure, il faut du sexe, des limousines et des fêtes, toutes les petites gâteries que l’art offre à ses plus grands acheteurs.  » C’est bien ce que va observer Nathalie Guiot tout au long de ce Grand Tour de l’Art contemporain qui démarre sur les chapeaux de roue en septembre et s’apaise à l’approche de l’été. Paris, Miami, Madrid, New York, Bâle, Berlin, autant d’étapes entre lesquelles elle participe aussi à l’une ou l’autre soirée en  » galerie « . Au milieu des VIP, elle découvre aussi des personnalités qui l’effraient, d’autres qui la fascinent ou l’ennuient :  » I shop what I am « , avait écrit en lettres rouges l’artiste américaine Barbara Kruger.

Petit tour des us et coutumes locales

L’aspect vestimentaire se joue au cas par cas. Selon le lieu (Miami n’est pas Bâle), le type de vernissage (officiel ou off), le caractère des £uvres présentées et la fonction du visiteur (acheteurs, galeristes ou directeurs de musées, par exemple). Smoking avec escarpins Christian Louboutin pour cette actrice du marché institutionnel arpentant les stands de la Foire de Miami, ensemble mousseline de soie à imprimés floraux de Stella McCartney pour cette collectionneuse venue à sa rencontre… Mais le vrai collectionneur se reconnaît dans toutes foires à deux appendices qui ne le quittent pas : l’appareil photo et le carnet sur lequel il note les prix. Puisqu’il est important, on vient le chercher en taxi et on lui concocte un programme chargé, lourd en vernissages, visites d’expositions ou de collections privées, forcément prestigieuses et, enfin, dîners et soirées festives :  » Vers minuit, note Nathalie Guiot lorsqu’elle est à Miami, le dîner s’achève. Le groupe clopine dignement vers la plage où sont proposées diverses animations : concerts et présentation de jeunes artistes dans des conteneurs sur South Beach. Retour à l’hôtel vers 5 heures du matin.  » C’est aussi à ce prix qu’elle fera bientôt partie du  » clan « , recevra les newsletters spécialisées et les résultats des ventes récentes qui lui permettront de connaître les moindres secousses du marché.

A Madrid ensuite, comme ailleurs, la journaliste retrouve quelques-uns de ses nouveaux amis, fait la connaissance d’autres venus de Mexico ou de New York, de Gand ou d’Anvers, qu’elle retrouvera à Paris ou à Bâle. Elle est aussi invitée à visiter leurs collections. Leur cadre de vie en dit alors beaucoup sur leur imaginaire et leurs motivations. Certains ont épousé l’art actuel à l’âge de leurs 20 ans et y sont restés enfermés, regrettant l’arrivée des plus jeunes (qui bien sûr sont moins bons). D’autres mêlent les genres, d’autres encore ne jurent que par l’art de leur pays, collectionnent de manière méthodique ou au coup de c£ur. Ici, on opte pour une présentation muséale clinique, hors de toute forme de vie familiale, là, on livre avec délice le décor d’une chambre à coucher… Tous reconnaissent cependant un fait :  » Vous avez trois tableaux, conclut Antoine de Galbert, vingt tableaux peut-être… Vous pouvez encore les accrocher. Le jour où vous ne saurez plus où les mettre, là vous aurez basculé dans une autre dimension, un nouveau mode d’acquisition, vous serez devenu collectionneur. « 

Collectionneurs, les V.I.P. de l’art contemporain, par Nathalie Guiot. Ed. Anabet (coll. Documents).

A lire aussi :

Impasses & impostures, par Pierre Sterckx, aux éditions Anabet, 122 p.

Extrême, esthétiques de la limite dépassée, par Paul Ardenne aux éd. Flammarion, 460 p.

Younger Than Jesus : Artist Directory, aux éd. Phaidon, 544 p., 2 000 ill.

GUY GILSOUL

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