Les valeurs défensives

Elles ont une réputation bien assise de sécurité, pour une faible prise de risques. Mais la réalité est beaucoup plus nuancée…

 » Magic Greenspan « , le président de la Réserve fédérale américaine, l’a dit : la reprise économique aux Etats-Unis est  » bien engagée « . Ces paroles ont sans doute rassuré, peut-être provisoirement, grand nombre d’investisseurs. De fait, même si cela traîne un peu, l’économie américaine semble se reprendre. Dès lors, les investisseurs réajustent progressivement (très, très progressivement…) leur portefeuille en faisant plus de place aux valeurs sensibles à la conjoncture.

Est-ce à dire qu’il faut délaisser les actions au profil plus défensif ? Nous ne le pensons pas, ne serait-ce parce que les actions au profil  » plus dynamique  » ont déjà progressé et que des poches de fragilité subsistent (fragilité de la reprise économique, conflit au Proche-Orient). Les évolutions de ces dernières années nous amènent cependant à nous interroger sur ces valeurs qui se sont vu accoler un peu vite une image de sécurité.

Des actions parapluies

Les actions sont qualifiées de défensives quand leurs résultats sont relativement peu sensibles aux variations économiques. Fort de résultats moins fluctuants, leurs cours tendent à mieux résister lors de creux conjoncturels comme celui dont nous sortons. Elles sont aussi qualifiées de valeurs refuges, car la prévisibilité (supposée) de leurs résultats permet de mieux cerner leur potentiel, dans un environnement difficile, que celui des valeurs dites cycliques (comme l’acier ou les semi-conducteurs) ; pour ces valeurs-là, les résultats sont moins prévisibles et les cours plus fluctuants.

Ainsi, le MSCI pharma (indice mondial de la pharmacie) a limité son recul à 0,6% entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 2001, contre – 4,5% pour le MSCI World (indice synthétique des Bourses mondiales). Les actions défensives permettraient donc d’investir en Bourse pour bénéficier des performances d’un investissement en actions (la forme la plus rémunératrice de placements à long terme, rappelons-le) tout en réduisant une partie du risque.

Quels sont ces secteurs défensifs ? Quelques exemples :

– l’agroalimentaire (Danone, Nestlé, Unilever…) : en haute ou en basse conjoncture économique, se nourrir reste une nécessité pour tout un chacun, ce qui garantit aux grands acteurs du secteur un chiffre d’affaires (et des bénéfices) stables, voire en hausse régulière. Ces sociétés bénéficient donc de l’absence de lien entre le pouvoir d’achat des consommateurs et les ventes de produits alimentaires en Occident. Le poste  » alimentation  » reste relativement stable dans le budget de dépenses des ménages qui coupent d’abord les achats les plus lourds (une voiture, par exemple) en cas de baisse de la croissance.

– les services à la collectivité (énergie, gestion des déchets : Suez, Electrabel,…) : tout comme l’agroalimentaire, le secteur des services aux collectivités est réputé peu sensible aux sautes d’humeur de l’économie, car faisant partie des dépenses dont les clients ne peuvent que difficilement se passer. Pour assurer leur croissance et réduire leur présence à des marchés nationaux souvent saturés (peu de croissance des ventes) et réglementés, ces groupes se tournent de plus en plus vers l’international, à l’image de Tractebel (groupe Suez) qui s’est montré offensif ces dernières années.

– les pharmaceutiques (UCB, Novartis…) : forts de leur capacité à assurer notre santé, les groupes pharmaceutiques ont pu compter sur le matelas que constitue leur portefeuille de médicaments pour afficher ces dernières années des résultats en croissance régulière. De plus, leurs nouveaux médicaments sont protégés de la concurrence pendant plusieurs années par les brevets leur garantissant ainsi des royalties à chaque gélule vendue. Ce qui ne signifie pas pour autant que le secteur a la vie facile, comme on le verra plus loin.

