Les objets d’une vie

A la veille de la dispersion par Christie’s de cette extraordinaire collection, l’homme d’affaires Pierre Bergé nous a livré quelques secrets sur ces trésors.

>Quand vous avez ouvert, en 2004, les portes de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, vous disiez vouloir que cette collection revienne un jour à ce lieu. Pourquoi avez-vous finalement choisi de vous en séparer ?

Pierre Bergé : La réponse est simple : parce que je n’ai pas d’argent. Quand on a un niveau de collection pareil, on ne peut pas imaginer qu’on a cet argent sur les murs et l’équivalent en banque. Il se trouve que j’ai besoin de faire vivre cette fondation qui n’a pas un sou, que je veux pouvoir accomplir des actions caritatives et aider la recherche scientifique, notamment celle sur le sida. Les bénéfices de la vente y sont destinés.

>Quelles sont les pièces qui vous tenaient le plus à c£ur

à tous deux ? Aviez-vous des divergences

de goût ?

Avec Yves Saint Laurent, nous avons eu des désaccords dans la vie, mais jamais sur cette collection. Nous sommes tombés fous, ensemble, des trois objets qui ont décidé du sort de celle-ci. Le tout premier est un oiseau Sénoufo en bois sculpté, une pièce d’art africain du xixe siècle – l’une des rares que je ne vende pas. Le deuxième objet, ce sont les deux vases de Jean Dunand, qu’Yves Saint Laurent repère d’un coup d’£il dans la vitrine d’une galerie alors que nous traversons la rue Bonaparte en voiture. Ils nous ont ouvert les portes de l’Art déco. Le troisième, je le découvre moi-même en allant un peu par hasard chez le marchand Alain Tarica. Je tombe en arrêt devant un Brancusi admirable. Ce sera notre première pièce d’un  » vrai  » artiste.

>A quel point ces objets ont-ils pu influencer ses créations ?

La collection l’a toujours nourri. Il y a eu l’Afrique, la peinture… Mais parfois il l’a précédée. C’est le cas pour Mondrian, dont nous avons acheté la première toile en 1978. Yves avait déjà créé ses robes en hommage au peintre bien avant, en 1962. Si, à cette époque, on nous avait dit qu’un jour nous aurions l’une de ces £uvres, nous ne l’aurions pas cru. Quand la Composition de Mondrian est arrivée chez nous rue de Babylone, nous nous sommes dit qu’elle aurait dû être là depuis longtemps.

>Les serpents et les lions sont très présents parmi les objets. Quel est leur sens caché ?

Le serpent était un grand goût de Saint Laurent. Il aimait cet animal à la connotation sexuelle évidente ; il le trouvait beau. Il en a peint et dessiné beaucoup. En 1967, nous avons même acheté à Marrakech une maison qui s’appelait Dar el-Hanch, c’est-à-dire la maison du serpent. Quant au lion, c’était son signe astrologique. A chacun de ses anniversaires, j’essayais de lui en trouver un.

>Pourquoi n’avez-vous pas collectionné plus d’artistes contemporains ?

Il y a tout de même Andy Warhol, que nous avons bien connu, François-Xavier et Claude Lalanne, avec qui Saint Laurent a travaillé. La raison principale est que nous avons acheté les £uvres que nous avons rencontrées. Jamais nous n’avons fait appel à un courtier. Donc, nous n’avons pas été mis en présence d’un Rothko, d’un Bacon ni d’un Barnett Newman ou d’un Pollock, qui sont des gens que nous admirions pourtant énormément.

>Quelles sont les pièces qui vont le plus vous manquer ?

Aucune ou toutes ! Il ne faut jamais se comporter en propriétaire avec les £uvres d’art : elles sont chez vous en transit. Ma collection se trouve dé-sormais dans ce catalogue de vente qui pèse 10 kilos et qui va m’accompagner partout. Je ne collectionnerai plus. C’est fini. Le livre est fermé.

Propos recueillis par Marion Vignal

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