Les tueurs de masse se vengent là où ça fait le plus mal

Il revient des Etats-Unis où il a rencontré deux serial killers pour un documentaire qu’il tourne pour la télévision française. Face à sa caméra, il a réussi à faire avouer ses crimes – alors que la justice n’y était pas parvenue – à Elmer Wayne, 27 victimes à son actif, qui a tué une première fois à l’âge de 15 ans, ce qui en fait le tueur en série le plus jeune de tous les temps. Auteur d’une quarantaine d’ouvrages, mondialement reconnu, confident de 60 serial killers en trente ans, Stéphane Bourgoin est devenu un spécialiste incontournable du crime en série. Il nous livre à chaud son analyse du drame de Termonde et de la personnalité de Kim De Gelder. Et son expertise sur les tueurs de masse.

Un tueur de masse qui, comme Kim De Gelder, s’en prend à des bébés, n’est-ce pas rarissime, voire inédit ?

Oui, en Europe. Mais dans d’autres parties du monde, plusieurs tueurs de masse ont déjà pris comme cible des crèches ou des écoles maternelles. Essentiellement en Asie et en particulier dans deux pays : le Japon et surtout la Chine. Les chiffres récents sont éloquents. En 2004, il y a eu six attaques meurtrières visant des crèches en Chine. Une autre à Zangyang, l’année suivante. En 2006, trois bébés ont été tués dans une crèche de Gongyi. Ces massacres arrivent régulièrement mais sont peu connus chez nous.

On peut assimiler l’horreur de Termonde aux tueries en milieu scolaire, comme à Dunblane en Ecosse, à Columbine aux Etats-Unis ou à Kauhajoki en Finlande. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais n’est-il pas plus fréquent depuis une dizaine d’années ?

En effet, en 1927 déjà, un homme tuait 45 enfants dans une école du Michigan en faisant exploser une bombe. Les tueurs de masse frappent les écoles depuis longtemps. Il y a eu quelques tueries dans les années 1960, 1970, 1980… Mais depuis le massacre du lycée Columbine en 1999, on dénombre une quarantaine de tueries en milieu scolaire à travers le monde ! Il s’agit d’une augmentation manifeste. Celle-ci est due à un effet de médiatisation. La tuerie de Columbine, où deux adolescents avaient abattu douze élèves et un professeur avant de se suicider, a profondément marqué les esprits, surtout les jeunes. La manière dont le tueur de l’université américaine de Virginia Tech s’est mis en scène avec ses armes dans une vidéo ou le testament filmé du tueur du lycée finlandais de Kauhajoki confortent cette hypothèse inquiétante de mimétisme de la part d’ados perturbés.

Les massacres en milieu scolaire ne sont pas uniquement le fait de jeunes tueurs. Certains sont commis par des adultes, comme à Dunblane : Thomas Hamilton avait 43 ans lorsqu’il a tué quinze élèves. Pourquoi les écoles ou les maternelles sont-elles des cibles privilégiées pour ces meurtriers ?

Parce que ce sont des lieux faciles d’accès, mais surtout, parce qu’en s’attaquant à ces institutions, les tueurs de masse frappent la société là où ça fait le plus mal. Tout ce qui touche à l’enfance a une portée émotionnelle et psychologique beaucoup plus forte. C’est encore plus vrai en Chine où les autorités pratiquent la politique de l’enfant unique, avec une rigueur particulière dans les villes. Lorsqu’on tue un enfant chinois, on annihile une famille entière. L’impact est énorme.

Retrouve-t-on des points communs aux jeunes tueurs de masse ?

Ce sont souvent des individus qui présentent des troubles psychologiques profonds, pas forcément d’ordre psychiatrique. Beaucoup ont une tendance schizophrène et apparaissent très paranoïaques. Ils sont considérés comme marginaux, isolés. Ils souffrent d’un complexe de persécution et estiment qu’on ne les reconnaît pas à leur juste valeur. Ils ont très peu de camarades, aussi bien pendant leur scolarité qu’après, et également peu de relations féminines. Généralement, ils sont puceaux. Ils s’adonnent à des plaisirs solitaires, comme les jeux vidéo violents, et surfent beaucoup sur Internet.

