Les tâtonnements du SP.A

Critique mais pas désespérée : voilà comment les socialistes flamands considèrent leur situation. Douces illusions ? En réalité, le SP.A traverse une crise existentielle et se cherche toujours une cohérence idéologique.

Jamais les socialistes flamands n’étaient tombés aussi bas. A en croire les sondages, le SP.A obtiendra entre 13 et 14 % des voix le 7 juin. Du jamais-vu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Même lors des heures sombres qui ont suivi l’affaire Agusta, le parti s’est toujours maintenu au-dessus des 15 % (parfois de justesse, comme en 1999). Mais, cette fois, l’affaire paraît encore plus mal emmanchée. Au pouvoir en Flandre depuis 1988, au gouvernement fédéral sans interruption de 1987 à 2007, le SP.A ne pouvait que perdre des plumes -beaucoup de plumes – dans cette campagne électorale marquée par l’antipolitisme.

Qu’adviendra-t-il après le 7 juin ? Réunis au sein de l’actuel gouvernement flamand, les chrétiens du CD&V, les libéraux de l’Open VLD et les socialistes du SP.A donnent l’impression de vouloir rempiler. Mais une trop lourde défaite du SP.A risque de rendre ce scénario impraticable.  » En cas de résultat électoral faible, nous ne pouvons nous permettre d’entrer dans un gouvernement, estime le député fédéral Dirk Van der Maelen. Si l’électeur donne le signal qu’il n’a plus confiance en nous, cela n’aurait aucun sens de rester au pouvoir.  » Son de cloche un peu différent auprès du député flamand Ludo Sannen. Fils d’un ouvrier mineur, cet ex-ministre Groen !, transféré au SP.A en 2003, s’inquiète :  » Je vois venir un gouvernement de droite, qui intégrerait la N-VA ou la Lijst Dedecker. Ce serait un drame. La dimension sociale de notre société peut très vite être gommée. Il suffit de quelques décisions. Surtout en temps de crise. Les employeurs avancent des exigences qu’ils n’osaient pas exprimer il y a quelques mois encore. « 

Le SP.A s’apprête à revivre la même situation qu’après les élections fédérales de 2007. Bombardée présidente au lendemain de la défaite, Caroline Gennez avait alors imposé une cure d’opposition à son parti. Contre l’avis de plusieurs caciques, dont le ministre flamand du Travail Frank Vandenbroucke. Deux ans plus tard, le resourcement espéré n’a pas eu lieu. L’inertie du gouvernement fédéral et la dureté de la crise économique devraient, logiquement, offrir un boulevard aux socialistes. Mais ceux-ci semblent incapables d’en tirer avantage.  » Ce n’est pas facile pour un parti qui a gouverné pendant vingt ans de trouver ses marques dans l’opposition, constate Dirk Van der Maelen. Tous nos cadres sont formatés pour trouver des compromis et pour se focaliser sur des objectifs réalisables à court terme. « 

Deux petites robes rouges

Anvers, jeudi 1er mai. A cinq semaines des élections, les socialistes comptent sur  » leur  » fête du travail pour marquer les esprits. Pourtant, quarante-cinq minutes avant le début du meeting, programmé à 11 heures du matin, la place Bolivar est encore à moitié déserte. Tout autour, les rues pavées du quartier Het Zuid, le long de l’Escaut, baignent dans une atmosphère de nonchalance. Une quinzaine de dockers, sanglés dans les vestes rouges de la FGTB, occupent la terrasse d’un café. Des gitanes tentent de vendre leurs bouquets de muguet aux militants socialistes qui convergent peu à peu vers la place Bolivar, face au palais de justice. Au son des percussions, un groupe de sans-papiers rappellent leur existence. Les partisans du PTB sont venus déguisés en clowns. Pour dénoncer le  » cirque politique « . Au milieu de ce public hétérogène, on cherche Caroline Gennez… On la trouve assise sur un banc, en train de discuter avec une amie. Discrète. Naturelle. Presque anonyme. La numero uno du SP.A n’est entourée ni d’une foule de groupies, ni d’une armada de conseillers. Elle ne sert pas des mains à tire-larigot. N’adopte pas l’attitude souveraine qu’affectionnent d’autres présidents de parti. Ce n’est qu’au moment où la ministre flamande de la Mobilité, Kathleen Van Brempt, vient à sa rencontre que les photographes accourent. Caroline et Kathleen. La présidente et la ministre. La Malinoise et l’Anversoise. La première tire la liste en province d’Anvers, la seconde la pousse. La scène est aussi photogénique que symbolique. Toutes deux portent une petite robe légère. Une robe rouge.

