Les surprises dela  » grande boucle « 

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Inaugurée cette année, la Promenade verte qui relie une quarantaine de parcs et d’espaces naturels de Bruxelles attire de plus en plus de randonneurs à pied ou à vélo. Choses vues et entendues tout au long des 65 kilomètres du parcours.

Un vélo aux pneus regonflés, de l’eau, un mini-casse-croûte : tout est prêt, en ce dimanche ensoleillé de juillet, pour un raid de soixante-cinq kilomètres à travers une quarantaine de zones vertes et boisées de la Région bruxelloise. Au moment même où, dans les salons, les télés vibrent aux clameurs du Tour, nous attaquons une autre  » grande boucle « , nettement plus petite et totalement dépourvue de cols de première, deuxième et autres catégories : la Promenade verte. Cet itinéraire fléché relie des sentiers forestiers, des routes champêtres, des chemins de halage (le long du canal, à Anderlecht), mais aussi quelques secteurs pavés dignes de Paris-Roubaix.

A peu près finalisé après de nombreuses années d’aménagements et de balisage, le Green Trail bruxellois a été inauguré le 9 mai dernier et attire de plus en plus de marcheurs et de cyclotouristes. La plupart n’en connaissent qu’un ou deux tronçons, situés près de chez eux. D’autres ont déjà effectué la totalité du parcours.  » A pied, nous avons mis trois jours, mon amie Fabienne et moi, pour achever la boucle, raconte Karine, 35 ans, formatrice et consultante en communication. Ce safari en ville nous a fait découvrir des trésors : à Bruxelles, il y a un yacht club, une immense tour japonaise, de jolies cités-jardins et plein de lieux qui rappellent la campagne. Nous avons fait étape à Laeken et à Forest. Pèlerins dans l’âme, nous y avons demandé l’hospitalité à des amis. Ils nous ont fait la fête comme si nous nous étions embarquées dans une expédition lointaine !  »

 » Muni de ses fichiers GPS, un cyclo fonceur a réussi, lui, à terminer la Promenade verte en trois heures « , assure un responsable de Bruxelles-Environnement, l’administration chargée de l’aménagement et de l’entretien du circuit. Sûrement un record !  » Jacques, un pensionné, bon rouleur lui aussi, prévient :  » A un rythme soutenu, il faut plutôt compter cinq à sept heures. L’itinéraire est vallonné et sinueux. Il faut aussi tenir compte des arrêts pour se ravitailler et consulter les cartes du road book.  » De l’avis général, ce guide pratique, édité en mai, se révèle indispensable si l’on veut éviter d’inutiles détours, surtout lors d’un premier repérage (1).

Au démarrage se pose un choix crucial pour les cyclos : dans quel sens faire la boucle ?  » Dans celui des aiguilles d’une montre, assure François, un jeune médecin. Remonter du fin fond d’Uccle à la forêt de Soignes est trop pénible.  » Les  » anti-horlogiques  » seraient toutefois majoritaires, d’après un petit sondage sans prétention scientifique.  » Mieux vaut, en effet, traverser Evere rapidement, en descente, du sud au nord, car c’est la partie la plus urbaine et la moins verte du tracé, remarque Antoine, un autre habitué. « 

Nous optons néanmoins pour le sens des aiguilles. Direction : la forêt de Soignes, au départ de la promenade du chemin de fer, à Woluwe-Saint-Lambert. L’ancienne voie ferrée Tervuren-Quartier-Léopold, construite en 1882 et désaffectée en 1970, a été transformée en Ravel version bruxelloise, voie royale pour nos premiers coups de pédale. Nous y croisons des jeunes filles qui font leur jogging dominical, équipées de montres cardio. De nouvelles passerelles d’acier et de bois remplacent, depuis le début des années 2000, les anciens ponts détruits dans les années 1970. Promeneurs et cyclistes peuvent ainsi se balader pendant des kilomètres sans être confrontés au trafic motorisé.

