Les risques du métier

Les entraîneurs de foot sont-ils condamnés à devenir cardiaques ? En tout cas, les accidents se multiplient

Jean Dockx, responsable du recrutement au Sporting club d’Anderlecht, premier club du pays, ancien Diable rouge et entraîneur, est décédé, à 61 ans, le 15 janvier dernier. Victime d’un accident cardiaque. Quelques jours plus tard, Guy Roux, l’emblématique coach de l’AJ Auxerre et pertinent consultant de la télévision française, reprenait le collier. En novembre dernier, âgé de 63 ans, il avait subi un double pontage coronarien. En quelques mois, les incidents de ce genre se sont ainsi succédé de manière inquiétante: Robert Waseige, Arrigo Sacchi, Gérard Houiller et Tomislav Ivic, tous entraîneurs au plus haut niveau, ont également connu des problèmes semblables ( lire l’encadré).

Cette série de malaises rappelle à quel point la direction d’une équipe de football, engagée dans la haute compétition, est stressante et harassante. L’argent, les médias, les exigences des dirigeants, des sponsors et des supporters, tout concourt à augmenter le poids des responsabilités qui reposent sur les épaules des coachs et entraîneurs. Au coeur de toutes ces zones de pression, dont on leur demande d’être une sorte de catalyseur, tour à tour adulés, contestés ou remerciés, ils vivent leur passion à l’extrême, dans un monde sans pitié. Dès lors, le stress, insidieux et vicieux, qu’ils subissent aujourd’hui, s’il n’est pas la cause unique de tous leurs maux, atteint néanmoins des niveaux exceptionnels.

Une preuve: s’étant soumis aux tests d’un cardiologue, en même temps que ses joueurs, Elie Baup, entraîneur de Bordeaux, a vu son rythme cardiaque monter jusqu’à 160 pulsations en cours de match. Pour un sujet de plus de 50 ans, cela équivaut pratiquement à celles constatées lors d’un effort athlétique maximal. Mais là s’arrête la comparaison. « Il existe, en effet, une différence essentielle entre ces deux scores: l’un est obtenu à la faveur d’une activité physique, l’autre sous la seule pression psychique », souligne le Dr Henry Nielens, médecin du sport. D’une part, l’effort physique entraîne tout un mécanisme physiologique (alimentation des muscles, circulation sanguine, etc.) qui s’avère, en fait, relativement sain. De l’autre, le stress, provoqué par une décharge d’adrénaline, augmente la pression artérielle sans autre réaction, obligeant pratiquement le coeur à « tourner à vide ». Ce qui n’est, évidemment, pas bénéfique du tout.

Le stress de l’entraîneur, inquiet du déroulement d’un événement à l’issue souvent imprévisible, n’est pas fondamentalement différent de celui du comédien avant d’entrer en scène ou de l’étudiant présentant un examen, mais il s’exprime de manière plus visible. Le comportement d’un coach sur le banc, bondissant, haranguant ses troupes ou se morfondant désespérément est illustré de manière très spectaculaire par la télévision. Ce stress-là agirait-il, dès lors, davantage sur l’activité cardiaque que celui, plus discret, du comédien ? Non, selon le Dr Christian Brohet, cardiologue. « Ce qui diffère, c’est la réaction individuelle envers le stress et c’est celle-là qui détermine l’activité cardiaque. »

A ce titre, on a longtemps eu tendance à croire que c’est le sujet le plus exubérant, le plus expansif, celui que le vocabulaire médical définit comme « type de personnalité A », qui réunit le plus de facteurs de risques. A présent, on revoit un peu sa copie. Des études récentes démontrent qu’une personnalité plutôt introvertie et pessimiste, aux réactions moins extraverties et apparentes, dite de « type D », court tout autant de risques. Le pittoresque Raymond Goethals pourrait être l’illustration du premier profil: à 80 ans, ce fumeur invétéré (mais qui n’avale jamais la fumée), encore sans cesse à l’écoute du football, n’arrête pas de s’y investir et de s’agiter, mais affiche une santé éclatante. Sans doute, estiment les médecins, dispose-t-il également d’antécédents génétiques très favorables.

Car, en fait, en la matière, beaucoup de choses sont liées. Le stress, seul, n’est pas a priori un déclencheur d’accident cardiaque. Celui-ci est le plus souvent la conséquence d’un ensemble de facteurs. Une maladie cardiaque est, généralement, le fruit d’une évolution qui s’est développée durant plusieurs années. L’affection est influencée par l’âge du sujet, son hygiène de vie, son poids, etc. Selon qu’il y réagit mal, la situation de stress permanent, comme le vivent les coachs, accélère sans aucun doute le processus du trouble cardiaque. Le stress n’est peut-être pas le facteur le plus important, mais c’est parfois la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Etant généralement d’anciennes vedettes de leur discipline, les entraîneurs devraient donc, mieux que d’autres, être à l’abri du danger. Ils ont déjà été confrontés à la gestion de certaines pressions et ont été contraints à une stricte hygiène de vie. « Des études montrent, en effet, que l’ancien sportif de haut niveau court moins de risques d’accident cardiaque que le commun des mortels », précise le Dr Brohet. Mais à certaines conditions, toutefois: qu’après l’abandon de la compétition, il ne néglige pas brutalement une hygiène de vie normale et qu’il continue d’exercer une activité recréative. Or, souvent, c’est l’inverse qui se produit: lassé des privations, l’ancien champion, sa carrière terminée, témoigne souvent d’un certain laisser-aller. Soit parce qu’il a toujours considéré son activité sportive comme un emploi, auquel il ne prenait pas réellement de plaisir. Soit parce qu’il est frustré, n’ayant, en fait, pas réalisé la carrière qu’il espérait. Soit encore parce qu’il est sorti meurtri physiquement de toutes ces épreuves: Paul Van Himst et Robert Waseige, par exemple, souffrent de handicaps à la colonne vertébrale qui leur interdisent certaines activités.

Conscients des dangers qui les menacent, les entraîneurs se préoccupent-ils, dès lors, d’une prévention régulière ? En réalité, selon les médecins du sport, très peu prennent cette précaution, alors que, pourtant, un contrôle annuel s’impose. Exception: Waseige. C’est à l’occasion d’un examen de routine, auquel il se soumet chaque année depuis son retour du Portugal, en 1983, qu’on lui a découvert, en mars dernier, un trouble cardiaque. Il a subi, ce jour-là, un quadruple pontage coronarien. En revanche, après un accident cardiaque, pratiquement toutes les victimes changent l’ordre de leurs priorités et certaines subissent alors de véritables métamorphoses. Waseige a abandonné le cigare en cours de match – également, à l’instigation de ses fils, pour soigner son image de sportif -, ne participe plus directement à l’entraînement physique des joueurs, surveille son alimentation et participe ponctuellement à des séances de gymnastique adaptée.

Même si leur métier est de plus en plus difficile à exercer, épuisant et instable, pour rien au monde les entraîneurs choisiraient une autre voie. « Un bon entraîneur a un ulcère, vit sous la pression et se fait virer au moins une fois », affirme l’un d’eux. Alors, entre passion et souffrance, ces esclaves du banc semblent condamnés à tout jamais à se shooter au café, à griller des cigarettes, à mâcher du chewing-gum ou à se ronger les ongles. Tout ce qu’il ne faut pas, en vérité, pour éviter qu’un jour fatal les jambes se dérobent et qu’un voile apparaît devant les yeux…

Emile Carlier

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