Lorsque Caroline Gennez monte sur l’estrade et prend la parole, face à un public clairsemé, elle va droit au but.  » Chers amis, camarades, encore 39 jours avant les élections…  » Le compte à rebours véhicule un appel à la mobilisation générale. Il sous-entend aussi un certain désarroi dans le chef des socialistes flamands. Mais Caroline Gennez n’en laisse rien paraître. Son discours se veut précis, combatif, vibrant, optimiste.

Ensuite, le traditionnel rode stoet ( » cortège rouge « ) s’ébranle. Comme chaque 1er Mai, les différentes chapelles de la gauche anversoise vont défiler en rangs serrés de la place Bolivar jusqu’à la Grand-Place. Pendant deux bonnes heures, plusieurs centaines de militants socialistes, regroupés par sections locales, sillonnent les rues de la métropole. Certains brandissent d’antiques drapeaux du SP, aux lettres finement brodées, datant de l’époque (pas si ancienne, mais déjà oubliée) où le parti ne s’appelait pas encore SP.A. Juchée sur un camion de pompiers loué pour l’occasion, la sono d’Animo, le mouvement des jeunes SP.A, diffuse de la techno assourdissante. Plus loin, les musiciens de l’harmonie de Deurne, avec leur l’uniforme impeccable (chemise blanche, veston vert foncé, cravate bordeaux), avancent au pas. Il y a quelque chose d’émouvant, et d’un peu suranné, dans ce socialisme-là.

Place Sint-Andries, des militants distribuent des tracts en faveur d’Erik de Bruyn, 11e candidat effectif aux régionales et figure de proue de SP.A-Rood, l’aile gauche du parti.  » Je milite chez les socialistes depuis vingt-huit ans. J’ai vu mon parti dériver de plus en plus vers le centre, raconte Lin Van Rompaey, employée à la Ville d’Anvers. Je vis dans un quartier populaire : parmi mes voisins, beaucoup votent pour le Vlaams Belang, mais d’autres attendent encore quelque chose du parti socialiste. Si le SP.A se montre incapable de leur offrir une alternative, ces électeurs-là seront définitivement perdus. « 

Le parcours se termine sur la Grand-Place. A la tribune officielle, lorsque les fanfares jouent l’Internationale, Caroline Gennez, Kathleen Van Brempt et la députée fédérale Maya Detiège se lèvent et chantent, le poing levé. Patrick Janssens, lui, ne chante pas, ne lève pas le poing. Costume gris, chemise déboutonnée, le bourgmestre d’Anvers – et président du SP.A de 1999 à 2003 – ne se sent visiblement pas concerné par l’hymne socialiste.

Brouillard idéologique

Dans l’opposition au fédéral, dans la majorité en Flandre, le SP.A se cherche. Sur bien des sujets, la cohérence idéologique du parti paraît floue, voire inexistante. A Anvers, Patrick Janssens interdit aux employées communales de porter le voile islamique. Les bourgmestres de Gand et de Louvain, Daniel Termont et Louis Tobback, se sont par contre opposés à une telle mesure. La décision du gouvernement flamand de réserver certains terrains à bâtir aux personnes  » ayant un lien avec la région  » a elle aussi provoqué des tensions internes. Frank Vandenbroucke a soutenu le décret, tandis que Louis Tobback ou la députée européenne Mia De Vits l’ont durement critiqué.