Emportés par leur élan, les distraits risquent de se retrouver tout au bout du chemin arboré, où se poursuivent, depuis près de deux ans, les travaux d’aménagement qui rendront accessible aux vélos le dépôt de métro Delta. Bien avant ce chantier, un poteau de bois, un  » potelet de jalonnement  » en jargon administratif, peu visible, indique qu’il faut quitter l’ancien chemin de fer en direction du rond-point du Souverain.  » Le balisage de la Promenade verte est discret pour éviter d’encombrer l’espace public, justifie Joël Merlin, chef de la division Espaces verts à Bruxelles-Environnement. Certains estiment qu’il y a déjà trop de panneaux dans la capitale. « 

Pas l’Alpe-d’Huez

Clos des Pommiers fleuris, dans le vieil Auderghem, nous longeons, sur un autre piétonnier, le ruisseau de la Woluwe. Charmant. Via les parcs Seny et Ten Reuken, on plonge, au cinquième kilomètre de notre itinéraire, en forêt de Soignes. Majestueux. Les panneaux d’information sur la faune et la flore du Pinnebeek ont été complètement barbouillés de tags. Dommage. Plus loin, c’est la vertigineuse descente vers les étangs de Boitsfort, puis une grimpette assez raide au début de l’interminable Chemin des deux montagnes. Il porte bien son nom, ce sentier, même si notre escalade n’a rien de commun avec l’Alpe-d’Huez ! Un concert ininterrompu d’oiseaux anime la hêtraie cathédrale.

Restons attentifs au moment de franchir deux axes dangereux : la drève de Lorraine et la chaussée de Waterloo, où rien ne contraint les automobilistes à modérer l’allure. Au kilomètre 10 du périple, nous traversons un quartier huppé d’Uccle. L’avenue des Sorbiers est bordée de villas anciennes et contemporaines plus imposantes les unes que les autres. Chaque porte d’enceinte s’orne d’une plaque publicitaire où est représenté une sorte de James Bond à lunettes noires, accompagné d’un texte d’avertissement : la maison est protégée par une firme de sécurité. L’avenue elle-même est truffée de caméras de surveillance. Attention, vous êtes filmés !

Nous atteignons, au bout de la drève Pittoresque, le point le plus méridional du parcours. Bientôt, changement de décor : près du bois de Verrewinkel, nous entrons, sur de petites rues pavées, dans un quartier villageois bordé de paysages champêtres. Linkebeek, commune à facilités, en terre flamande, s’offre à nous. Pas si vite ! Le fléchage de la Promenade verte nous maintient inexorablement dans les limites de la Région bruxelloise.  » Dans un pays « normal », on privilégierait le parcours idéal, sans tenir compte des limites d’une Région, admet-on à Bruxelles-Environnement. Nous aurions pu ainsi contourner, dans le secteur du canal, une zone industrielle peu attrayante. Mais Beliris, l’accord qui assure le financement de nombreux travaux à Bruxelles, ne prévoit pas d’interventions au-delà des limites régionales. Ce carcan n’a pas que des inconvénients : il nous oblige à préserver des espaces naturels en zone urbaine pour renforcer le maillage vert. « 

Sur le plateau Engeland, l’un des symboles de la mobilisation citoyenne pour la sauvegarde de la nature en ville, nous cheminons en compagnie d’une famille qui, partie du parc de Woluwe, dans l’est de Bruxelles, rêve d’atteindre l’Atomium, au nord, par la  » grande boucle « . Après trois heures de balade, les deux enfants du couple, assis sur des sièges vélos, se sont endormis.  » Pas simple de repérer le bon itinéraire, avoue le père, un jeune avocat plongé dans les cartes. Nous irons le plus loin possible, puis nous rentrerons chez nous en métro. « 

Le tracé sera amélioré

Un carrefour chaotique et une zone en friche traversés non sans mal, nous retrouvons, au kilomètre 15 de notre périple, la tranquillité d’un espace vert : le Keyenbempt. Menacé par le projet de construction du ring autoroutier au sud de Bruxelles, puis laissé à l’abandon pendant des décennies et utilisé comme décharge, le site a été dépollué et réaménagé par Bruxelles-Environnement entre 2006 et 2008. Le vieux moulin à eau du Neckersgat, mentionné pour la première fois en 1384 et restauré en 1970, est toujours là, tout comme les potagers, requalifiés dans un souci esthétique. Nous y saluons quelques riverains, qui y passent paisiblement le week-end.

