Les petits porteurs jouent les tontons flingueurs

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Les actionnaires de Fortis, ruinés et amers, ont récusé plusieurs des administrateurs proposés, dont Etienne Davignon. Sûrs de leur force, ils ont enterré le capitalisme à la belge. Et réclamé du sang neuf.

Aura-t-il bu le calice jusqu’à la lie ? Maurice Lippens, le président déchu du groupe Fortis, s’est-il installé devant son ordinateur, ce matin du 2 décembre, pour suivre en direct, sur Internet, le déroulement de l’assemblée générale de  » ses  » anciens actionnaires ? S’il l’a fait, son calvaire aura duré plus de huit heures. Et le spectacle manquait d’élégance.

Car les quelque 3 000 actionnaires présents dans le palais 1 du Heysel n’ont pas tous fait dans la dentelle. Nombre de ces petits porteurs ont laissé jusqu’à leur dernier bouton de culotte dans l’écroulement de Fortis : leur épargne a sombré en même temps que l’assurance de couler de vieux jours à l’abri des tracas financiers. Pis : ils ont perdu confiance.

Mardi, ils ont donc lâché toute leur hargne contre la direction de Fortis et ses représentants, à coups de huées et d’invectives. Il y avait un curieux contraste entre cette salle vociférant, qui hurlait sa colère et réclamait des têtes, et ces hommes si bien mis, soigneusement peignés, des regrets plein la bouche. Mais il est trop tard.

Les votes émis par les actionnaires, investisseurs institutionnels exceptés, relèvent en partie du règlement de compte émotionnel : du passé, les petits porteurs ont voulu faire table rase. Le vicomte Etienne Davignon, trop marqué du sceau de l’ancien régime, ne deviendra pas président de Fortis. Recalés aussi : Philippe Bodson et Jan-Michiel Hessels, proposés pour les postes d’administrateur.

 » C’est la première fois en Belgique qu’une aussi grande assemblée d’actionnaires se prononce contre les propositions du conseil d’administration « , relève-t-on chez Deminor, le cabinet spécialisé dans la défense des petits actionnaires. Dans cette saga, tout, décidément, est historique. Cette assemblée générale écrit la fin d’une certaine forme de capitalisme à la belge, dominé par quelques fortes têtes aujourd’hui grisonnantes et par un chapelet de familles omniprésentes dans le tissu économique, voire omnipotentes. Mais qui va se lever, à la génération suivante, pour prendre la relève ?

Seuls le Chinois Louis Cheung, représentant du premier actionnaire de Fortis, l’assureur Ping An, et l’administrateur délégué Karel De Boeck ont été élus. C’est trop peu pour former un nouveau conseil d’administration. L’ancienne structure restera donc en place, le temps de convoquer une assemblée générale entre le 10 et le 20 janvier, qui sera appelée à se prononcer sur d’autres candidatures. Dans l’intervalle, une assemblée générale sera organisée le 19 décembre pour permettre aux actionnaires de voter la poursuite des activités de Fortis, comme la loi l’impose.

Les actionnaires seront-ils, cette fois, autorisés à prendre position sur les noms des administrateurs proposés par Deminor et par son homologue néerlandais VEB ? A leur tête figure Georges Ugeux, ancien vice-président de la Bourse de New York, qui trépigne. Après le désaveu enregistré par la direction de Fortis, il est en position de force pour imposer  » son  » équipe ou, à tout le moins, décrocher un consensus sur la composition du prochain conseil. Sans perdre une minute, il ne s’est d’ailleurs pas privé de suggérer aux administrateurs en affaires courantes de renégocier les termes de l’accord conclu avec la banque française BNP Paribas, désormais propriétaire des activités bancaires de Fortis, avant qu’il ne soit définitivement conclu. Les petits actionnaires auront apprécié.

C’est à ce moment-là que Maurice Lippens, une nouvelle fois crucifié par l’éviction de son ami Etienne Davignon, aura éteint son ordinateurà

Laurence van Ruymbeke

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