Les ombres d’une traque

Christophe Barbier
Christophe Barbier Directeur de la rédaction de L'Express

Aurait-on pu empêcher les terribles meurtres de Toulouse et de Montauban ? C’est l’une des questions que pose sur cette affaire le livre d’Eric Pelletier et de Jean-Marie Pontaut, de L’Express. De l’itinéraire du tueur à l’assaut final, leur enquête interpelle. Extraits exclusifs.

Des vérités qui vacillent et des informations qui dérangent. Telles sont, près de cent jours après l’affaire Merah, les ruines que l’on peine à déblayer. Elles livreront leurs derniers secrets, un jour à l’archéologie journalistique. Déjà, alors que les cendres du deuil et de l’effroi sont encore chaudes, Eric Pelletier et Jean-Marie Pontaut, respectivement grand reporter et rédacteur en chef à L’Express, ont mené une investigation impressionnante, de rapidité et de précision, sur les faits qui ont tétanisé la France du 11 au 22 mars. Affaire Merah. L’enquête (Michel Lafon), qui retrace aussi la vie du tueur et décrit les filières de formation terroriste au Pakistan, est un modèle du genre, car cet ouvrage révèle des faits et soulève des doutes. Le lecteur en sort renseigné et troublé. Profondément troublé. Une telle lecture laisse une intime conviction : Mohamed Merah aurait pu, Mohamed Merah aurait dû être arrêté avant ses meurtres. Son profil d’islamiste, plus encore que son CV de petit délinquant, établit son terrible potentiel. Il est ainsi fiché au terrorisme, et ses déplacements et agissements sont notés et rapportés, d’octobre 2006 à mars 2010. En bref, il cesse d’être surveillé quand il commence à être vraiment dangereux. Ou plutôt, il est guetté différemment, avec des écoutes téléphoniques, vite suspendues parce que les premiers comptes rendus n’apportent rien de compromettant, comme sera stérile l’audition de Merah à son retour du Pakistan, le 14 novembre 2011.

Quand le poisson passe ainsi entre les mailles du filet, il y a trois hypothèses. Un : le pêcheur le fait exprès, mais rien dans l’ouvrage des deux limiers ne laisse accroire que l’assassin des enfants juifs de Toulouse était stipendié ni protégé par la police. Deux : le poisson est très fort, et la vie de Merah révèle, il est vrai, une effrayante aptitude à la duplicité, proche de la schizophrénie, ajoutée à un mélange de rage absolue et d’individualisme déterminé. Trois : le filet n’est pas bon, chalut trop lâche passé trop lentement. Et en effet, au fil des pages, on a l’impression que tous les agents de tous les services font leur travail, mais que cela mène le renseignement français à être toujours en retard sur le tueur, à le sous-estimer, à trop écouter la voix de la paperasse et pas assez les murmures de l’intuition.

C’est donc l’organisation policière qui est en cause dans le suivi raté du cas Merah, tout comme elle l’est pour l’interminable assaut de la rue du Sergent-Vigné. Il est ahurissant que Merah ait pu quitter son appartement pour appeler les médias, quelques minutes avant l’assaut – s’il avait fui, cela aurait d’ailleurs été une affaire d’Etat. Il est surprenant, au vu des moyens déployés, que le Raid se soit fait cueillir à sa première tentative d’ouverture de porte ( lire l’extrait ci-contre). Il est stupéfiant que l’ultime attaque ait été aussi laborieuse et n’ait pas permis d’attraper Merah vivant.

CHRISTOPHE BARBIER

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