Un profil changeant

Sur le papier, tous ceux qui souhaitent investir en Bourse en limitant ses risques semblent donc avoir intérêt à se tourner vers les actions défensives. Mais la réalité est beaucoup plus complexe, à l’image de notre producteur national d’électricité Electrabel : son cours, après avoir atteint un sommet (400 euros à la fin de 1998) se traîne désormais aux alentours des 230 euros. Certes, le caractère défensif lié à la conjoncture et à ses aléas persiste, mais il est de plus en plus difficile pour une entreprise de se prévaloir du statut de valeur refuge dans l’environnement que nous connaissons, marqué par la globalisation et la dérégulation.

Globalisation. Dans un contexte mondial où les barrières géographiques s’estompent chaque jour un peu plus, les entreprises ont maintenant accès à de nombreux marchés jadis fermés. Revers de la médaille : chaque entreprise doit affronter la concurrence tant sur son marché national qu’international. En bref, il est de plus en plus difficile pour une entreprise de dominer son marché indéfiniment et d’y enregistrer une rentabilité constante. Le marché de l’eau potable fait actuellement l’objet de toutes les attentions des groupes agroalimentaires. Si, il y a encore quelques années, ce marché était partagé entre quelques grands acteurs actifs, chacun sur une zone géographique précise, la hausse de la demande mondiale stimule la concurrence (multiplication des offres) avec, à la clé, la possible remise en cause des positions actuelles.

La dérégulation joue aussi un rôle de premier plan dans la vie des entreprises. Même des secteurs considérés comme dégageant des bénéfices récurrents deviennent des terrains plus risqués. L’exemple de la production d’électricité est  » éclairant « . Considéré comme protégé il y a encore quelques années (pas de concurrence nationale et internationale, une consommation en légère hausse régulière), ce marché connaît des bouleversements importants.

En bref, à partir de 2004, le marché de l’électricité et du gaz sera partiellement libéralisé en Europe pour permettre, en théorie, une plus grande concurrence entre producteurs. En ligne de mire ? La perspective d’une baisse des tarifs nationaux et donc des résultats financiers.

Tant la globalisation que la dérégulation entraînent une course à la taille critique. Avec souvent à la clé une hausse de l’endettement et des acquisitions réalisées à des prix parfois trop élevés. In fine, ces valeurs, pourtant dites défensives, auront parfois détruit de la valeur actionnariale.

A côté de la globalisation et de la dérégulation qui s’imposent aux entreprises de l’extérieur, il faut également tenir compte de caractéristiques propres aux secteurs d’activité qui peuvent rapidement les déstabiliser et remettre en cause leur développement. Ainsi, s’il est vrai que le secteur pharmaceutique peut compter sur le potentiel du marché de la santé et des médicaments, ceux-ci peuvent se révéler une arme à double tranchant une fois le brevet tombé dans le domaine public, s’il n’y a pas de nouveaux produits pour prendre la relève. Plus grave encore, le retrait forcé du marché d’un important médicament.

C’est la mésaventure qu’a connue l’allemand Bayer en 2001 avec le Baycol (un anticholestérol) dont le retrait a amputé les ventes de plus d’un demi-milliard d’euros. Enfin, le developpement d’un nouveau médicament prend de plus en plus de temps (entre les années 1960 et la fin des années 1990, la durée de développement d’un médicament a doublé pour atteindre maintenant quinze ans) et coûte de plus en plus cher. Ce qui rend plus aléatoire que par le passé le potentiel de rentabilité d’une nouvelle molécule.

Faut-il, dès lors, se détourner des entreprises dites défensives ? Certainement pas. Mais  » acheter de la sécurité  » sur le marché des actions se révèle de plus en plus difficile et ne se limite plus à acquérir des actions sur un secteur réputé sûr les yeux fermés. Il faut, au contraire, analyser avec minutie chaque société retenue et son environnement pour déterminer son potentiel de croissance. Et garder à l’esprit qu’un investissement boursier ne peut s’envisager que sur le long terme, via un portefeuille d’actions diversifiées. Voilà la bonne manière de se montrer prudent.

Pierre Samain, Budget Hebdo.

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