Le vrai-faux changement de nom du SP.A illustre bien ce brouillard idéologique. En janvier 2009, la présidente Caroline Gennez annonce que les initiales SP.A signifieront désormais  » socialistes et progressistes autrement « , et non plus  » parti socialiste autrement « . Une fois de plus, le vétéran Louis Tobback sort de sa réserve pour manifester son désaccord. Confrontée au mécontentement de nombreux élus, Caroline Gennez finira par faire marche arrière. Jusqu’à nouvel ordre, le SP.A reste donc un parti socialiste. Pour combien de temps ? Même flou artistique au sujet du communautaire. Le SP.A défend vigoureusement le maintien d’une sécurité sociale fédérale. Dans le même temps, le parti arbore un profil de plus en plus flamand, et Frank Vandenbroucke rate rarement l’occasion d’exiger de nouvelles compétences pour la Région flamande.

C’est dans ce drôle de contexte que le député flamand Dany Vandenbossche s’apprête à quitter la vie politique, à 53 ans. Le SP.A ne lui a pas proposé de place éligible aux élections régionales. Du coup, il a préféré ne pas se présenter du tout. Après avoir siégé quatre ans à la Chambre et dix ans au parlement flamand, il jette un regard cru sur son parti.  » Aux élections législatives de 1991, j’étais premier suppléant dans la circonscription de Gand. Personne ne s’attendait à une telle percée de l’extrême droite. Pour la première fois depuis 1945, les socialistes descendaient sous les 20 %. Le déclin de la gauche a réellement commencé ce jour-là. On a alors parlé de dimanche noir. Mais, par la suite, nous avons connu beaucoup d’autres dimanches noirs…  » Dany Vandenbossche pointe aussi l’absence flagrante de personnalités charismatiques au SP.A.  » Nous avons eu trop de présidents en trop peu de temps. Il nous manque un vrai leader, comme Elio Di Rupo du côté francophone. Frank Vandenbroucke est respecté pour sa gestion et son envergure intellectuelle, mais ce n’est pas une machine à voix comme l’étaient Willy Claes, Louis Tobback ou Karel Van Miert. La dernière grande figure du SP.A, c’est Steve Stevaert. Lui aurait pu devenir une sorte de Di Rupo flamand. Malheureusement, il a quitté la politique trop tôt. « 

Ils sont nombreux à regretter  » Wonder Stevie « , l’homme providentiel qui a permis au SP.A de renouer avec le succès, au début des années 2000. Adepte d’un discours aux accents populistes, Stevaert estimait que, dans une Flandre profondément ancrée à droite, seul un socialisme non conventionnel pouvait s’imposer. Certains voudraient aujourd’hui réactiver la recette : mener des combats  » progressistes  » et mettre au placard l’étiquette socialiste, jugée nuisible pour l’image du parti.  » Sur ce point-là, je ne suis pas d’accord avec Steve Stevaert, objecte Dirk Van der Maelen. Je crois au contraire que nous devons à nouveau nous profiler comme un vrai parti de gauche. Moi, je suis fier d’être socialiste ! Cela ne sert à rien d’essayer de concurrencer le CD&V au centre. Vu la crise économique, qui devient une crise sociale, une partie de l’opinion publique attend des solutions socialistes, proposées par un parti qui se déclare ouvertement socialiste.  »  » Nous sommes trop longtemps restés sur la défensive, appuie Mia De Vits, ex-présidente de la FGTB et candidate en Brabant flamand. La Flandre est l’une des régions les plus riches d’Europe. Pourtant, dans certains quartiers, la pauvreté atteint des proportions dramatiques. Il y a un problème évident de partage des richesses… Et ce problème-là, seul un parti comme le SP.A peut s’en saisir.  » Pas sûr que cette profession de foi suffise pour ramener au bercail les brebis socialistes égarées.

François Brabant

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