Sur la plaine de sports d’Uccle, deux équipes de foot composées de joueurs d’origine africaine s’affrontent. Plus au nord, le fléchage impose provisoirement aux vélos de contourner le parc du Bempt. On se retrouve sur des rails de tram. Puis, au kilomètre 20, on passe sous la gare de Forest. Ambiance glauque.  » Ce secteur industriel n’a rien de romantique et les aménagements sont insuffisants et inconfortables « , juge Elise, une cycliste qui tire avec peine une carriole où somnole son enfant.  » La Promenade verte est opérationnelle et balisée, mais une dizaine de travaux sont encore prévus ces prochains mois, remarque Philippe De Staercke, du département « projets » de Bruxelles-Environnement. Ils rendront le tracé plus agréable. Le circuit traversera le parc du Bempt, évitera le dépôt de trams de la rue de l’Etoile et la chaussée de Ruisbroek, suivra un bras de la Senne à ciel ouvert au lieu d’un boulevard sans intérêt… « 

Dès à présent, le tronçon ouest de la balade ne manque pourtant pas de charme, une fois atteinte l’écluse AA du canal Bruxelles-Charleroi. On traverse la réserve naturelle du Vogelzang et on longe les étangs de la Pède. Avec son hectare et demi, la roselière de la Pède, classée en 1997, est la plus vaste de la région. Plus au nord, nous entrons, au trente-cinquième kilomètre, dans le parc du Scheutbos.  » Il ouvre la ville, et plus particulièrement Molenbeek-Saint-Jean, sur le bocage du Pajottenland « , remarque Thierry Demey, auteur de Bruxelles en vert, un guide-promenade des jardins publics de la ville (éd. Badeaux).  » Le Scheutbos, rappelle-t-il, a le triste privilège d’avoir servi de théâtre d’opérations aux canons du maréchal de Villeroi, chargé en 1695 par Louis XIV de bombarder Bruxelles.  »

A Berchem-Sainte-Agathe, le marais du Kattebroek trace une nouvelle limite imperceptible avec la Région flamande. Un chemin pittoresque y a été transformé, en 1993, en sentier pédagogique : des panneaux commentent la flore typique des marais. Plus loin, la promenade traverse la réserve naturelle du Zavelenberg, ou  » montagne de sable « . Ce plateau campagnard offre un panorama anachronique à l’entrée de la capitale, avec ses vaches sur fond de shopping center. La peupleraie Nestor Martin franchie, nous nous retrouvons, au-delà du chemin de fer, dans la vallée du Molenbeek. Les marais de Ganshoren et de Jette rivalisent avec les tours de logement, tandis que les sentiers du Parc Roi Baudouin invitent à la balade pédestre.

Contrastes entreville et nature

Le parcours traverse ensuite le plateau du Heysel et les parcs royaux : parc Sobieski, Jardin colonial, parc de Laeken. Un petit arrêt au pavillon chinois, au kilomètre 50, pour reprendre des forces.  » Terminé par l’Etat belge en 1910, huit ans après le début de sa construction à l’initiative de Léopold II, il a été conçu à l’origine comme un restaurant de luxe « , raconte Thierry Demey. Le moment est venu de dévaler l’avenue Van Praet. Nouveau changement de décor dans le quartier de la gare de Schaerbeek, où un groupe d’enfants à vélo nous accompagne sur une centaine de mètres. Après un passage par le parc du Bon Pasteur, à Evere, l’itinéraire devient très urbain.

Le boulevard Léopold III enfin atteint, le tracé longe, en pleine nature, l’enceinte du cimetière de Bruxelles. Encore un plongeon dans le vert au Val d’Or, à Woluwe-Saint-Lambert, au kilomètre 60. En quinze ans, les immeubles de logements et de bureaux ont grignoté une grande partie du site semi-naturel. Le plan d’aménagement consacre toutefois la préservation d’un parc de 6 hectares et d’un joli sentier entre le parc de Roodebeek et la vallée de la Woluwe. Nous y voilà, dans la vallée. Notre chemin remonte vers Hof ter Musschen, littéralement la  » ferme des moineaux « , et le sombre moulin à vent, dit Moulin brûlé, qui date de 1767 et provient de la région de Tournai. Ils dominent d’authentiques prairies humides et roselières. Le long du boulevard de la Woluwe, la rivière coule à nouveau à ciel ouvert depuis une dizaine d’années et le moulin à eau de Lindekemale a retrouvé sa roue. Un ultime effort, près du château Malou, nous ramène sur la promenade du chemin de fer. Bingo !

(1) Le guide pratique de la Promenade verte, qui contient une quarantaine de cartes, s’obtient sur demande (02 775 75 75 ou www.bruxellesenvironnement.be).

Olivier Rogeau

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