Qu’est-ce qui motive leur geste ?

Il s’agit, si je puis dire, d’un suicide extraverti. La plupart de ces tueurs adolescents sont extrêmement perturbés et désireux d’en finir avec la vie, mais ils veulent marquer le coup en faisant un grand nombre de victimes vulnérables en un laps de temps très court. Dans plus de trois quarts des cas, ils retournent leur arme contre eux, sur le lieu de leur crime, ou se font abattre par la police. Bref, ils se suicident en laissant une empreinte aussi douloureuse que possible. A travers cette démarche très narcissique, ils se vengent contre la société qui les a rejetés.

A priori, Kim De Gelder n’était pas suicidaire puisqu’il portait un gilet pare-balles…

Et il avait aussi l’adresse d’autres crèches dans son sac à dos ! Mon hypothèse est qu’il avait enfilé le gilet en kevlar pour se protéger de la réaction de gardiens ou policiers éventuels, et ce dans le but de tuer un maximum d’enfants dans les crèches répertoriées. Le gilet pare-balles révèle son degré de détermination et d’organisation davantage qu’un souci d’échapper à la mort. Peut-être se serait-il suicidé à l’issue de sa mission s’il avait pu la mener jusqu’au bout.

Kim De Gelder, comme les autres jeunes tueurs de masse, n’agissent pas sur un coup de folie. Leurs crimes sont prémédités. Cela ne les différencie finalement que très peu des tueurs en série psychopathes.

C’est vrai. Eric Harris et Dylan Klebold, les tueurs du lycée Columbine, préparaient leur attaque depuis des mois. Ils avaient acheté plusieurs armes et même fabriqué des bombes selon une technique trouvée sur Internet. Avant de tuer 33 personnes à Virginia Tech, Cho Seung-Hui avait tout organisé pendant une année. Comme les psychopathes, ces tueurs sont également très narcissiques et n’éprouvent aucun remords pour leurs victimes. Par contre, les tueurs en série comme Michel Fourniret ou Patrice Alègre ont une démarche différente : ils recherchent leur plaisir. D’où l’importance, pour eux, du profil de leurs victimes. Pour le tueur de masse, une fois sa cible choisie, l’identité des victimes n’a guère d’importance.

Comment expliquer que les tueurs de masse, comme n’importe quel serial killer, n’éprouve aucun remords ?

Parce que, dans leur souffrance et leur paranoïa, ils sont complètement centrés sur eux-mêmes. Il n’y a qu’eux qui comptent et rien d’autre. La société les considère comme des losers et cela légitime, à leurs yeux, leur vengeance meurtrière.

S’il s’avère que Kim De Gelder a également tué Elza Van Raemdonck à Beveren le 16 janvier dernier, ne se trouve-t-on pas face à un tueur en série classique ? Mais comment expliquer alors le choix de ses victimes, une dame âgée et des bébés ?

On peut le penser. Beaucoup de serial killers commencent d’ailleurs à tuer très tôt, à l’adolescence. Quant au profil de ces victimes, une hypothèse pourrait être la suivante : De Gelder tue de très jeunes enfants parce qu’il ne supporte pas d’être né. Il veut en quelque sorte effacer sa naissance. En tuant une dame âgée, ce serait, pour lui, une manière de tuer la figure de la mère qui lui a donné cette vie pourrie dans laquelle il ne fait que souffrir. J’insiste : ce n’est qu’une hypothèse.

La plupart des ados tueurs de masse se réfugient dans le monde virtuel d’Internet et des jeux vidéo. Pourquoi ?

