Les racines et le doute

L’un se situe dans la foi et le souci de la tradition ; l’autre nourrit la critique et abat les dogmes sionistes. Jacques Attali, auteur du Dictionnaire amoureux du judaïsme, et Shlomo Sand (Comment le peuple juif fut inventé) débattent des fondements de l’identité juive.

Jacques Attali : Pour moi, le judaïsme se définit par deux idéaux, un Livre et une Terre, qui peuvent se révéler parfois contradictoires. Il s’instaure d’abord par une histoire théologique, véritablement fondatrice, qui a nourri une aventure humaine extraordinairement complexe et mouvementée (…).

Shlomo Sand : Vous soutenez que le peuple juif a subi l’exil après son expulsion de Judée par les Romains, en 70 après Jésus-Christ, or c’est historiquement discutable. Des recherches prouvent que la diaspora juive de l’Antiquité est due bien davantage à un phénomène de conversion des habitants du pourtour méditerranéen au judaïsme qu’à la dispersion du peuple hébreu. Les juifs n’ont pas été exilés de la terre de Canaan. Il n’y a pas de raisons de croire davantage à  » nos ancêtres les Hébreux  » qu’à  » nos ancêtres les Gaulois  » (…).

J. A. : Cet exil n’est qu’un épisode parmi d’autres de l’histoire juive.

Shl. S. : C’est la base de la prétention des juifs à exiger pour eux la terre de Palestine comme leur berceau historique.

J. A. : Non, cette base, c’est Abraham, David et mille ans d’histoire ensuite.

Shl. S. : Pas du tout. Dans la déclaration d’indépendance d’Israël, il est écrit que le peuple juif a été exilé par les Romains et qu’il est revenu sur ses terres après deux mille ans d’errance. C’est le fondement même de la réinstallation des juifs en Israël.

J. A. : Je ne suis pas du tout d’accord. Le fondement d’Israël, c’est Dieu parlant à Abraham. Ce n’est pas par hasard que le nom choisi pour le nouvel Etat fut Israël. Israël est le nom que Dieu donna à Jacob, selon le récit de la Genèse (32, 29). Avant le premier exil, il y eut le royaume de David, mille ans avant Jésus-Christ. Dire que l’idéal juif commence après l’an 70 après J.-C. est une absurdité.

Shl. S. : (…) Les archéologues et les historiens israéliens actuels remettent en question de nombreuses pages de l’histoire sainte d’Israël. Il n’y a pas eu, par exemple, ni Exode ni sortie de tout un peuple d’Egypte. Quant à l’étoile de David, repère instantané de notre identité, son origine n’est pas judéenne : c’est un signe indien qui a très tardivement été intégré à la symbolique juive. La mythologie ne me gêne pas. A une seule condition : qu’elle ne soit pas retournée contre d’autres peuples et, surtout, qu’elle ne distingue pas les juifs des non-juifs en termes de droits. Je vis en Israël, pays en principe laïque. Or, dans cet Etat, un individu juif ne peut pas se marier avec un individu non juif – il doit se rendre à l’étranger pour le faire. C’est insupportable au xxie siècle et c’est l’héritage de la religion de nos pères. Israël devrait appartenir à tous les Israéliens ; de fait, un juif moldave fraîchement débarqué y est plus chez lui que mon voisin de bureau à l’université de Tel-Aviv, qui est arabe israélien.

J. A. : Le judaïsme ne se réduit pas à ça. Il faut comprendre l’immensité du judaïsme, dans lequel l’Etat d’Israël n’occupe qu’une petite dimension (…). Israël est un pays auquel on demande une morale supérieure à celle du reste du monde, alors qu’il est entouré de gens qui veulent sa destruction. A maints égards, l’existence de l’Etat palestinien est beaucoup plus importante pour la survie d’Israël qu’elle ne l’est pour les pays arabes.

PROPOS RECUEILLIS PAR FRANÇOIS DUFAY ET CHRISTIAN MAKARIAN

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