Le 17 octobre 1961, une manifestation de sympathisants de l'indépendance de l'Algérie est brutalement réprimée à Paris par la police. Les autorités s'évertueront à occulter la réalité de cette tragédie qui a fait deux cents morts. Ce secret pèsera sur les relations entre Français et Algériens. © Getty images

« Les souffrances ne sont pas encore guéries »

Journaliste à l’émission Quotidien, Lilia Hassaine est une enfant de la troisième génération des « Algériens » de France. Son deuxième roman, Soleil amer, parle de gémellité, de secret de famille et de recherche d’harmonie, autant de circonstances de vie qui résonnent avec l’actualité des relations entre Paris et Alger.

Lilia Hassaine avait l’ambition d’écrire « une belle histoire », de celles qui se lisent avec gourmandise. Le défi est relevé avec son deuxième roman, Soleil amer (1). Mais son récit d’une famille émigrée d’Algérie en France dans les années 1960 est plus qu’une belle histoire, c’est une métaphore, à travers le destin de deux enfants, de la relation compliquée que vivent ces pays.

Saïd et Naja ont trois filles. Kader, le frère du premier, et Eve n’arrivent pas à avoir d’enfant. Le premier couple vit chichement dans un HLM ; le second plus confortablement en zone pavillonnaire. Naja tombe à nouveau enceinte. Elle accouche de jumeaux. L’un des garçons est donné à Kader et à Eve. Daniel vivra dans une famille bourgeoise qui lui laisse espérer un parcours marqué par la réussite. Amir grandira dans un environnement moins aisé, pas moins aimant, et son avenir sera plus difficilement tracé. La gémellité de Daniel et Amir sera tenue secrète. Un mensonge facilité par la différence, Daniel est costaud, Amir malingre. Mais un secret finit toujours pas être dévoilé, avec des conséquences d’autant plus dommageables que le temps a passé. Ancré dans les années 1960 et 1970, le roman de la journaliste de l’émission télé Quotidien est rattrapé par l’actualité des tensions toujours vives entre la France et l’Algérie.

(1) Soleil amer, par Lilia Hassaine, Gallimard, 160 p.
(1) Soleil amer, par Lilia Hassaine, Gallimard, 160 p.

Quels sont les ingrédients qui font que le vivre-ensemble dans les banlieues était possible dans les années 1960-1970 et moins maintenant?

Grâce au rôle de l’école et de la mixité sociale. Des ouvriers français, portugais, maghrébins se retrouvaient dans des espaces géographiques communs et envoyaient leurs enfants dans les mêmes écoles. La vie en société ne se posait pas en termes ethniques, mais bien en termes sociaux. Le religieux, par exemple, passait après. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de problèmes. Il y en avait. Mais comme on côtoyait l’autre, on avait plus de chances de surmonter les frictions. Quand les HLM ont commencé à se délabrer, quand il n’y a plus eu d’espaces culturels, de centres de loisirs, de lieux de rencontre, les classes moyennes, un peu plus riches, sont parties s’installer dans les banlieues pavillonnaires. Par conséquent, les écoles sont devenues plus uniformes. La mixité a disparu. L’Etat a eu une responsabilité énorme. Lorsqu’il a estimé que les cités HLM n’étaient pas une bonne solution, il a investi dans les zones pavillonnaires en laissant les banlieues dépérir. Avec, en plus, la raréfaction du travail, l’absence des parents, le père parti ou malade, la mère harassée par le boulot…, toutes les conditions étaient réunies pour que les adolescents soient tentés par la drogue. Par définition, une famille arrivant en France, selon qu’elle s’installe dans la Creuse, dans une ville où il y a de la mixité ou dans une banlieue où il n’y que des gens comme elle, ne va pas évoluer de la même manière.

Lilia Hassaine
Lilia Hassaine© Getty images

Certains de vos personnages ratent le train de l’intégration, même bon étudiant ou travailleur modèle. Le défi est-il insurmontable?

Je montre que partir de ces banlieues était la seule solution. Certains n’ont pas pu surmonter ce déterminisme social. Mais d’autres ont réussi à s’en sortir. Les filles mieux que les garçons parce que le fait d’avoir été « enfermées » en appartement les a davantage préservées de la drogue, de la délinquance… J’ai aussi voulu souligner cette complexité. Mon livre n’est ni plus ni moins violent que la réalité. Et le soleil présent dans le titre est important. Je suis de la troisième génération de ces familles. Je suis la preuve que ces enfants se sont aussi intégrés. Cela a été possible. Je ne suis pas en colère. Je ne suis pas dans une position victimaire. Je ne suis pas misérabiliste. J’ai envie d’avancer en ayant connaissance de cette histoire, en la décrivant par le biais d’un roman et en humanisant une question que l’on déshumanise souvent. Il faut laisser du temps au temps.

Comment expliquer que les rapports entre la France et l’Algérie soient encore si compliqués, soixante ans après l’indépendance?

Je pense que le temps n’a pas encore fait son travail. Beaucoup de Français ont une histoire particulière avec l’Algérie, qu’ils soient anciens coopérants, pieds-noirs, immigrés… C’est normal que le souvenir soit encore à vif parce que les souffrances n’ont pas été guéries. Mais quand le travail de mémoire sera fait, et il commence à l’être, les choses s’apaiseront.

Ne pas avoir ce débat ne fait-il pas le jeu des extrêmes?

Emmanuel Macron évoque la « rente mémorielle » exploitée par le pouvoir en Algérie. Mais on se sert aussi de la question algérienne quand on fait campagne en France. C’est le côté dramatique de cette situation parce qu’on en parle de la même façon alors qu’on pourrait avoir une position beaucoup plus distanciée.

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