Dans le monde virtuel, ils ne sont plus des losers mais des maîtres, aux commandes de leur vie fantasmée. Ces jeunes sont ancrés dans une virtualité souvent violente qui leur permet de prendre leur revanche. Ce n’est pas cette violence virtuelle qui motive leurs crimes. Mais elle entretient leurs fantasmes. En particulier, les jeux vidéo. Chez les ados fragiles qui sont accrochés à leur joystick pendant plusieurs heures d’affilée tous les jours, on observe une addiction à la violence et une désensibilisation par rapport à l’acte criminel. Les jeux vidéo, dans lesquels on marque des points en tuant des flics et des femmes enceintes ou en écrasant des enfants comme dans Grand Theft Auto, peuvent inciter à la violence chez des personnalités vulnérables. J’y vois un danger évident…

Depuis des années, vous prédisez que les crimes en série vont augmenter, notamment en raison d’une certaine évolution de la société. Les faits semblent vous donner raison.

Malheureusement, oui. Je le regrette. Sans jouer au père-la-morale, je constate que la famille se délite de plus en plus. Je ne parle pas seulement des familles monoparentales. Sous la pression du monde du travail, les parents ont de moins en moins le temps de s’occuper convenablement de leurs enfants. Je ne veux stigmatiser personne, mais cette évolution, dans une société consumériste où les liens sociaux sont beaucoup moins denses qu’auparavant, engendre des risques. Les chiffres de la délinquance, dans la plupart des pays du monde, le confirment : la criminalité diminue de manière générale, sauf pour les actes de barbarie et de torture, de violence gratuite, etc. Kim De Gelder a utilisé une arme blanche, mais s’il avait pu acquérir un pistolet automatique aussi facilement qu’aux Etats-Unis par exemple, il aurait fait beaucoup plus de dégâts.

Peut-on prévenir une tuerie comme celle de Termonde ?

Cela me paraît impossible. En Belgique comme en France, les chiffres montrent que les cas de maladie mentale augmentent, entre autres chez les jeunes. Mais partout, depuis des décennies, les budgets de la santé mentale ont été rognés. Il n’y a plus assez de lits ni de personnel qualifié pour traiter les personnes en souffrance. Il ne faut dès lors pas s’étonner que ça dérape parfois. Attention, je ne veux pas dire par là que les malades mentaux sont tous des assassins en puissance. Il n’y en a pas davantage dans cette catégorie de la population. Mais le cas de Kim De Gelder, qui entendait déjà des voix à 15 ans, montre bien qu’il y a un problème de prise en charge.

En augmentant la sécurité dans les écoles, comme on le fait aux Etats-Unis, n’éviterait-on pas d’autres massacres ?

L’efficacité des détecteurs de métaux et des caméras dans les lycées américains a ses limites. Aux USA, aujourd’hui, on peut très bien acheter une arme à feu qui est indétectable par un portique de sécurité. Les Israéliens fabriquent des pistolets automatiques en matière plastique. On en trouve sur le marché. Je crois que, face à la détermination d’un tueur comme De Gelder, aucune protection ne sera suffisante. La sécurité à outrance n’est pas la bonne réponse.

En France, dans un rapport intitulé  » Troubles mentaux, dépistage et prévention chez l’enfant et chez l’adolescent « , des chercheurs de l’Inserm avaient préconisé un repérage des troubles du comportement chez les tout-petits. Le rapport avait été fort décrié. N’est-ce pas une piste à revoir ?

Non, cela ressemble à de l’eugénisme, comme l’ont fait les Suédois dans les années 1930 ou les Nazis dans les années 1940. Certains enfants se montrent cruels très jeunes envers les animaux, par exemple. Leur scolarisation peut tout à fait les rendre sociables et atténuer un comportement agité. On ne peut pas stigmatiser ces enfants. Par contre, il serait intéressant que chaque école dispose d’un psychologue permanent qui connaît, observe et aide les enfants de l’établissement auquel il est attaché. Mais cela coûte cher…

Heureusement, le crime en série reste un phénomène exceptionnel.

C’est vrai. Mais depuis le début des années 2000, on a tout de même recensé 87 tueurs en série identifiés. Par ailleurs, les homicides des tueurs récidivistes représentent 10 % à 12 % du total des homicides en France. Ce n’est pas négligeable.

Propos recueillis par Thierry Denoël

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